Rémunération des médecins et accès aux soins : faut-il repenser la médecine en France ?

Avec Guy Vallancien, correspondant de l’Académie nationale de médecine

Plus de la moité des étudiants en médecine et 60% des jeunes médecins ne veulent pas s’installer en zone rurale. Alors que faire dans une société qui aura de plus en plus besoin de soins à domicile ? Faut-il contraindre les jeunes médecins à exercer à la campagne pendant leurs 5 premières années ? Faut-il rétribuer davantage les médecins installés à la campagne ? Ou la solution est-elle dans un maillage géographique des maisons de santé ? Le praticien Guy Vallancien nous présente ses solutions et n’hésite pas à se positionner à contre-courant de ses confrères.

Pour Guy Vallancien, nous ne sommes pas en déficit de médecins, mais en déficit de professions intermédiaires : « Je constate qu’entre l’infirmière bac +3 et le médecin bac +12, nous n’avons pas d’intermédiaire : ce serait essentiel d’avoir des niveaux master. Dans un cas sur deux, les infirmières libérales assurent des toilettes, ce qui est le rôle des aides soignantes, le médecin généraliste prend la tension, ce qui est le rôle de l’infirmière et le spécialiste fait le diagnostic du médecin généraliste : la chaîne de soin s’est dégradée il faut totalement la remonter ».

Accéder aux soins à la campagne

Est-il plus difficile d’accéder à des soins de qualité à la campagne ?
« Quand on compare la région PACA à la Picardie on peut se poser la question de savoir qui a raison : la région qui est en surpopulation médicale ou là celle qui est en sous population. C’est plus complexe qu’on ne le croit. Les Français ont été habitués, de par le remboursement de la sécurité sociale, à aller chez le médecin pour un oui ou pour un non. Je dis qu’il y a une éducation à faire. »
Guy Vallancien poursuit par des propos corsés : « Si les gens sont prêts à faire 30km pour aller dans les centres commerciaux le week-end alors ils peuvent faire 30km pour aller consulter à l’hôpital ». L’ère du médecin isolé dans son village semble révolue.

Pour notre invité, la télémédecine encore balbutiante en France, mais effective en Ontario au Canada, pourrait être une solution. « La télémédecine nous permettrait deux ou trois jours par semaine de nous déplacer en bus médical avec tous les outils nécessaires, pour rencontrer les patients dans les zones les plus isolées ».
Deuxième espoir : les maisons et centres de santé qui poursuivent leur maillage géographique sur toute la France.

Les maisons de santé : la solution à la désertification d'espaces par les médecins ?

Depuis 2005 les maisons et les centres ont vu le jour un peu partout en France. Il s’agit d"une réunion de personnel médicaux et para-médicaux pour exercer ensemble en complémentarité. Ces maisons sont créées par la municipalité ou des médecins libéraux. Mais leur fonctionnement est parfois encore hésitant : « Créer une maison de santé d’un point de vue juridique reste aujourd’hui assez compliqué. Il faudrait un statut unique de maison de santé avec un gérant, un règlement intérieur défini par les acteurs. Actuellement, ce n’est pas le cas ». Cette formule, Guy Vallancien est en certain, permettrait de résoudre le dilemme consistant à forcer les jeunes médecins à s’installer dans des zones isolées.

Fermer des blocs opératoires à l'hôpital

Guy Vallancien observe que l’on fait appel à des médecins étrangers, au demeurant fort compétents, dans un certain nombre d’hôpitaux pour lesquels il faudrait peut-être se poser la question de savoir s’il faut maintenir les services. « Je pense à la chirurgie en urologie. Nous avons des hôpitaux en France dont la pratique est encore trop incertaine en nombre d’actes par an. Ce sont dans ces hôpitaux que très souvent exercent ces médecins étrangers, là où les médecins français ne veulent pas aller.
Je suis pour un numerus clausus de 1500 à 2000 actes opératoires par an en dessous duquel les blocs fermeraient. Faire 30 ou 40 km pour une opération et rester 5 jours à l’hôpital n’est pas dramatique. En revanche, il est important, et urgent d’installer une médecine de proximité pour le diabète, l’hypertension… qui doivent être traités dans les maisons de santé. »

Changer le mode de rétribution des médecins

La rémunération des médecins libéraux pose régulièrement problème. Les praticiens trouvent leurs revalorisations trop maigres mais les patients ne souhaitent pas forcement payer plus.
Pour Guy Vallancien, notre système est obsolète. « Le paiement à l’acte est mort parce qu’il ne paye que l’acte. Or les médecins font beaucoup plus qu’un acte médical : il faut ajouter la partie administrative, la surveillance, les actions thérapeutiques, la prévention. Tout ceci n’est pas pris en compte. Je suis persuadé qu’il faut arriver à un mixe de rémunération forfaitaire et le reste en acte ».

« Médecins hospitaliers ou libéraux nous sommes tous subventionnés. C’est l’argent public des cotisations des Français qui paie les médecins. Il serait logique que les médecins soient rétribués en fonction de la qualité de la spécialité exercée ».

Être rémunéré en fonction de la qualité du travail fourni, c’est une notion révolutionnaire en France que propose Guy Vallancien, sous-entendant par la même occasion que tous les médecins ne soignent pas avec la même rigueur... « Nos voisins britanniques procèdent déjà ainsi » rappelle-t-il. Les critères permettant de rémunérer les médecins sont définis par la National health system.

Étudier la médecine : ouvrir les portes au filières techniques et littéraires

La faculté de médecine est la seule à procéder à un concours en fin de première année ; un concours drastique où sur 50 000 étudiants seuls 7500 sont reçus. « Pourquoi sélectionner à ce point des étudiants qui rêvent de faire ce métier et qu’on juge sur ces sciences dures tels que les mathématiques, la physique, la statistique ? Il faut chercher les étudiants en médecine quelque soit leur bac. Je souhaiterais que l’on mette en place au lycée une prépa santé. Ainsi les jeunes pourraient rapidement savoir s’ils sont dans la bonne direction ou pas ».

Écoutez les arguments de Guy Vallancien au cours de cette émission.

Guy Vallancien est urologue, professeur à l’Université Paris Descartes, membre de l’Académie nationale de chirurgie, correspondant de l’Académie nationale de médecine et secrétaire général du Conseil national de la chirurgie.
Guy Vallancien s'est consacré en dehors de ses activités, à la réorganisation de système de soins en France dans le cadre de différentes missions ministérielles.
Il a notamment participé à la rédaction du rapport sur le bilan des maisons et des pôles de santé et les propositions pour leur déploiement.

En savoir plus :

- Téléchargez le rapport Le bilan des maisons et des pôles de santé et les propositions pour leur déploiement (site de la Documentation française), 2009
Auteurs : Jean-Marc JUILHARD, Bérengère CROCHEMORE, Annick TOUBA, Guy VALLANCIEN

- Jean-Pierre Davant, Thomas Tursz, Guy Vallancien, Pierre Boncenne, La Révolution médicale, édition du Seuil, 2003
- Guy Vallancien, La santé n'est pas un droit : Manifeste pour une autre médecine, édition Bourin, 2007

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