La Victoire du 8 novembre 1942, La Résistance et le débarquement des Alliés à Alger

Le livre de José Aboulker présenté par Jean-Louis Crémieux-Brilhac, correspondant de l’Académie des sciences morales et politiques
Avec Anne Jouffroy
journaliste

José Aboulker est, à Alger, l’animateur principal des jeunes résistants qui, le 7 novembre 1942, arrêtent les généraux de l’armée de Vichy, occupent les État-majors et le Palais du Gouverneur général : l’entrée des troupes américaines et anglaises se fait sans combat, en quinze heures, le 8 novembre 1942. l’opération "Torch" a commencé.
Écoutez Jean-Louis Crémieux-Brilhac, historien et ancien résistant, évoquer la personnalité de José Aboulker, « un des plus étonnants héros de notre histoire » , et son livre posthume.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : hist748
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Beaucoup d'ouvrages essentiels concernant la Résistance sont aujourd'hui introuvables, pour diverses raisons dont la moindre n'est pas la modestie d'auteurs qui furent des héros.
Avec l'association Liberté-Mémoire, les Editions du Félin ont entrepris de mettre ou de remettre à la disposition du public des livres qui témoignent d'un passé brûlant.
Jean-Louis Crémieux-Brilhac, président de l'association Liberté-Mémoire, a écrit la préface et la postface de l'ouvrage de José Aboulker. Il précise d'emblée : j'ai été très heureux de participer à la publication du livre de José Aboulker, neurochirurgien des Hôpitaux de Paris, malheureusement disparu en 2009 ; avant que son livre -qui a occupé à temps plein toute la fin de sa vie- ne fût achevé. Il n'avait plus à écrire que sur les quelques mois séparant l'entrée des troupes alliées à Alger de l'arrivée du général de Gaulle le 31 mai 1943. C'est pour conclure son ouvrage que, dans la postface, j'ai résumé brièvement ces quelques mois du 8 novembre 1942 à début juin 1943.
José Aboulker a rejoint Londres, où j'étais moi-même, en juin 1943. Je ne peux oublier le bonheur que j'ai ressenti en découvrant ce jeune homme de 22 ans : c'était un « prince de la jeunesse ».

José Aboulker, chef des « 400 » à Alger

José Aboulker (1920-2009)

Étudiant en médecine algérois de 22 ans, José Aboulker est, dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, quelques heures avant le débarquement allié en Afrique du Nord, le chef des quatre-cents jeunes gens, civils à quelques exceptions près, Juifs pour plus des deux-tiers, qui, avec l'aide d'un unique officier supérieur de la place, font prisonniers l'amiral Darlan, le général Juin commandant en chef des forces d'Afrique du Nord, son adjoint le général Koeltz et le général Mendigal, commandant de l'aviation.

Ils occupent ou neutralisent les centres de commandement et de transmission de la ville et paralysent des heures durant les défenses. José Aboulker, installé au commissariat central de police d'Alger, dirige les rebelles grâce aux lignes téléphoniques le reliant aux divers commissariats locaux que d'autres de ses équipes occupent.

Même quand les autorités reprennent progressivement les rênes, ils maintiennent l'agitation dans la ville jusqu'au début de l'après-midi, ouvrant la voie sans combat aux Américains avec lesquels le général Juin signe à 17h30 un cessez-le-feu.

L'année suivante, José Aboulker, parachuté en France, est membre pendant huit mois de la délégation générale clandestine du général de Gaulle à Paris, avant de participer à l'Assemblée consultative, puis de reprendre ses études de médecine. L'exploit du 8 novembre 1942 est minimisé par le maréchal Juin ; il est, en sens inverse, pris en compte par des acteurs qui n'y étaient pour rien.

Le récit de José Aboulker est inédit

Son récit est neuf dans la mesure où, pour la première fois, il y expose en détail les préparatifs et le déroulement de l'insurrection, conçue dès 1941 en prévision d'un débarquement américain.

Récit nouveau encore à deux autres titres.
D'une part, il révèle qu'initialement un bon nombre de jeunes résistants -en particulier un groupe formé par Jean Daniel, l'actuel directeur du Nouvel Observateur- souhaitent seulement constituer des groupes d'autodéfense juive, et que ce sont Aboulker et ses proches, également juifs, patriotes et républicains français avant tout, et sympathisants gaullistes, qui font prévaloir l'objectif majeur : ramener l'Afrique du Nord dans le camp allié.

Il explique, d'autre part qu'il y a, antérieurement au débarquement allié, deux résistances distinctes en Afrique du Nord.
Deux résistances qui s'associent tardivement et provisoirement : les « 400 » et la « vichysto-résistance » de Lemaigre-Dubreuil.

Les deux résistances algéroises :

- Les « 400 » étudiants patriotes d'Alger, persuadés qu'il n'y a rien à attendre des chefs vichyssois de l'armée d'Afrique et qu'il convient de les neutraliser de force.

-La vichysto-résistance, attachée aux principes de la Révolution nationale, dont l'initiateur est le directeur des Huiles Lesieur, l'industriel Lemaigre-Dubreuil.
Ce groupe est convaincu que l'armée d'Afrique du Nord n'offrirait aucune résistance aux Alliés, pourvu qu'un grand chef militaire, en l'occurrence le général Giraud, fasse appel à son patriotisme.

L'illusion du groupe Lemaire-Dubreuil et du général Giraud, est cruellement démentie : sauf à Alger, l'armée d'Afrique du Nord et la Marine résistent aux Américains au prix de 1350 morts français.

En revanche, les jeunes résistants d'Alger ont bien livré aux Américains les clés de l'Afrique du Nord.

L'histoire politico-militaire de la France depuis 1934 : la soumission, la rébellion

L'ouvrage de José Aboulker ne se limite pas à ce récit.
Aboulker n'a pas résisté à la tentation de retracer dans un long préambule l'histoire politico-militaire de la France depuis 1939, sinon depuis 1934.
Il a tenu à expliquer -avec la minutie d'un chirurgien, mais aussi avec la passion d'un patriote à qui sa patrie fut déniée- comment et pourquoi les généraux responsables de nos armes eurent, dès les années 30, la peur de l'action, avant de choisir la capitulation, puis d'accepter la soumission, puis la collusion avec l'ennemi ; au point que jusqu'à novembre 1942, s'il n'y avait eu le général de Gaulle et les siens, les forces françaises n'auraient jamais combattu contre les alliés de la France.

Cette partie du livre, auquel Aboulker consacre ses quinze dernières années, peut prêter à débat. Mais elle met en évidence des faits cruels. D'où les titres des deux parties de l'ouvrage : la soumission, la rébellion.

Ce livre est vivifié par un style passionné. Il est une contribution importante à l'histoire d'un épisode trop peu connu, souvent occulté, qui fut, pour nous Français, un tournant de la guerre.

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