OGM : pour ou contre ? deux visions différentes de scientifiques

Entretien avec Gérard Toulouse, correspondant de l’Académie des sciences et Pierre Feillet, membre de l’Académie d’agriculture
Avec Gérard TOULOUSE
Correspondant

La culture de plantes OGM est sujet à débat, au sein même des scientifiques. Parmi les arguments des deux parties, les partisans voient les plantes OGM comme une réponse à la crise alimentaire dans le monde. Les contradicteurs craignent une contamination des espèces "biologiques" qui amènerait rapidement à un déséquilibre environnemental. Pierre Feillet et Gérard Toulouse exposent chacun leurs arguments.

Cette émission a été enregistrée en avril 2008.

Cultivées et commercialisées dans le monde depuis une dizaine d’années, les plantes OGM (maïs et soja essentiellement) font toujours l’objet de vives controverses. En France, après un moratoire de trois mois, le gouvernement a décidé de geler les cultures de maïs OGM (maïs MON 810) pour l'année 2008. D'autres pays de l'Union européenne tels que la Roumanie, la Hongrie, l’Italie, l’Autriche, la Grèce et la Pologne ont pris les mêmes dispositions que la France.
Ce gel des cultures est-il un choix essentiellement politique, pour répondre aux attentes d'une population inquiète, ou bien les plantes OGM nous font-elles réellement courir un risque sur un plan environnemental et sanitaire ?

Suite au moratoire sur les cultures d’OGM en France, le gouvernement a pris la décision début 2008 de retirer les cultures de maïs transgénique MON 810 pour cette année

Gérard Toulouse et Pierre Feillet nous donnent des éléments d'informations pour que chacun, mieux informé, puisse prendre part au débat.

OGM : définition

Le droit européen explique qu'un «organisme génétiquement modifié est un organisme, à l'exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle».

Les plantes OGM modifient en trois points notre conception du règne végétal :

- Les OGM offrent tout d'abord la possibilité d’une appropriation
juridique de matériel biologique par la voie des brevets.
- La polémique des OGM met l’accent sur les effets de pouvoir liés à la production agricole. Cependant ces effets de pouvoir concernent en premier lieu les consommateurs qui souhaitent légitimement savoir ce qu’ils consomment.
- Les promoteurs des OGM ont fréquemment mis en avant l’argument selon lequel cette innovation technologique serait la seule voie offerte à l’humanité pour résoudre le cruel problème de la faim dans le monde.
Pour le comité d'éthique de l'INRA « il faut nuancer cette affirmation. Les biotechnologies peuvent jouer un rôle dans le développement. Mais leurs promoteurs doivent cependant l’assumer avec réalisme. Elles perdraient leur crédibilité et leur efficacité si elles apparaissaient comme une solution miracle, comme un alibi exonérant les pays industrialisés de leurs devoirs plus globaux vis-à-vis des pays en voie de développement.»

Au départ, les OGM étaient pensés comme source de diversification des produits végétaux. Mais leur introduction favorise aujourd'hui l'uniformisation des productions (engouement pour des spéculations à bon rendement économique immédiat)


Quels sont les risques ?
- Un gène de tolérance à un herbicide (induit par des antibiotiques), pourrait a plus ou moins grande échéance se retrouver dans le produit final et rendre la plante impropre à la consommation.
- Toucher à un aspect de la plante pourrait aussi jouer sur ses qualités nutritionnelles.
- Les effets à long terme sur notre organisme restent pour le moment inconnus. La mise sur le marché du soja génétiquement modifié ne date que de 1997.
- La contamination des plantes "biologies" reste un problème. Le maïs OGM était la seule plante autorisée en France et dans les autres pays de l'Union européenne, car ses pollens ne pouvaient pas fertiliser les maïs "biologiques". En revanche, ce n'est pas le cas du colza et du soja.


Ne faut-il rien faire si l'on ne mesure pas les conséquences environnementales et sanitaires ?
Il faut s’engager avec prudence dans le passage à l’expérimentation en champ, puis à la commercialisation.
Si les promoteurs de l'agriculture biologique craignent la « contamination » de leurs produits par des OGM, les agriculteurs « conventionnels » pourraient subir des restrictions d'usage de variétés végétales transgéniques susceptibles d'améliorer leur compétitivité et leurs conditions de travail.

Une voie médiane doit être définie, qui ne devrait pas uniquement résulter du rapport des forces politiques et économiques, mais mobiliser l'autorité publique en vue d’organiser la coexistence des différents modes de production.


Les OGM peuvent-ils répondre aux besoins alimentaires de pays qui souffrent de la famine, comme au Niger ?
© UNICEF Niger\/2003\/Pirozzi

OGM : la future alimentation des pays pauvres ?

La population du monde devrait avoisiner 7,8 milliards en 2025 (6,46 milliards dans les pays en développement) pour plafonner à 9,5 milliards avant la fin du XXIe siècle ;
Dans ce contexte les biotechnologies peuvent jouer un rôle mais il doit être ciblé et évalué avec réalisme. Un exemple peut éclairer ce propos, c’est celui de l’eau.
L’eau sera d’ici 2025 l’élément limitant de la production agricole.
Il est donc a priori légitime de soutenir des programmes d’amélioration génétique, y compris par génie génétique, qui permettent d’économiser la consommation d’eau en agriculture. Or chacun sait que dans beaucoup de pays, y compris industrialisés, 75% de l’eau est perdue entre le point où elle est recueillie et le point où elle est utilisée. Economiser, par exemple, grâce à des OGM, 20% de la consommation en eau des plantes est quelque chose de bienvenu, mais ne représentera guère, globalement, que 5% d’économie


Le recherche sur les plantes OGM en France

Si la culture de maïs OGM est interdite en France, elle reste en revanche nécessaire sur le plan de la recherche, pour utiliser la génétique dans la lutte contre les maladies des plantes par exemple, mais aussi dans le cadre de nouvelles applications comme produire des bioplastiques à partir de végétaux.

Quant aux essais en plein champs de plantes génétiquement modifiées peuvent , ils peuvent poursuivre plusieurs objectifs :
- évaluer la propriété innovante introduite dans l'OGM
- évaluer la performance agronomique globale de la lignée
- évaluer les impacts écologiques.


Pierre Feillet, membre de l’Académie d’agriculture, membre de l’Académie des technologies

Pierre Feillet, est directeur de recherche émérite à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), membre de l’Académie des technologies et de l’Académie d’agriculture de France. Il porte un regard bienveillant sur la culture des plantes OGM.


Gérard Toulouse, membre de l’Académie des sciences, membre de l’Académie des technologies

Gérard Toulouse, est physicien, directeur de recherche à l’Ecole normale supérieure (Paris), membre fondateur de l’Académie des Technologies, ancien président (2001-2006) du Comité permanent de Sciences & éthique de l’Alliance européenne des académies, également membre du comité d'éthique INRA/CIRAD.
Il est correspondant de l’Académie des sciences et membre de l'Académie des technologies.



En savoir plus :
- Gérard Toulouse, correspondant de l'Académie de sciences->http://www.academie-sciences.fr/Membres/T/Toulouse_Gerard.htm], [membre de l'Académie des technologies
- Pierre Feillet, membre de l'Académie des technologies->http://www.academie-technologies.fr/membres/membresWhosWhoDetail.php?user=135], [membre de l'Académie d'agriculture

- Avis du du comité d’éthique de l’INRA émis en 2004
- Dossier de vulgarisation scientifique sur les OGM sur le site Internet de la Cité des sciences

- Marie Monique Robin, journaliste ayant reçu le prix Albert Londres, est l'auteur d'un documentaire critique sur les OGM, Le monde selon Monsanto, diffusé sur la chaîne Arte en avril 2008. Des extraits sont disponibles sur le site d'Arte.


Gérard Toulouse, Regards sur l'éthique des sciencesImage retirée., éditions Hachette Littérature, 1998
Pierre Feillet, La nourriture des Français : de la maîtrise du feu... aux années 2030, paru aux éditions Quae éditions 2007



Écoutez également notre émission Votre assiette en 2030 : cinq scénarios possibles en compagnie de Pierre Feillet

Cela peut vous intéresser