Les langues régionales de France : les créoles, des langues très jeunes (20/20)

Dernière émission de la série proposée par la linguiste Henriette Walter
Avec Hélène Renard
journaliste

Bien qu’ils ne soient pas nés sur le continent européen mais outremer, les parlers créoles ne comptent pas moins parmi les langues régionales de France. Cette dernière émission de la série d’Henriette Walter leur est consacrée, évoquant les deux groupes principaux ; elle rappelle leur naissance et souligne leur vitalité.

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : sav587
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Toutes les langues dont on a parlé au cours des précédentes émissions sont des langues très anciennes, souvent plus anciennement attestées que la langue française, et dont on ne connaît pas avec précision la date de leur origine lointaine. Rien de tel avec les créoles, dont on sait que c'est aux XVIIe siècle qu'ils sont nés des contacts entre des colons européens, installés en Amérique ou dans l'océan Indien, et des esclaves parlant de nombreuses langues africaines et asiatiques. La tentation est alors grande de partir de l'étude de leur genèse, bien documentée, pour tenter de comprendre les mystères de la naissance des langues en général.


- Le nom créole

Le nom créole vient du portugais criolo, qui désignait à l'origine l'enfant noir élevé dans la maison des maîtres (on voit qu'il est formé sur le verbe criar « élever »), et ce n'est que plus tard que le mot a servi à nommer les langues des habitants des colonies, qu'ils soient noirs, métis ou blancs.
Il existe des créoles français, anglais, portugais, hollandais.
Les créoles français se divisent en deux groupes géographiquement situés à des milliers de kilomètres les uns des autres :


  • ceux des Antilles françaises et de la Guyane, en Amérique, et
  • ceux de l'océan Indien (Réunion, Département français d'Outremer, et également île Maurice, pays indépendant depuis 1968).




- Naissance des créoles

Mais comment expliquer leur création ? Pour tous les créoles, on peut concevoir que s'était progressivement établi un moyen de communication où se mêlaient des éléments de la langue des colons et des éléments des langues des esclaves employés dans les plantations.
Grâce aux documents d'archives existants, on peut en effet mettre en rapport la naissance des différents créoles avec l'histoire et l'évolution de l'implantation coloniale de type esclavagiste à partir du XVIIe siècle.

Pour les Antilles, les colons français venaient en majorité des régions de l'ouest et du nord de la France, et parlaient sans doute encore des dialectes de ces régions, mêlés à du français marqué par leur lieu d'origine, tandis que la population servile était composée de différentes tribus d'Afrique de l'Ouest. Pour les créoles de l'océan Indien, c'est de Madagascar, d'Afrique de l'Est et de l'Inde que venaient les populations des travailleurs.


- De l'«habitation» à la «plantation»

Le processus de créolisation a pu se produire en deux étapes.
Dans un premier temps, les populations d'esclaves étaient logées avec les maîtres. C'est l'époque de ce que l'on a appelé la « société d'habitation ». A ce stade, les Blancs étaient plus nombreux que les Noirs, qui avaient pu, à leur contact constant, acquérir une certaine familiarité avec la langue des maîtres, sans la dominer parfaitement, et tout en y mêlant des éléments de leurs langues d'origine. Ce n'était pas encore du créole, mais le processus pour y aboutir était déjà engagé.
C'est au cours de l'étape suivante, celle de la « société de plantation », où les esclaves, en nombre cette fois plus important, vivaient hors de la maison des maîtres, que sont nés les créoles : on ne peut parler de créole qu'à partir du moment où cette langue est devenue la langue maternelle de son utilisateur.


- Les créoles des Antilles : quelques traits remarquables

Il faut tout d'abord rappeler que ces langues sont seulement des créoles à base lexicale française, car ce n'est pas l'ensemble de la langue qui a pour base la langue française : les structures grammaticales restent celles des langues d'origine, c'est-à-dire la plupart du temps des langues africaines. Voilà sans doute pourquoi, malgré des déformations inévitables, sans même l'avoir appris, on reconnaît en gros une partie du vocabulaire créole.

Pour la prononciation, l'élément le plus frappant de tous les créoles est sans doute l'impression que la consonne /r/ n'y est jamais prononcée. En fait, en général, elle est effectivement prononcée, mais de façon si évanescente qu'on ne la perçoit pas précisément. Et même chez ceux qui la suppriment complètement, son absence est compensée par un allongement de la voyelle précédente, si bien que parle ne se prononce pas comme pale, et, dans l'adjectif court, la voyelle est réellement plus longue que celle de cou. Dans d'autres positions, le /r/ devient une sorte de w : groupe, France.

Le lexique présente à la fois des archaïsmes et des innovations : le verbe guetter, par exemple pour « regarder », est un souvenir du normand, de même que le verbe quitter pour « laisser » (les deux ont aussi existé en ancien français).


Les innovations sont bien souvent des emprunts :

- aux langues africaines : zombi «revenant», acra « beignet de morue »
- aux langues amérindiennes (pour les créoles antillais) patate « patate douce », matoutou « plat antillais à base de crabe »
- à l'indo-portugais (pour la Réunion), varangue « sorte de véranda couverte », camaron « sorte d'écrevisse », brinzèl « sorte d'aubergine »


Certaines innovations sont vraiment inattendues, mais faciles à deviner :
décolaj « premier verre de rhum de la journée »





Carte des Antilles françaises














- Une vitalité exceptionnelle

Un dernier point à souligner, pour terminer : parmi toutes les langues de France, les créoles sont celles qui sont les plus vivantes dans les lieux où elles sont nées :


  • à la Martinique et à la Guadeloupe, colonisées en 1635 et DOM (Départements d'Outremer) depuis 1946
  • en Guyane, DOM également depuis 1946
  • à la Réunion, occupée par les Français dès 1636, date à laquelle elle était déserte. Elle est d'abord appelée île Bourbon , puis île de la Réunion en 1793, pour commémorer la réunion des Marseillais et des gardes nationaux le 10 août 1792



Formés depuis seulement trois siècles, et toujours aussi vivaces, les créoles peuvent finalement être considérés comme un modèle réussi de résistance face à la langue française, partout obligatoirement présente hors du cercle familial.


- Quel avenir pour les langues régionales ?

Malgré leur diminution constante depuis un siècle, toutes les langues régionales que nous avons décrites au cours de ces émissions n'ont pas dit leur dernier mot, et si elles ne sont plus des langues parlées tous les jours, ces langues du terroir continuent aussi une vie souterraine, que l'on ne soupçonne généralement pas : elles sont présentes dans la langue française, ou plutôt dans les variétés régionales du français, et chacune d'entre elles apporte ainsi un peu de sa couleur au patrimoine commun.






Henriette Walter, linguiste renommée, est professeur émérite de linguistique à l’Université de Haute Bretagne (Rennes) et directrice du laboratoire de phonologie à l’école pratique des Hautes Études à la Sorbonne. Henriette Walter est reconnue comme l’une des grandes spécialistes internationales de la phonologie, parle couramment six langues et en « connaît » plusieurs dizaines d’autres.Elle a rédigé des ouvrages de linguistique très spécialisés aussi bien que des ouvrages de vulgarisation.




Bibliographie sélective d’Henriette Walter :


- L’aventure des langues en occident (Robert Laffont)

- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (Prix Louis Pauwels 1997)

- Le Français dans tous les sens (distingué du Grand Prix de l’Académie française en 1988)

- Honni soit qui mal y pense, l’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais,

- L’aventure des langues en Occident (prix spécial de la Société des gens de lettres et grand prix des lectrices de Elle, Robert Laffont, 1994)

- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (prix Louis Pauwels 1997, Robert Laffont)

- Honni soit qui mal y pense (Robert Laffont, 2001)

- Arabesques (Robert Laffont, 2006)


En savoir plus:


- Poursuivez cette série de 20 émissions sur les langues régionales de France, sur le site de Canal Académie.

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- Canal Académie vous invite à consulter le site du Hall de la chanson (www.lehall.com), partenaire de cette série d’émissions sur les langues régionales de France.
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