L’art du bien mourir

De quelques ars moriendi célèbres, par Bertrand Galimard Flavigny

Bertrand Galimard Flavigny présente les principaux traités des arts du bien mourir - ars moriendi - qui devinrent courant aux XVe et XVIe siècles. Ils aidaient à se défaire de la mort en en faisant une alliée plutôt que de la fuir. La solution ? La méditation.

Émission proposée par : Bertrand Galimard Flavigny
Référence : pag687
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Miroir des âmes



L’automne fait frissonner. «J’ai vécu assez longtemps : et le chemin de ma vie se perd dans les feuillages jaunes et séchés», fait dire Shakespeare à Macbeth. Une image véhiculée dans les dictons populaires. La mort rôde, et plutôt que de la fuir, il convenait de s’en faire, sinon une amie, une alliée. Comment ? En méditant. C’est ainsi que les arts de bien mourir - ars moriendi - devinrent courant tout au long des XVe et XVIe siècles. Un des sujets les plus débattus durant la période médiévale, il revint en force vers 1470. L’apparition de l’imprimerie n’y était pas étrangère. Elle avait donné une voie nouvelle à l’Eglise. L’impression en latin puis en langue vulgaire d’ouvrages pieux permettait aux chrétiens qui savaient lire, une méditation personnelle et non plus collective sous la direction d’un prêtre. L’Eglise ne pouvait non plus laisser échapper des textes, même anciens, sans les contrôler. On estime à 75% au moins la proportion des ouvrages religieux dans la production typographique entre 1445 et 1520.

Le premier du genre, L’Ars bene moriendi… imprimé à Venise, en 1478, connut une extraordinaire diffusion. Cette première édition, avec date du texte latin, aurait pour auteur Mathieu de Krokov, évêque de Worms. On a cru pendant longtemps que son auteur était Dominique de Capranica, cardinal de Fernio, mais on a découvert qu’il en était le traducteur en italien. Ce texte fut de nombreuses fois réimprimé, notamment à Paris par Guy Marchant, en 1483 et fut suivi d’un grand nombre d’ouvrages du même type augmentés de différents morceaux. A noter que cette édition de Guy Marchant comporte la première marque de libraire ou d’imprimeur.

Les ars moriendi avaient une valeur pédagogique. Ils étaient destinés à se familiariser avec la mort, avec laquelle il convenait d’en faire une amie. Ces traités du « bien mourir », s’ils sont aujourd’hui une indication pour les bibliographes de l’origine des danses des morts, il convient de ne pas les confondre.

TRACTATUS DE  ARTE BENE VIUENDI BENEQ MORIENDI
Guy Marchand, 1493



Citons ainsi le Tractatus de arte bene vivendi et bene moriendi qui sortit des presses le 20 octobre 1501. Trois éditeurs, Alexandre Aliate, Antoine Denidel et Denis Roce, s’étaient réunis pour réaliser cet ouvrage. Stanislas de Guaïta, le célèbre ésotérisme de la fin du XIXe siècle, en possédait un exemplaire marqué par son ex-libris. Ce qui tendrait à prouver que même les familiers de l’au-delà, ne manquaient pas d’humilité devant la mort. Au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, un religieux espagnol, le P. F. David de La Vina composait Espejo de buena morte, illustré par des gravures de Romain de Hooge, commissaire du roy à Amsterdam et également auteurs de cartes côtières. Cet ouvrage fut repris et adapté par un certain Chertablon qui lui donna comme titre La manière de bien se préparer à la mort… et le fit imprimer à Anvers en 1700 par Georges Gallet, non sans avoir auparavant fait recopier les 42 gravures de Hooge. Cette édition comporte aussi une préface intitulée Sur l’origine & la crainte de la mort.

A noter qu’il ne faut pas confondre avec l’art de bien mourir, l’ouvrage de Josse Clichtove, De doctrina moriendi opusculum necessaria ad mortem feliciter qu’imprima Simon de Colines, en 1520, (gr.in-8°). Il s’agit de la première édition du doctrinal de la mort par le théologien flamand et chanoine théologal de Chartres qui fut l’un des premiers réfutateurs de Luther. Cette édition est illustrée sur le titre d’un bois figurant une tête de mort tenant un os entre ses mâchoires répétée à la fin du volume.

Peu à peu ces « arts de bien mourir » se transformèrent en art de bien vivre, mais ceci est une autre histoire... Méfiance tout de même, nous avons sous les yeux, un petit ouvrage, Le miroir des âmes édité à Lyon et à Paris, en 1846 par Périsse, dont l’une des gravures représente un couple dansant. A y regarder de plus près, on s’aperçoit que l’un de leurs bras et l’une de leurs jambes sont déjà réduits à l’état de squelette, car ces deux personnes se «sont mises dans un état d’indécence et avec des parures de luxe et de vanité». Leur danse « frivole et voluptueuse » montre l’état dans lequel ils seront un jour…

Texte de Bertrand Galimard Flavigny



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