Quel mixe énergétique en France à l’horizon 2050 ?

avec Edouard Brézin, Sébastien Candel et Guy Laval, de l’ACADEMIE DES SCIENCES
Sébastien CANDEL
Avec Sébastien CANDEL
Membre de l'Académie des sciences

Charbon, gaz, pétrole, nucléaire, énergies renouvelables : quelle sera la répartition de notre bouquet énergétique en France à l’horizon 2050 ? Éléments de réponses en compagnie de trois académiciens spécialistes des questions énergétiques : Edouard Brézin, Sébastien Candel et Guy Laval. Les membres du Club Canal Académie ont pu poser des questions auxquelles nos invités ont répondu.

La consommation actuelle d’énergie dans le monde tourne autour d’une dizaine de milliards de tonnes équivalent pétrole (TEP) ; une consommation qui devrait doubler à l’horizon 2050. En France, nous consommons en moyenne 4 TEP par habitant par an. « La moyenne dans le monde tourne autour de 1,8 » précise Sébastien Candel. La France se situe donc au-dessus de la moyenne mais reste beaucoup moins gourmande que certains pays comme le Japon et les États-Unis qui consomment 10 TEP par an par habitant. « Ces pays sont même plus gourmands en énergie l’été que l’hiver car ils sont tous climatisés. En France nous avons échappé à cela pour l’instant » constate Édouard Brézin.

Un des enjeux actuels en France et dans le monde consiste à réaliser des économies d’énergie pour d’une part retarder le déficit des ressources et d’autre part diminuer les émissions de gaz à effet de serre. « C’est ce que nous faisons avec l’industrie automobile, les ampoules à basse consommation et la construction de bâtiments HQE [] dans les pays industrialisés » pour Edouard Brézin. Mais l’équation de la baisse des émissions de gaz à effet de serre, avec un doublement de nos consommations énergétiques pour l’ensemble du monde, demeure difficile à résoudre…
Une solution demeure cependant envisageable dans les transports : l’exploitation de la voiture électrique. « C'est très important, car cela va permettre d’économiser le combustible fossile. Néanmoins, cela ne se fait pas en un instant, il faut que le parc automobile change progressivement. Peut-être 20% du parc automobile sera électrique d’ici 2050. Cela correspondrait à une puissance électrique d’environ 20 GW, à comparer avec les 60 GW aujourd’hui fournis pas nos centrales nucléaires. C’est donc une proportion importante mais réalisable » nous explique Sébastien Candel.

Énergie nucléaire versus énergies renouvelables

C’est la particularité de la France au sein de l’Union européenne : 80 % de notre énergie électrique est d’origine nucléaire. Le reste est issu des ressources hydroélectriques, du charbon, du gaz naturel. L’éolien et le solaire interviennent de manière plus marginale.
Or, l’Union européenne a fixé un objectif de 20% d’énergies renouvelables d’ici 2020.
Cela signifie-t-il que nous allons nous orienter par la force des choses vers une baisse de l’exploitation du nucléaire au profit du des énergies vertes ?

Pour Guy Laval, cette contrainte sur la proportion d’énergies renouvelables ne lui semble pas adaptée à la question qui se pose actuellement, à savoir la baisse des émissions de gaz à effet de serre et la question du réchauffement climatique. Par ailleurs, « mettre en place des méthodes de capture du CO2 à la sortie des brûleurs des usines à combustibles fossiles (hormis le pétrole) permettrait de réduire ces émissions et auraient un effet tout aussi bénéfique que d’utiliser les énergies renouvelables. De toute façon, le charbon est là pour prendre la relève après le pétrole… Le problème n’est pas dans l’état des ressources mais dans la manière dont on les utilise ».

Mais après l’accident nucléaire de Fukushima, des voix s’élèvent contre l’exploitation de cette énergie. L’aspect émotionnel pourrait avoir un impact négatif sur la construction retardée et moins développée de réacteurs de quatrième génération, des réacteurs qui utiliseraient pourtant les déchets des centrales des première et deuxième générations, assurant dès lors une énergie gratuite et stockée sur le territoire français pendant plusieurs milliers d’années.
Quant au développement d’ITER à l’horizon 2050 pour les plus optimistes, cette centrale révolutionnaire puiserait ses ressources en partie de l’eau des océans et aurait une radio-toxicité très faible [].

Produire de l’énergie à partir de l’éolien principalement, comme le Danemark serait-il une utopie ? « L’éolien est intéressant pour ce pays car il remplace de manière intermittente les centrales à charbon. En France l’éolien est moins intéressant car nous avons peu de centrales thermiques » nous disent en substance Edouard Brézin et Sébastien Candel.
Ainsi Sébastien Candel nous détaille-t-il très précisément les enjeux de l’exploitation des énergies renouvelable selon le pourcentage escompté par l’U.E. : « Lorsque l’on fait des évaluations quantitatives des surfaces nécessaires pour déployer des éoliennes, elles sont considérables. Partager les 20% demandés par l’UE en termes de renouvelable entre l’éolien, le solaire et la biomasse, demanderait à ce que la France installe quelque 40 000 éoliennes sur une surface de 26 000 km2, soit 5% du territoire français, et cela pour arriver à 1/3 des 20% demandés.
Pour le solaire, il faudrait installer 2 600 km2 de fermes solaires avec tout le câblage que cela nécessite. Pour la biomasse, on arriverait aussi à des exploitations au sol de 26 000 km2 qui pourraient cohabiter avec l’éolien. Ensuite, nous aurions besoin d’une cinquantaine de centrales à gaz pour venir en complément de ces énergies intermittentes »
.

Eoliennes off shore au Danemark



En revanche, si la France ne bénéficie pas d’un ensoleillement optimum sur la majorité de son territoire, l’énergie solaire intéresse les Espagnols. Ces derniers se sont penchés sur le « solaire concentré » ; une technique qui consiste à utiliser des miroirs renvoyant les rayons du soleil pour chauffer l’eau et dont la vapeur fait tourner les turbines. « Le grand avantage du solaire concentré, c’est que l’on peut stocker l’énergie, à la différence de toutes les autres » précise Edouard Brézin.
Et l’exploitation du solaire dans le désert ? « C’est un projet intéressant car nous pourrions récupérer de l’énergie en très grande quantité sur des espaces peu occupés. Mais cela nécessite de s’entendre avec les pays pour une exportation de l’énergie... Quant au sable, il ne serait pas vraiment gênant s’il recouvrait les panneaux solaires, mais il le serait plus sur les miroirs du solaire concentré » répond Sébastien Candel.

Bientôt l’ère du charbon…

Mais pour l’heure, plus que les énergies vertes et le nucléaire, c’est le charbon qui a le vent en poupe. Et cela, pour de nombreuses années encore...
Michel Combarnous, correspondant à l’Académie des sciences, a réalisé une prévision des répartitions de la consommation des énergies d’ici 2200. En tête arrive le charbon à 25%, la biomasse à 13%, le thermodynamique à 12%, le nucléaire à 10% et le pétrole à 5% de l’ensemble de nos exploitations énergétiques (Ecoutez notre émission : Quelles énergies en 2200 ?).
On estime en effet qu’une centrale thermique est construite toutes les semaines en Chine.

Centrale au charbon, Shuozhou, Shanxi, Chine



« Il faut se rendre à l’évidence : le charbon est abondant et pas cher. Les pays qui ont beaucoup de charbon le brûle face à l’urgence » constate Edouard Brézin. Il faut donc envisager que les pays émergents construisent et exploitent de plus en plus de centrales à charbon tandis que les pays industrialisés poursuivent leurs avancées en matière nucléaire pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. « On souhaiterait que le charbon soit consommé tout en captant le CO2 à la sortie. Cela demeure une possibilité qui n’a pas été étudiée pour l’instant à grande échelle » regrette Sébastien Candel.

« On parle de l’horizon 2050, mais après cette date, l’effet de serre n’aura pas disparu. C’est à ce moment-là que la fusion nucléaire sortira son atout maître et pourra résoudre tous les problèmes que l’on se pose si elle devient compétitive » ajoute Guy Laval.

Reste la question du coût des énergies. Le prix des combustibles fossiles augmente par la force des choses et la tendance ne peut que s’accentuer. Le nucléaire aussi va augmenter, pour répercuter le coût des démantèlements dans les années à venir et accroître la sécurité. « Mais cette augmentation sera de l’ordre de 10%, ce n’est pas exorbitant » assure Guy Laval.


Réponses aux questions des auditeurs

C’est une nouveauté : Les auditeurs, membres du Club Canal Académie, peuvent nous faire parvenir leurs questions par mail. Vous aussi, envoyez vos questions à redaction@canalacademie.com et restez à l’affût des prochains sujets enregistrés en recevant notre lettre d’information hebdomadaire .

- Quels adjectifs doit-on utiliser pour qualifier les décisions allemandes sur l'arrêt total de leur programme nucléaire : C'est fou ? Follement courageux ? Follement civique ? Follement téméraire ?

Edouard Brézin : « Dans l’instant, dans l’émotion après l'accident nucléaire de Fukushima, on a tous envie de dire qu'on ne veut plus du nucléaire. Nous avons surtout la crainte de voir autour de nous un territoire condamné.
Néanmoins il faut regarder la planète dans son ensemble : en 2050, le doublement de l’énergie sera nécessaire parce que des pays sont en train de sortir du sous-développement. Nous n’allons pas nous en désoler. Et simultanément, il faut réduire le CO2. Il n’est pas question à mon avis de le faire sans faire appel à tout ce qui peut contribuer à cette baisse du CO2, c'est-à-dire le solaire, l'éolien, la géothermie et le nucléaire.
Un pays pauvre et émergent aura du mal à réunir les capitaux nécessaires pour le nucléaire. Si nous avions une bonne gestion des ressources de la planète, nous devrions aller plutôt vers une planète qui réserve les combustibles fossiles à des pays en voie de développement et réserve le nucléaire à des pays qui n’ont pas ces problèmes.
Je ne crois donc pas qu’il soit follement civique à l’échelle de la planète de suivre l’exemple allemand ».



- Je suis pour l’éolien, mais pas dans ma région de la baie du mont Saint-Michel, classé patrimoine mondial de l'UNESCO.

Edouard Brézin : « C’est ce qu'on appelle en anglais l'effet “Nimby”, “Not In My Back Yard” qui signifie « pas dans mon arrière-cour »...
Je ne suis pas contre les éoliennes, il nous en faudra. Mais il faut aussi avoir en tête que les pays comme le Danemark et l’Allemagne qui ont le plus d’éoliennes sont aussi ceux qui consomment le plus de charbon et émettent le plus de gaz à effet de serre »
.


- Je trouve la méthode de la fusion très intéressante. Avons-nous une date estimée du développement de cette énergie ? Et au niveau des risques : existent-il ? Quels sont-ils en comparaison des centrales nucléaires actuelles ?

Guy Laval : « L'avantage essentiel de la fusion, c'est qu'elle n'utilise ni uranium ni plutonium comme combustible. Elle utilise un combustible anodin : un mélange de deutérium qui se trouve dans l’eau de mer et du lithium.
À partir de ces deux composants on peut fabriquer des quantités d’énergie considérables, mais il faut pour cela porter la matière à des températures invraisemblables : plusieurs millions de degrés.
C'est une source d’énergie quasi inépuisable, sans aucun risque analogue aux centrales actuelles, avec seulement quelques matériaux radioactifs et pas d’augmentation de température violente en cas d'arrêt de la machine. On ne craindrait donc pas d’accident .
Le lithium est transformé en tritium avant d’être injecté dans la machine pour faire de l’énergie. Celui-ci est radioactif, mais sa radio-toxicité est très faible.
Seul point négatif, la fusion est difficile à obtenir mais ses promesses sont grandes. Actuellement, ITER et le principe de la fusion ne sont pas pris au sérieux, on ne cherche pas à intéresser les industriels. Tout ça ralentit les recherches. Une première usine pourrait voir le jour d’ici 2050 avec des prévisions très optimistes ».




Edouard Brézin

Édouard Brézin est physicien, professeur émérite à l'École normale supérieure, il a réalisé une partie de sa carrière au CEA.
Il est président honoraire de l’Académie des sciences.

Sébastien Candel

Sébastien Candel est professeur à l'École Centrale Paris et à l'Institut Universitaire de France. Ses domaines de compétences portent notamment sur la combustion la propulsion et la mécanique des fluides. Il est membre de l'Académie des sciences.

Guy Laval

Guy Laval est physicien, directeur de recherches émérite au CNRS, vice-président délégué aux relations internationales au sein de l’Académie des sciences. Ils s'intéresse notamment à la fusion nucléaire, et au projet ITER.

En savoir plus :

- Édouard Brézin, membre de l'Académie des sciences
- Édouard Brézin sur Canal Académie

- Sébastien Candel, membre de l'Académie des sciences
- Sébastien Candel sur Canal Académie

- Guy Laval, membre de l'Académie des sciences
- Guy Laval sur Canal Académie

À noter : Edouard Brézin, Sébastien Candel et Guy Laval appartiennent au groupe Solidarité Japon créé au sein de l'Académie des sciences, section nucléaire.
Leurs propos dans cette émission n'engagent cependant pas le groupe solidarité Japon.


- Ecoutez Solidarité Japon : premières conclusions du rapport sur les risques sismiques et nucléaires

Cela peut vous intéresser