Paris au Moyen Âge, avec Philippe Contamine, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres

À propos de "La demeure médiévale", une exposition aux Archives nationales
Philippe CONTAMINE
Avec Philippe CONTAMINE
Membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres

Pour cette toute première émission du "Cercle des médiévistes", c’est l’académicien Philippe Contamine, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, que vous allez entendre. Il a choisi d’évoquer une belle exposition : « La demeure médiévale à Paris » qui se tient aux Archives nationales à Paris, en cet automne 2012. Combien d’habitants demeuraient en la capitale au XIIIe et au XVe siècles et dans quels types d’habitations ? Si les plus récentes recherches affinent les réponses, bien des interrogations restent en suspens...

"Le Cercle des médiévistes"invitera régulièrement les historiens spécialistes du Moyen Age, membres de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, à tour de rôle et en fonction des goûts de chacun, pour qu’il évoque une exposition, un livre, un colloque, bref, tout événement digne d’attention relatif au Moyen Age.

Texte de la chronique de Philippe Contamine :

Malgré quelques tentatives plus anciennes, y compris avant la Révolution, c’est essentiellement à partir du milieu du XIXe siècle que des historiens, des historiens de l’art, des archéologues, des architectes du patrimoine commencèrent à s’intéresser de près au passé médiéval du bâti parisien. On peut ici parler de l’influence, directe ou indirecte, de Victor Hugo (Notre-Dame de Paris) et d’Eugène Viollet-le-Duc. Le point d’aboutissement de cette démarche correspond à l’imposante publication de l’ouvrage en six volumes, paru entre 1879 et 1897, sous le titre Topographie historique du Vieux Paris, dont les deux principaux auteurs sont Alphonse Berty et Henri Legrand. Encore aujourd’hui le livre fait référence. Mais ni les investigations ni les interventions ne s’arrêtèrent là : il n’est que de songer au rôle, depuis plus d’un siècle, de la toujours active Commission du Vieux Paris dont les travaux commencèrent en 1897. Signalons aussi la création en 1978 par notre confrère Jean Favier, alors directeur général des Archives de France, du Centre de topographie parisienne, ou encore les initiatives du regretté André Chastel.

L’exposition présentée aux Archives nationales, dans les salles du premier étage de l’hôtel de Soubise, sous le titre « La demeure médiévale à Paris », se propose d’offrir au public le résultat le plus récent de recherches certes menées de longue date mais qui ne cessent de se poursuivre. Ces dernières années, ces derniers mois n’ont-ils pas été marqués par de véritables découvertes archéologiques, ainsi quant aux caves de l’hôtel dit de Clisson, édifié au XIVe siècle pour le connétable de France Olivier de Clisson - un hôtel dont les vestiges sont depuis le XVIIIe incorporés précisément à l’hôtel de Soubise ?
Sous l’autorité d’Agnès Magnien, directrice des Archives nationales, les deux commissaires de l’exposition, Étienne Hamon, professeur d’histoire de l’art médiéval à l’Université de Picardie, et Valentine Weiss, conservateur du patrimoine, responsable du Centre de topographie historique de Paris aux Archives nationales, ont uni leurs talents et leurs compétences, leurs passions, pour réaliser cette exposition thématique qui se veut à la fois ambitieuse et accessible au plus grand nombre.

Paris au XIII e siècle : constructions et lotissements

Bien que ses limites chronologiques aillent en principe du début du XIIIe au début du XVIe siècle, de Philippe Auguste à Louis XII, en fait l’exposition, par la force des choses, est amenée à privilégie la période qui commence avec Charles V et avec la construction de sa fameuse enceinte, sur la rive droite, laquelle a eu comme résultat de porter à quelque 450 ha la superficie parisienne protégée. Telle fut la ville close, dont les remparts étaient étayés par la forteresse du Louvre à l’ouest et la Bastille à l’est. Cela étant, il faut admettre, bien que trop peu documenté, un puissant, un intense effort de construction, d’urbanisation, de densification, au cours du long XIII e siècle. Des espaces ruraux furent alors lotis, des chemins devinrent des rues. Quand même, ne rêvons pas : en 1292, la municipalité parisienne était en mesure de lever l’impôt sur seulement 15 000 contribuables, recensés rue après rue. Quoi qu’il en soit, ni la Peste noire (1348) ni, dix ans plus tard, les troubles sociaux et politiques du temps d’Étienne Marcel ne firent chuter la population, peut-être même au contraire. On aurait ainsi un apogée démographique, économique, artistique vers 1400. Par le biais de l’argent public, toutes les richesses du royaume venaient s’y concentrer. Puis les circonstances entraînèrent un vrai collapsus à partir de 1415-1420, suivi d’une reprise lente et régulière à compter du milieu du XVe siècle. Un point est à relever : pendant ces trois siècles, Paris ne subit aucun siège destructeur ni aucun grand incendie.



Au milieu du XV e siècle, des maisons à l'abandon

De façon un peu arbitraire, il est parlé de 10 000 maisons individuelles vers 1500. Mais alors en moyenne combien d’habitants par maison ? C’est ce qu’il est impossible à déterminer. Ces maisons représentaient un investissement. Leur propriétaire pouvait y vivre avec les siens mais il y avait aussi des immeubles partiellement ou entièrement de rapport, abritant des locataires, difficiles à saisir dans la documentation. Un très grand nombre de maisons étaient chargées de rentes. Ces rentes constituaient un moyen privilégié de placer ses capitaux. Encore fallait-il qu’il y ait quelqu’un sur place susceptible de payer : or, précisément entre 1420 et 1450, beaucoup de maisons furent laissées à l’abandon, se transformèrent en ruines, en masures, ce qui provoqua du même coup la ruine des rentiers. En revanche, convenablement entretenue, une maison à pignon, avec façade (plutôt étroite) sur la rue, à pans de bois et toit de tuiles plates, comportant un cellier en sous-sol, un ouvroir, un étal ou une échoppe au rez-de-chaussée et un ou deux étages desservis par une vis en bois, plus un grand grenier, pouvait durer longtemps. Un chiffre est donné : peut-être y avait-il, encadrés par des organismes professionnels (les fameux métiers jurés) et surveillés par les voyers, un millier de travailleurs du bâtiment, oeuvrant par petites équipes : maçons, charpentiers, couvreurs, et accessoirement tailleurs de pierre, serruriers, verriers, menuisiers. Une demi-douzaine de compagnons pouvait ainsi construire eu quelques semaines une maison de ce genre. Bien sûr, pour ce type de construction, il n’était nul besoin d’architecte.

Hôtel de Clisson, rue des Archives à Paris


Un mode privilégié de connaissance de ces maisons et de leur implantation dans les parcelles vient du fait que le sol parisien était partagé en plusieurs censives relevant de seigneuries, le plus souvent ecclésiastiques. Or, surtout à partir des XVe-XVIe siècles, des plans figurés furent réalisés pour telle ou telle de ces censives ou parties de censives, où se voient nettement l’alignement des maisons et le contour des parcelles.

Quelques grandes demeures aristocratiques

Mais l’étude de la maison individuelle, de la maison ordinaire du « bourgeois de Paris », n’est pas le seul objet de l’exposition. En effet, le propre de Paris, de Paris capitale politique, administrative, religieuse, était de comprendre en grand nombre non seulement des églises et des chapelles, des monastères et des couvents, des collèges universitaires, des hospices mais également des hôtels appartenant à des princes du sang, à des grands seigneurs, à l’élite des officiers royaux, à des évêques et à des abbés, répartis sur la rive gauche comme sur la rive droite. On voit très bien par exemple comment l’émergence de l’hôtel Saint-Pol, sous Charles V, eut comme résultat la construction d’hôtels par les grands, et c’est ici que l’on retrouve l’hôtel de Clisson.



Une exposition parfaitement présentée

Tour de Jean-sans-Peur à l’hôtel de Cluny, Paris

J’ajoute que chaque visiteur se voit remettre un très utile livret qui permet de parcourir l’exposition et d’identifier clairement les quelque 150 élements qu’elle réunit. On y trouve aussi la transcription de textes significatifs et la liste des principales demeures médiévales ou de tradition médiévale (jusqu’au XVIIe siècle) encore visibles à Paris, de la tour Jean sans Peur à l’hôtel de Cluny, de la maison d’aumône de Nicolas Flamel à la tourelle en encorbellement de l’hôtel Hérouet, des caves de l’hôtel de Clisson à celles de la maison possédée à Paris par l’abbaye cistercienne d’Ourscamp.

On peut estimer que ces trente témoins, ce n’est pas beaucoup, mais on aurait tort d’incriminer le vandalisme du seul XIXe siècle : en réalité, les destructions les plus nombreuses datent de l’époque classique et du remplacement par des maisons en moellons, plâtre et pierre de taille des maisons médiévales dites à colombage.

Est aussi en vente, publié par les éditions d’art Somogy, un très bel ouvrage portant le même titre que l’exposition, La demeure médiévale à Paris. Il réunit une trentaine de chapitres, rédigés par les meilleurs spécialistes, qui font le point sur le sujet – un grand sujet d’histoire. C’est le mérite à la fois du livre et de l’exposition d’en démêler tous les fils.




A VOIR :


-L’exposition « la demeure médiévale à Paris », se tient aux Archives nationales, Hôtel de Soubise, 60 rue des Francs-Bourgeois, à Paris 3ème, du 17 octobre au 14 janvier 2013. Tous les jours sauf le mardi et les jours fériés.

- et aussi l'exposition "l'art d'aimer au Moyen Age" proposée par la Bibliothèque nationale de France. http://www.bnf.fr/fr/acc/x.accueil.html
A LIRE :

Weiss (Valentine), éd., La demeure médiévale à Paris. Répertoire sélectif des principaux hôtels, Paris, Archives nationales, 2012.

Consulter la fiche de Philippe Contamine sur le site de l'Académie des inscriptions et belles-lettres


En savoir plus :


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