Regards de scientifiques sur les OGM dans les médicaments et dans notre alimentation

avec Joël Guillemain de l’Académie de pharmacie et Louis-Marie Houdebine directeur de chercheur honoraire à l’INRA

Le saviez-vous ? Depuis 30 ans, certains médicaments sont issus d’OGM : c’est le cas de l’insuline, de l’hormone de croissance, de diverses protéines et de certains vaccins. S’ils sont utilisés régulièrement dans ce domaine sans trop de difficultés, en revanche, le sujet reste assez polémique sur les questions de sécurité alimentaires pour les plantes génétiquement modifiées. Le pharmacologue Joël Guillemain et Louis-Marie Houdebine, directeur de recherche honoraire à l’INRA, fondateur d’une entreprise de biotechnologies, s’expliquent sur ces points dans cette émission Eclairage.

La première partie de cette émission est consacrée aux risques éventuels de consommation de produits OGM pour notre santé.
Presque tous les ans, de nouvelles études annoncent des risques d’allergie, de problèmes hépatiques... avant d’être annulées par d’autres études énonçant une innocuité des produits OGM pour la santé. Ce va et vient est-il le fruit du lobbying ? Ou est-ce la preuve qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile de savoir si les risques pour la santé sont avérés ?
Pour Joël Guillemain, pharmaco-toxicologue, les articles qui mentionnent des risques potentiels doivent être pris en compte. « Mais il faut les analyser à la lumière des règles qui sont habituellement autorisées. La critique que je ferai dans les articles qui mettent en avant des risques hépatiques, c’est qu’ils ne prennent pas en compte les paramètres classiquement utilisés. Souvent c’est un paramètre isolé qui est pris dans ces études. Et pour un toxicologue, cela n’a jamais conduit à une toxicité hépatique. On peut avoir des interrogations, mais il y a aussi des insuffisances au niveau de ces études ».

Ces recherches sont menées habituellement sur le rat pendant 90 jours, trop peu pour les détracteurs. Pour nos deux invités, la question des « trois mois » se résoud assez simplement puisqu’ils correspondent à une période de 10 ans chez l’homme. L’alimentation OGM introduite chez le rat lors des expériences est à hauteur de 33%, correspondant ainsi à un facteur multiplicateur de 100 chez l’humain, critère habituellement convenu pour mener des études. Pour Louis-Marie Houdebine « la question n’est pas de comparer les temps, mais de savoir si le test reflète une toxicité. Des études sont menées depuis très longtemps sur toutes sortes de cobayes et rien de toxique n’a été montré ».

Mais comment vérifier la rigueur de ces tests ? Ainsi Joël Guillemain rappelle-t-il que les laboratoires doivent être labélisés « BPL » [], pour effectuer de telles recherches. La traçabilité des données limiterait encore un peu plus les éventuelles falsifications de données. « Aujourd’hui, pas un seul laboratoire public n’est assez bien équipé pour remplir les critères BPL ». Mais une nouvelle logique politique pourrait inciter les pays de l’Union européenne à créer un organisme commun pour mener ces tests.
Quant aux laboratoires à la botte de l’industrie, Louis-Marie Houdebine écarte cette hypothèse d’un revers de main « Il n’est pas question de financement. Il s’agit d’une prestation de service. On vous demande de faire une analyse toxique, vous la faites, vous la facturez et c’est tout. Je vois mal une entreprise bricoler ses tests pour faire plaisir à Monsanto ».

Outre les questions liées aux atteintes du foie, les allergies sont souvent pointées du doigt.
Il y a une quinzaine d’année, l’étude d’un soja enrichi avec une protéine de noix du Brésil a été stoppée pour ses effets allergènes. « Mais ce produit n’a jamais été mis sur le marché » précise Louis-Marie Houdebine, « et depuis, on a encore avancé dans les progrès pour détecter des allergies ». Pour le généticien, là encore, les études menées n’ont rien montré de particulier.
À une autre échelle, les plantes OGM peuvent résister aux herbicides, peuvent contenir des pesticides pour repousser les insectes. Mais que penser de ces produits phytosanitaires dont les résidus resteraient sur la plante destinée à la consommation. Quels sont les risques de toxicité ? « C’est un sujet propice au débat » concède Joël Guillemain. « Nous avons d’ailleurs une structure à l’ANSES[[Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail]] qui travaille exclusivement sur les produits phytosanitaires et les herbicides en particulier. Mais les résidus ont été trouvés en trop faible quantité pour établir un risque de toxicité. Maintenant, moins on aura d’herbicides épandus, moins on en consommera, mieux on se portera, mais il ne faut pas non plus que ce soit un bouc-émissaire ».

Les OGM dans les médicaments : utilisés depuis 30 ans !

Dans cette seconde partie d’émission, Joël Guillemain et Louis-Marie Houdebine reviennent sur l’histoire des OGM dans les médicaments, utilisés depuis 30 ans pour l’insuline notamment. Si le sujet est assez commun dans le monde de l’industrie pharmaceutique, il reste en revanche encore inconnu du grand public, « certainement parce que la question des OGM dans les médicaments fait moins débat que celle sur l’alimentation ou l’environnement » expliquent nos invités.
Dans ce cadre précis, des bactéries, des levures, des cellules de mammifères sont manipulées de façon à insérer des gènes produisant des protéines d’intérêt chez l’homme. Après l’insuline, ces techniques se sont développées avec les anticorps monoclonaux connus pour traiter les cancers et les polyarthrites.
- Un autre médicament, mis sur le marché en 2006 est destiné aux thromboses. Il s’agit de l’Hytrin®, médicament produit à partir du lait de chèvre. « Avant, les médicaments étaient produits à partir de cellules, de levures, de bactéries. Maintenant, on a quelque chose de produit par un animal entier. La production chez une chèvre pour un an représente 90 000 prélèvements sanguins chez l’homme » ajoute Joël Guillemain.
Autre exemple, celui de l’albumine : « la production sur le marché à partir de prélèvement sanguin est de 50 tonnes, il sera de 100 tonnes dans quelques décennies. Pour répondre à ces demandes, on produit désormais de l’albumine à partir de lait d’animaux ou de riz. Ces molécules n’auraient pas pu être produites sans ces nouvelles méthodes » énonce Louis-Marie Houdebine

Mais de nouveau, des questions se posent pour les médicaments issus de plantes OGM : quels sont les risques de dissémination dans l’environnement ? « Normalement, on travaille en serre » annonce Joël Guillemain. Mais récemment, des plans OGM arrachés en plein champ étaient destinés à l’industrie pharmaceutique pour un traitement destiné à lutter contre la mucoviscidose. « Si vous absorbez une protéine médicament dans un plan OGM, vous la digérez, elle ne peut rien vous faire. En revanche, si la plante contient des molécules humaines et qu’elles arrivent jusqu’à vous sous forme de poussière, vous risquez de déclencher des réactions allergiques ou plus exactement des réactions de rejets mettant en place des anticorps contre ces propres protéines » reconnaît Louis-Marie Houdebine, et de poursuivre : « dans ce cas, c’est limite ». Mais déjà, des solutions sont énoncées pour pallier ce risque de contamination en programmant les plantes à mourir d’elles-mêmes après avoir produit la protéine médicament. « Cela se fait au Canada et en Allemagne avec certaines plantes spécifiques comme le tabac. On pourrait aussi exploiter les micro-algues ».

En attendant de voir apparaître ces plantes sur notre sol, les études se poursuivent sur le lait. C’est d’ailleurs la spécialité de Louis-Marie Houdebine qui travaille au sein de son entreprise de biotechnologies, sur le lait de lapines transgénique. « Le lait est un véhicule intéressant pour tirer une molécule pure et l’injecter comme les anticorps monoclonaux. Mais on peut aussi s’en servir comme véhicule pour porter des molécules par voie oral » explique-t-il. Ainsi, sont à l’étude la production par des vaches et des chèvres de lactoferrine humaine, pour « materniser » en quelque sorte le lait animal, apportant ainsi aux enfants qui ne pourraient pas en bénéficier les bienfaits du lait d’une mère pour lutter contre les multiples infections...

Ecoutez les explications détaillées de nos deux invités au cours de cette émission Eclairage.



Joël Guillemain

Joël Guillemain est expert pharmaco-toxicologue, Président du comité d'experts Biotechnologie de l’ANSES, Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, membre du Haut Conseil des Biotechnologies, membre de l’Académie nationale de pharmacie



Louis-Marie Houdebine

Louis-Marie Houdebine est Directeur de recherche honoraire à l'Institut National de Recherche Agronomique (INRA), Vice-président du comité d'experts Biotechnologie de l’ANSES, co-fondateur d’une start-up privée, Bioprotein Technologies Inc. spécialisée dans les protéines de lait, président de l'Association française pour l'information scientifique, correspondant de l'Académie d'agriculture.




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