Les mots des religions : "Mission" 1/2

Avec Jean-Arnold de Clermont, président du DEFAP, service protestant de mission
Avec Virginia Crespeau
journaliste

Jean-Arnold de Clermont, Président du DEFAP, Département de mission protestante, évoque le mot « mission », un mot souvent pris au piège entre la vision triomphaliste de l’impérialisme colonialiste et le sens du partage et de la reconnaissance qui peuvent faire de tous des missionnaires…

Émission proposée par : Virginia Crespeau
Référence : tor534
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Parler de « la » mission, c’est parler d’un concept en crise, d’une notion attaquée autant de l’extérieur que de l’intérieur.
À l’origine et jusqu’au XVIe siècle le terme de mission n’est utilisé que pour parler de l’envoi du Fils par le Père et du Saint-Esprit par le Père et le Fils. Mais il a, de manière somme toute récente, été utilisé pour parler de l’expansion de la foi chrétienne à des gens qui n’étaient pas membre de l’Église. En ce sens il est intimement associé à l’expansion coloniale de l’Occident. On comprend bien pourquoi la notion même de mission est mise en question. Dans une deuxième émission consacrée à ce thème sera présentée une analyse du bien-fondé (ou non) de la critique de ce modèle occidental et de son évolution, mais aujourd’hui concentrons-nous sur le seul concept de « mission », dont la signification d’expansion de la foi chrétienne « hors de l’Église » n’est qu’un aspect.

De l’Évangile de Matthieu on retient les récits de l’enfance, le sermon sur la montagne, les grandes paraboles du Royaume comme celle du semeur, et bien sûr les récits de la passion et de la résurrection… Mais on retient particulièrement ce que les exégètes appelle « l’impératif missionnaire », cette finale de l’Évangile où Jésus apparait aux onze disciples – ils ne sont plus douze car Judas s’est pendu – et leur dit : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez donc auprès des gens de toutes les nations et faites d’eux mes disciples ; baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à pratiquer tout ce que je vous ai commandé. Et sachez-le : je vais être avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »


De cette ultime rencontre de Jésus avec ses disciples, dans cet Évangile, on peut retenir une compréhension triomphaliste et conquérante de la mission : « J’appartiens au cercle des intimes du Christ et du haut de mes certitudes, je pars à la conquête du monde… » Et c’est bien ainsi que ce verset a résonné dans les Églises occidentales et résonne encore dans certains cercles chrétiens qui découpent le monde en zones chrétiennes ou non.

C’est faire peu cas d’une lecture attentive de l’Évangile de Matthieu qui

met en tension des concepts apparemment contradictoires, comme cet autre ordre donné à ses disciples : « Évitez les régions où habitent les non-juifs… allez plutôt vers les brebis perdues du peuple d’Israël». D’abord attentif aux interrogations qui traversent la communauté chrétienne de la fin du premier siècle, et aux tensions entre communautés juives de la diaspora et communautés naissantes issues du monde non-juif, Matthieu veut faire entendre une même attention, un même amour de Dieu pour les uns comme pour les autres. Mais surtout il place cette responsabilité missionnaire sous l’angle de l’appel à faire des disciples ce qui dans le contexte de son Évangile, signifie autant un travail sur soi-même pour suivre le Christ qu’une attention aux autres. On est bien loin d’une vision de conquête triomphaliste. Mais l’impératif missionnaire demeure dans la forme que l’évangéliste lui a donnée et les risques d’interprétation qu’elle porte.

Aussi, il est passionnant de voir comment l’évangéliste Luc reprend le même récit d’une dernière apparition de Jésus ressuscité à ses disciples pour lui donner une tournure bien différente.

C’est d’abord un rappel de la signification de sa mort et de sa résurrection, œuvre de l’amour de Dieu pour tous les humains ; et qui doit être prêchée, annoncée à tous. Mais c’est aussi et surtout un appel à changer de comportement et à recevoir le pardon. Le disciple est témoin lorsqu’il change de comportement, demande et pratique le pardon. Nul n’ignore que l’Évangile de Luc associe cet appel à une préoccupation prioritaire pour les pauvres. Si l’on pouvait, dans une lecture trop rapide, tirer une vision conquérante de la mission chez Matthieu, ici c’est une compréhension humble et solidaire de la mission qui se fait jour. Elle commence dans ma propre soumission à la volonté de Dieu, ma propre repentance. Le chemin de la mission est celui du témoignage, le chemin du pardon reconnu, demandé, offert.

Mais le « premier missionnaire » auquel il faut accorder une attention particulière est l’apôtre Paul.

Il est effectivement présenté, à travers le Livre des Actes des Apôtres, comme celui qui passe les frontières pour porter à la connaissance du plus grand nombre le message du salut en Jésus-Christ, d’abord aux juifs puis aux païens. Il faut surtout l’écouter, lui, à travers ses épitres, pour être en présence d’une autre vision de la mission. Certes, il parcourt l’Asie Mineure et la Grèce pour tenter de faire entendre l’Évangile de Jésus-Christ et de dresser des communautés d’écoute, de partage et de prière. Certes, il s’associe des collègues, femmes et hommes, pour maintenir la communion entre les Églises et les aider à participer à l’effort missionnaire ; en ce sens il est à l’origine de l’organisation des Églises. Certes, il a une haute conscience de sa responsabilité, sa vie authentifie son Évangile ; il s’offre lui-même comme exemple de l’initiative et de la puissance de Dieu dans sa vie. Mais le cœur de sa motivation missionnaire c’est sa reconnaissance pour le Fils de Dieu qui l’a aimé et s’est livré pour lui. Il ne peut garder égoïstement pour lui-même le salut qui lui a été offert par pure grâce.

Ce que le réformateur Jean Calvin dira à sa manière :

« Parce que nous ne savons pas ceux qui appartiennent ou non au nombre et à la compagnie des prédestinés, nous devons être affectionnés à souhaiter le salut de tous. S’il en est ainsi, nous tâcherons de faire tous ceux que nous rencontrerons participants de notre paix. »

Ainsi, le Nouveau Testament offre au moins trois entrées vers la compréhension de la mission. Elles ont donné naissance, selon les époques de l’histoire, à des modèles missionnaires bien différents, chacun mettant en avant l’une ou l’autre des dimensions évoquées ci-dessus, évangélisation, quête de la justice, libération, réconciliation…


Chacun de ces modèles est tout autant tributaire d’un fondement évangélique que du contexte sociopolitique dans lequel il s’inscrit. La mission longtemps engluée dans la colonisation doit et peut trouver aujourd’hui son modèle adapté au monde globalisé qui est le nôtre. Elle sera toujours handicapée par les faiblesses conceptuelles et pratiques des Églises. Elle sera toujours heureusement dépassée par l’œuvre de Dieu, la mission de Dieu, qui s’accomplit en elle.

Ecoutez le second volet de cette émission : Les mots des religions : "Mission" 2/2

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