Les jardins de Versailles (3/3) : les jardiniers de la cour

Avec Patricia Bouchenot-Déchin, historienne

Le vocable jardinier est très large : il s’étend du garçon des jardins à l’architecte paysagiste. Sous Louis XIV, les maîtres jardiniers connaissent une ascension sociale sans précédent. Pour illustrer ce moment de l’histoire, Patricia Bouchenot-Déchin vous emmène dans les jardins de Versailles sur les traces de Henry Dupuis, jardinier du roi.

_ L’Histoire, et celle des jardins en particulier, aime à retenir les grands noms. En France, celui d’André Le Nôtre, éclipse tous les autres, à commencer par celui des jardiniers qui, sur le terrain, réalisèrent parterres et bosquets dessinés par lui ou sous sa direction.

Or la présence de nombreux jardiniers sur les tableaux de Cotelle, d’Allegrain ou sur les gravures de Perelle, n’est pas qu’ornement esthétique de la part des artistes. Elle reflète l’importance de ces hommes qui ont formé en France de véritables dynasties au service de la monarchie et de la diffusion d’un modèle.

Jardinier, détail du Bosquet du Marais
© Château de Versailles\/JM Manaï

Les réalisateurs étaient des jardiniers attitrés, eux-mêmes assistés de jardiniers à leur compte et de journaliers, manœuvres engagés à la journée, pour effectuer des tâches ponctuelles ou plus pénibles. Versailles est un bon exemple pour comprendre l’évolution du métier de jardinier. Au fur et à mesure de l’extension du domaine, les jardiniers se retrouvent spécialisés : un jardinier chargé du potager, un jardinier gouverneur de l’Orangerie qui sera progressivement investi de tous les bosquets et du pourtour du canal, un autre en charge de Trianon ; une répartition qui n’a pas beaucoup changé aujourd’hui.

Maîtres jardiniers : des dynasties d’hommes d’entreprises

L’étude des seuls jardins de Versailles montre que sur la période finalement très courte entre l’ébauche de ces jardins sous Louis XIII et le modèle achevé à la fin du règne de Louis XIV (soit entre 1626 et 1685), quatre grandes familles de jardiniers ont régné non seulement sur Versailles, mais par le jeu des alliances et des nominations sur la plupart des grands jardins royaux de cette époque : les Masson, les Collinot, les Trumel et les Dupuis.

La belle jardinière, détail du Bosquet du Marais
© Château de Versailles\/JM Manaï

André Le Nôtre travaille avec des équipes aux liens de parenté étroits. Patricia Bouchenot-Déchin les a retrouvés et reconstitués. S’en s’intéressant à l’évolution sociale de l’un d’entre eux : Henry Dupuis. Ce personnage illustre à lui seul l’importance du métier de maître jardinier au temps de Louis XIV.

La tradition fait remonter les premiers Dupuis, jardiniers du roi, au règne d’Henri IV. Le plus connu d’entre eux « Henry Dupuis maître jardinier demeurant non loin des Tuileries, en épousant la fille de Marin Trumel, son « patron », entre dans le clan des Le Nôtre. L’essentiel de sa carrière se déroulera désormais au service de l’élaboration et de l’entretien des jardins de Versailles. En raison de ses compétences particulières en matière de gestion de chantiers, il sera à plusieurs reprises, associé aux grands chantiers de Versailles (L’ensemble des bosquets, le Canal ou les fondations de l’Orangerie) ou à d’autres chantiers comme ceux des Tuileries, de Saint Germain ou du jardin du Palais Royal. Preuve de son ascension, l’intérieur de sa maison de trois étages, au cœur du château, ainsi que son anoblissement : récompenses pour le dévouement au roi !

Le jardinier : de l’ingénieur au décorateur

Les savoir-faire ne sont pas tranchés à cette époque. Après les fouilles, les nivellements, les terrassements viennent la plantation et l’entretien des végétaux et des fleurs qui ponctuent quelques parterres autour du château mais, en raison de leur coût, elles sont moins présentes qu’aujourd’hui. Les structures des massifs très équilibrés sont conçues pour être beaux en toute saison grâce aux alternances de persistants (ifs, buis …), d’arbustes, de vivaces et de bulbes.

Seul Trianon fait figure d’exception par l’abondance des fleurs qui rendent le lieu féérique, à l’époque de Madame de Montespan comme à l’époque de Madame de Maintenon. En 1688, Olivier Fleurant, gendre de l’ancien jardiner en chef de Fouquet à Vaux le vicomte, et neveu d’Henry Dupuis, passe une commande qui laisse rêveur : 33 000 narcisses, 45 000 jacinthes, des iris, des tulipes, des renoncules, des marguerites, des œillets d’Espagne, de nombreux arbustes et plus de 100 000 pots ...

Trianon
© Château de Versailles\/JM Manaï

Un métier qui évoluera après le règne de Louis XIV

Le métier de maître jardinier va profondément se transformer après la mort de Louis XIV, davantage tourné vers l’entretien, moins vers la création. Les enfants d’Henry Dupuis en sont un vivant exemple. Quittant Versailles pour les Tuileries après la mort de leur père, ils continueront pendant trois générations à porter le titre de « jardinier du roi, directeur du jardin des Tuileries », mais seront également peintres, musiciens ou botanistes ...

Patricia Bouchenot-Déchin est historienne, écrivain, vice-président de l’Académie des sciences morales, des lettres et des arts de Versailles et d’Ile-de-France. Elle est l’auteur de Henry Dupuis, jardinier de Louis XIV, (collection Les métiers de Versailles dirigée par Béatrix Saule, coéditions Perrin-château de Versailles, mars 2001, réédition mars 2007), premier ouvrage à se pencher, à partir d’archives inédites, sur le savoir-faire de tout un clan qui, aux côtés d’André Le Nôtre, édifia les jardins de Versailles. Elle est également co-auteur du guide de référence Versailles paru chez Gallimard et a rédigé, entre autres, la partie consacrée aux jardins.

En savoir plus :

- Château de Versailles
- Académie de Versailles

Patricia Bouchenot-Déchin, Henry Dupuis, jardinier de Louis XIV, éditions Perrin, 2007

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