L’Essentiel avec... Florence Delay, de l’Académie française

L’académicienne évoque des moments essentiels de sa vie
Florence DELAY
Avec Florence DELAY de l’Académie française,

Avec Florence Delay, de l’Académie française, tout est source de bonheur : l’enseignement de la littérature comparée, le théâtre, l’écriture, l’Espagne et ses chefs d’oeuvre, les écrivains dits "secondaires" à découvrir, les rencontres, et même la convivance. Pour elle, rien n’est aussi essentiel que la liberté, l’oisiveté féconde et la quête d’une vie intérieure...

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : hab565
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Florence Delay, élue à l'Académie française en 2000, a succédé à Jean Guitton sur le fauteuil n° 10.

Universitaire agrégée d'espagnol, enseignante de littérature générale et comparée, traductrice, essayiste, dramaturge, romancière dont la curiosité et créativité sont à l'image de sa culture, à la fois impressionnante, originale et éclairée. Parmi ses livres les plus récents :
- Trois désobéissances (roman publié chez Gallimard)
- Mon Espagne or et ciel, autobiographie intellectuelle sur les livres espagnols qui l'ont marquée (chez Hermann)

1 - Dans votre itinéraire, votre carrière, quel a été, à vos yeux, le moment essentiel ?

"- Je crois que c'est un échec. Je voulais faire du théâtre. A cause du divorce de mes parents, mon père m'a mis un marché en mains : si je choisissais l'agrégation d'espagnol, tradition familiale, il m'offrait un studio. Très bonne décision au fond, car j'ai pu exercer un métier magnifique, l'enseignement. Je remercie mon père."

Dans "Minuit sur les jeux"(1973), elle relate son goût de l'Espagne. La découverte des poèmes de Lorca fait partie de ces étapes qui ont tracé son chemin définitif vers l'Espagne. La littérature espagnole l'a constituée autant que la française. Elle éprouve une passion pour les écrivains espagnols. Avec Calderon, par exemple elle ressent un lien personnel. Elle cite deux titres "La vie est un songe", "le grand théâtre du monde" : "pour moi, ces deux images dramatiques m'ont guidée ; le monde est un théâtre et mon amour du théâtre vient de mon amour du monde, le monde où chacun joue son rôle. En espagnol, il n'existe qu'un seul mot pour dire songe, rêve et sommeil (sueño). Cette confusion est d'une grande fertilité, je la préfère à l'analyse de Descartes".

Autre auteur avec lequel son lien est profond : Bergamín.

José Bergamín Gutiérrez est un écrivain, poète, dramaturge et intellectuel espagnol, né à Madrid en 1895 et mort à Fontarrabie le 28 août 1983

Florence Delay l'a connu quand elle avait une vingtaine d'années, elle admirait sa radicalité, puis, le temps passant, sont apparues l'acuité mais aussi la cruauté de son intelligence. Ni lutin ni feu follet mais un homme dont les engagements politiques pouvaient mener à l'intransigeance. Son ardeur, son refus des compromis, n'est pas sans rappeler Bernanos. Tous deux ont été des écrivains devant traverser le pire. Bergamín a voyagé jusqu'à Marseille pour remercier l'auteur des "Grands cimetières sous la lune" au nom du peuple espagnol.

Comme enseignante de littérature générale comparée, son objectif était clair : faire aimer la littérature à ses étudiants : "Je disposais d'une certaine liberté en dehors des sujets imposés. J'ai ainsi traité des sujets qui m'étaient inconnus et nous cherchions ensemble. Ce qui me plaisait le plus, c'étaient leurs progrès. Leur bond en avant. Leur manière de prendre goût. En littérature, on est tous personnellement attendus. Certains écrivains moins connus nous attendent, il faut les découvrir. Je préfère la façon de traiter le paysage non par les montagnes mais par les collines... " Elle aime donc les auteurs qui nous séduisent "par effraction" (cf son livre La séduction brève 1997). Par exemple, Gertrud Stein, Robert Desnos, Valery Larbaud, Jules Supervielle.

Au cinéma, elle incarnait la Jeanne d'Arc de Robert Bresson. "Quand j'ai tourné Jeanne, j'étais très jeune, je n'ai pas du tout mesuré qui elle était. Je l'ai découverte par ses paroles authentiques. En mettant ses paroles en ma bouche, je l'ai découverte non par les batailles ou les livres, mais par ses paroles. Cela modifie incroyablement l'approche. Des années plus tard seulement, j'ai lu les grands livres, Péguy, Bernanos, Michelet".

2 - qu'est-ce qui vous parait essentiel à dire dans votre domaine d'activités aujourd'hui ?

- La liberté. "Chaque fois que j'ai terminé un livre, je me dis que je n'ai pas été suffisamment libre. C'est un prétexte pour en écrire un autre".

- L'oisiveté. "Ne pas trop combler son temps ; profiter de ce moment de la vie pour le hasard, la rêverie, la lecture ; découvrir cet "otium", l'oisiveté au sens noble".

Dans Mon Espagne Or et Ciel, elle évoque de nombreux écrivains espagnols. Mais peut-on pour autant parler d'une "identité espagnole"?
Florence Delay juge ce mot "identité" mal adapté. Elle préfère le mot "figures " comme celle du Cid ou du prince Sigismond.

Et la tauromachie ?

Elle évoque l'écrivain Miguel Hernandez, auquel elle a consacré des études importantes, qui écrit : "comme le taureau, je suis né pour le deuil et la douleur", un sonnet d'amour qui se termine sur l'envie d'entrer dans le territoire de la femme aimée, comme le torero doit découvrir le territoire de la bête.

Miguel Hernández Gilabert (30 octobre 1910 à Orihuela, province d’Alicante – 28 mars 1942 à Alicante) est un des plus grands poètes et dramaturge espagnol du XXe siècle

Mais ce qu'en a écrit Bergamín dans ses essais, l'a plus fortement marquée en décrivant "l'art de l'abracadabra", l'art de torerer, la magie de l'arène, ce moment de joie et de perfection quand l'homme et la bête s'unissent dans des passes.
(Bergamín a écrit un livre intitulé La solitude du Toréo).

La convivance

Ce mot est désormais entré dans le Dictionnaire. Vivre avec. Chrétiens, juifs, musulmans, ont vécu, avec des heurts mais en se supportant. "Cette période de la vie en Espagne, avant la Reconquête qui a voulu imposer la religion catholique, reste un modèle. L'esprit triomphe des murs. L'important est de tourner son esprit vers l'au-delà, vers Dieu. La convivance semble impossible alors qu'elle a eu lieu pendant des siècles."
(Florence Delay a prononcé un discours sur ce mot lors de la séance de rentrée des 5 académies en 2004. Pour le lire http://www.academie-francaise.fr
Florence Delay trouve que nous vivons une période sans assez d'imagination. Or, il ne saurait y avoir de grands livres ou de grands projets sans imagination ("mon enfant" comme disait René Char).

3 - Au regard du monde, de la société, qu'est-ce qui vous parait essentiel à dire aujourd'hui ?

- "A chacun de retrouver une vie intérieure, une vie où l'on fait confiance à ses propres forces. On se repose trop sur le collectif, les mêmes schémas, les machines. On perd sa singularité. On ne peut pas se fondre avec les autres tout le temps. J'aime chercher, je ne veux pas qu'une machine trouve pour moi, me prive de cette "promenade"".

4 - Pour vous, quelle est la plus grande hypocrisie de notre temps ?

- L'égalité. L'hypocrisie c'est de dire l'égalité alors que tout est inégal. Même la mort et le vieil âge. Nous prétendons à l'égalité. On dit ce mot mais il ne recouvre aucune réalité.

5 - Quel est l'évènement ou la tendance de ces dernières années qui vous laisse le plus d'espoir.

- L'existence de l'espérance. Ce n'est pas la même chose que l'espoir. Il y a des gens magnifiques dont on parle peu qui donnent de l'espérance.

La spiritualité, hors religions ? "Elle m'a souvent parue imbécile car les religions contiennent assez de grandeur pour qu'on s'y trouve bien. J'ai découvert tardivement les grands textes chrétiens mais c'est passionnant !" Il y a un élan vers "la vie intérieure" qui doit être nourrie quotidiennement. Son dernier roman, Trois désobéissances traite de la "terrible frontière" entre les vivants et les morts. Enseigner la littérature n'est d'ailleurs rien d'autre que de ressusciter la voix d'auteurs morts...

6 - Quel a été votre plus grand échec et comment avez-vous tenté de le surmonter ?

- L'échec, c'est de ne pas avoir eu des forces décuplées pour donner du temps aux autres et en prendre pour moi. Je n'ai pas chômé, beaucoup travaillé, mais j'aurais aimé avoir des journées plus longues.

Le professeur Jean Delay, de l’Académie française, ici dans son bureau de l’hôpital Sainte Anne à Paris.

Cette question lui donne l'opportunité d'évoquer son père, le psychiatre Jean Delay : "A la fin de sa vie, j'étais son meilleur ami" dit-elle. Jean Delay n'aimait pas Bergamín, tout les opposait. Elle s'en explique ici.

7 - Aujourd'hui, quelle est votre motivation essentielle ?

- "Aller le mieux possible vers la fin de mes jours, ne pas perdre la force d'âme ni le pouvoir de m'émerveiller. Tenter de trouver la joie du vieil âge." Et d'évoquer la très ancienne sagesse des Indiens Navarros sur la piste de la beauté.

Pour terminer l'émission, notre invitée nous offre la lecture d'un passage de Calderon parlant de la vie : "elle vit au bon plaisir du vent et va de moment en moment durant ce qu'elle peut durer puisqu'il n'y a qu'une nuance entre inspirer et expirer".

- Florence Delay a fait paraître un opuscule "Jeanne ou le langage de France" aux éditions Triartis.fr (18 pages, 2010, dans la collection "Paroles immortelles"). http://www.triartis.fr/PI_Jeanne.php

Consulter la fiche de Florence Delay sur le site de l'Académie :
http://www.academie-francaise.fr/immortels/index.html

Ecoutez nos autres émissions :
- Florence Delay rend hommage au poète Claude Esteban
- Florence Delay, de l’Académie française : Mes cendriers
- Florence Delay, de l’Académie française, rend hommage à Mgr Daniel Pezeril

Consulter la fiche de Jean Delay http://www.academie-francaise.fr/immortels/index.html

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