"Les yeux ouverts" : regard sur l’œuvre d’Albert Camus avec Pierre-Louis Rey

Dictionnaire Albert Camus, Robert Laffont Bouquins 2009
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Comment situer l’œuvre et la pensée d’Albert Camus mort en 1960, dans son temps et dans le nôtre ? C’est l’ambition du Dictionnaire Albert Camus, publié chez Robert Laffont, dans la collection Bouquins, en novembre 2009. Des centaines d’entrées au fait des dernières avancées critiques et historiques sur Camus, un travail collectif sous la direction de Jeanyves Guérin pour lire et comprendre, 50 ans après sa mort « un grand écrivain tel qu’en lui-même ». Entretien avec Pierre-Louis Rey, auteur d’une quarantaine d’entrées de ce Dictionnaire Camus.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : pag712
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À l’occasion de la commémoration le 4 janvier 2010 de la mort d’Albert Camus, plusieurs ouvrages sur l’écrivain paraissent, dont ce dictionnaire de la collection Bouquins, auquel ont participé plus de 65 personnes du monde entier, toutes spécialistes de l’écrivain et de son œuvre. Plus de mille pages, des annexes précieuses, des repères biographiques, une bibliographie et une filmographie montrent l’intérêt que lui portent les chercheurs en Europe, aux Etats-Unis et au Japon ainsi que l’éventail des études camusiennes.

Albert Camus est né en Algérie en 1913. Il est mort prématurément en 1960 dans un accident de voiture dans l’Yonne, après avoir passé les vacances de Noël à Lourmarin où il avait élu domicile dans le Vaucluse. Il rentrait à Paris en compagnie de son ami, Michel Gallimard (le neveu de Gaston Gallimard, l'éditeur de L'Etranger et du Mythe de Sysiphe) qui trouva également la mort dans cette tragédie. Fauché à 47 ans, il laissait une œuvre inachevée et le manuscrit du Premier Homme qui fut publié en 1994 seulement, et demeure à jamais, le début pour lui, d’un grand projet d’écriture. Camus considérait en 1959, n'avoir écrit qu'un tiers de son œuvre.


Pour des lecteurs du monde entier, il reste l’auteur de L’Etranger, de La Chute, de l’essai Le Mythe de Sysiphe, de L’Homme révolté, de La Peste, de Caligula. Romans, théâtre, essais, adaptations théâtrales, journalisme, la plume de Camus passe d’une expression à l’autre affirmant que le bonheur et l’absurde sont fils d’une même terre. En 1957, il reçoit le Nobel de littérature qui récompense à la fois le romancier, l’essayiste, le dramaturge et le moraliste, de renommée internationale qu'il est devenu. Au lendemain de cette distinction suprême, il écrit à Louis Germain, son instituteur en reconnaissance, une lettre dont vous pouvez entendre la lecture à la fin de cet entretien avec Pierre-Louis Rey.


Son père, ouvrier agricole dans l’Est algérien, fut tué à la guerre de 1914-18 d’un éclat d’obus à la tête, l’année suivant sa naissance. À l’article « père » du dictionnaire, on trouve la place en creux de ce père trop tôt disparu dans l’œuvre de Camus. Il est élevé par sa mère à Alger. Frappé par la tuberculose à 17 ans, il fait l’expérience de la maladie, de la souffrance et de la proximité de la mort à l’adolescence. Il connaîtra plusieurs rechutes. Il poursuit des études de lettres à Alger, n’ayant pu préparer le concours de Normal Sup en raison de ses problèmes de santé. Il écrit dès 1932 dans la revue Sud, l’année de son baccalauréat puis dans Alger Etudiant. A partir de 1935, il commence à tenir ses Carnets. Il adhère au Parti communiste algérien et fonde le Théâtre du Travail. Il écrit des pièces qui sont montées, voyage en Europe, quitte sa première femme, et s’occupe d’une maison de la culture fondée par le PC algérien. En 1937, L’envers et l’endroit, son premier texte est publié. Il quitte le PC algérien. En 1939, sa série d’articles sur la Misère de la Kabylie dans Alger républicain fait date. Il en reproduit l’essentiel en 1958, au temps fort de la guerre d’Algérie dans Chroniques algériennes 1939-1958. « Misère de la Kabylie » fait l’objet d’une entrée dans le dictionnaire, avec le recul du temps, l’auteur de la notice, Guy Pervillé s’étonne de l’absence totale de conscience et de compréhension du problème politique algérien par Camus. Cette même année 1939, il met en chantier L’Etranger.


En mars 1940, il débarque à Paris, épouse en seconde noce Francine Faure, alterne séjours en France et en Algérie. Gaston Gallimard qui croit en lui, publie L’Etranger, en mai 1942 et en octobre 1942, Le Mythe de Sysiphe. Il rencontre Sartre à la générale des Mouches en 1943, devient cette année-là lecteur chez Gallimard et rejoint Combat, journal clandestin sous l'Occupation. Camus s'est confronté aux désordres de l'histoire, en témoignent ses prises de position auprès de la Résistance et aux lendemains de la Seconde guerre mondiale. Son roman La Peste, qui raconte le combat à Oran entre la peste qui multiplie les morts et la lutte des hommes pour endiguer le fléau, est d'ordre historique. La peste, c'est la guerre. L'action se situe bien dans les années quarante. À chaque œuvre majeure de Camus correspond une entrée dans le dictionnaire et la notice de Bernard Alluin montre combien l'expérience de l'écrivain fit écho à toute une génération. Le succès fut immédiat (1947). Sa consécration précoce lui a valu d'acerbes critiques. Il a 44 ans quand il reçoit, 10 ans après la Peste (1947), le prix Nobel de Littérature et les polémiques sont alors virulentes.


Pierre-Louis Rey, Canal Académie, 15 décembre 2009
© Canal Académie



Pour évoquer l'œuvre éclatée de Camus, Pierre-Louis Rey, professeur émérite de l'Université de la Sorbonne Nouvelle, camusien mais aussi spécialiste de Stendhal, Flaubert et Proust nous situe Camus comme un penseur. L'écrivain a la passion du théâtre antique, de la Grèce, des grands textes, comme en témoignent ses préfaces et ses adaptations au théâtre de Dostoïevski ou de Shakespeare. L'écrivain se définissait lui -même comme un artiste plutôt que comme un philosophe. A travers cet entretien, c'est le Camus de L’Etranger et du Premier Homme que fait renaître Pierre-Louis Rey. Deux moments forts dans l'œuvre de l'écrivain qui montrent l'universalité de son écriture et la formidable puissance créatrice en germe dans le Premier Homme, dont les lecteurs de Camus regrettent à travers le temps et les commémorations en tout genre de ne pas en connaître l'œuvre achevée et poursuivie. Pierre-Louis Rey a rédigé une quarantaine d'entrées dans ce dictionnaire, parmi lesquelles une consacrée à l'ironie, une autre à la beauté, celle sur Français d'Algérie.

L'internaute aura compris la richesse de ce dictionnaire qui permet de sonder et de comprendre avec la sagesse du temps l'histoire peu commune de ce Français d'Algérie (expression à laquelle le dictionnaire consacre une notice), de cet homme révolté, écartelé entre ses passions et ses combats pour la justice et contre la peine de mort, arraché à la vie et aux siens le 4 janvier 1960.




Pour en savoir plus


- Pierre-Louis Rey


Professeur émérite à l'Université de la Sorbonne Nouvelle, Directeur de la Revue d'Histoire Littéraire de la France, spécialiste du roman au XIXe siècle, de Stendhal, Gobineau, Flaubert, Proust, Camus...
Auteur de cinq romans (Gallimard). Sur Camus, a publié notamment : Camus. Une morale de la beauté (SEDES, 2000), Camus, l'homme révolté ("Découvertes", Gallimard, 2006), éditions critiques de Caligula , Le Malentendu , L'Etat de siège , Les Justes (Folio-Théâtre, Gallimard). A paraître en janvier 2010 : Les Possédés (Folio-Théâtre, Gallimard). A participé à l'édition des œuvres complètes de Camus dans la Pléiade (4 vol., 2006-2008)

- Sous la direction de Jeanyves Guérin, Dictionnaire Albert Camus , Editions Robert Laffont, Paris 2009

- Pierre Louis Rey, L'homme révolté , Découvertes Gallimard, 2006



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