Affaire, à faire ?

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Parfois, les mots ont une origine transparente : qui pense spontanément, par exemple, que le plafond est un fond plat, ou bien que l’adverbe maintenant correspond au fait que cela se passe pendant que je vous tiens la main, main …tenant ? Il en va de même pour le mot affaire : on se retrouve en effet avec ce mot tout simplement dans cette situation quotidienne consistant à ce qu’en se couchant ou en se levant, on se pose cette question : que me reste-t-il « à faire » ? Notre lexicologue Jean Pruvost va intelligemment vous conseiller !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots652
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Nous sommes effectivement indéniablement ici dans la famille du verbe faire, issu du latin facere, réaliser quelque chose, créer, commettre.

Le mot affaire est d’emblée d’un certain embarras orthographique : je ne viendrais pas « car j’ai précisément affaire à cette heure-ci », lit-on chez Honoré de Balzac (Annette et le criminel, 1824). Affaire est alors écrit en un mot avec deux f. Mais c’est un débat ouvert qu’on retrouve encore dans le Figaro en février 1938 : avoir affaire, affaire en un mot ou deux et de citer Littré qui autorise les deux, avoir a f f a i r e ou « à » plus loin « faire », selon l’origine même du mot, le verbe faire.

Autre affaire à propos du mot affaire… Il fut jusqu’au XVe siècle, masculin, on disait en effet au Moyen Âge un affaire, puis aux XVIe et XVIIe siècles affaire fut des deux genres tantôt masculin, tantôt féminin, pour enfin, à partir du XVIIIe siècle, passer définitivement au féminin. Marot écrit par exemple vers 1530 : il faut « m’excuser si pour le mien affaire, je ne suis point vers vous allé parler ». J’ai « un certain urgent affaire », lit-on de la même manière chez Rabelais. Le bon Littré explique qu’il était logique que ce soit au masculin puisqu’en langue française tous les infinitifs devenant des noms sont au masculin : le boire et le manger, le dîner, le déjeuner, le parler, le vouloir, le faire savoir, etc.
Quant aux évolutions de sens du mot affaire, elles sont multiples et riches. Ainsi, c’est dès le XIIe siècle, qu’est déjà attesté l’affaire en tant qu’ « ensemble de faits liés entre eux », mais aussi l’« ensemble d’objets ou de vêtements personnels ». Le Seigneur tout comme l’homme d’aujourd’hui pouvait donc entendre son épouse lui dire, dans quelque salle du château médiéval : « tout de même, sire, vous pourriez ranger vos affaires »…
Il faut attendre ensuite le XVIe siècle, pour que les affaires, au pluriel donc, désigne ce qui a pour objet les intérêts publics, mais aussi dès le XVIIe siècle les entreprises financières conçues par ce qu’on appelait des « gens d’affaire ». L’affaire sera également au cours du grand siècle, siècle très procédurier, synonyme de querelle « il y a une grande affaire à la cour », et donc de procès.

On constate donc que le mot affaire est prospère en sens différents est liés, depuis la liste des choses à faire, forcément nombreuses, jusqu’à la gestion de problème et d’argent. S’agissant d’argent, il faut évidemment savoir conduire les affaires, en évitant de se retrouver dans une vilaine affaire.
Les affaires ont souvent fait sourire les écrivains, par exemple Jules Renard déclarant: « Chacun sait, que celui qui dit : "Moi, je ne suis qu’un homme d’affaires", se fait rouler par celui qui dit : "Oh ! moi, je n’entends rien aux affaires". » Quoi qu’il en soit, on rejoindra le facétieux Tristan Bernard affirmant à la mode de Coluche ou de Fernand Reynaud qu’il « vaut mieux être plusieurs sur une bonne affaire que seul sur une mauvaise affaire ».

Texte de Jean Pruvost.

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire. Et chaque année, il organise la Journée Internationale des Dictionnaires.

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