Une histoire des haines d’écrivains

La chronique des femmes écrivains de Jean Mauduit
Avec Jean Mauduit
journaliste

Cette histoire des haines d’écrivains -parmi lesquels des académiciens !- dûe à Anne Boquel et Etienne Kern, est ici présentée par notre chroniqueur littéraire Jean Mauduit qui avoue avoir pris un plaisir jubilatoire à la lecture de tant de méchancetés servies par le talent ! Quelques exemples piquants de grands noms et de leurs petits travers à déguster sans modération...

Émission proposée par : Jean Mauduit
Référence : chr569
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C'est à une "perle rare" qu'est consacrée cette chronique littéraire, qui présente un ouvrage à quatre mains, édité par Flammarion au prix de 19 euros, dû à Anne Boquel et Etienne Kern consacré à « une histoire des haines d’écrivains ». C’est un monument d’érudition brillante, qui a le grand mérite – si c’en est un –de démythifier la quasi-totalité des écrivains du XIXesiècle.

Certes, on peut admettre qu'il ne sert à rien, d’un point de vue purement littéraire, de dévoiler les petits côtés de l'écrivain et d'arracher ainsi les plumes de l’aigle. C’est du "people" avant la lettre. Mais Jean Mauduit avoue le plaisir jubilatoire qu'il a pris à la lecture de cet ouvrage, tant les auteurs, tous deux anciens normaliens, traitent du sujet avec brio ; on peut les soupçonner de s’être jetés dans cette entreprise avec un enthousiasme canularesque...

Ces haines d'écrivains s'avèrent remarquables de deux façons :
- d’une part, leur caractère inexpiable ; elles durent toute la vie en dépit de raccommodements laborieux mais factices ; et les haines rassies de vieillards encombrés d’honneurs n’ont rien à envier aux haines flamboyantes des jeunes gens impécunieux.
- D’autre part le fait que ce sont des haines d’écrivains. Et que fait un écrivain quand il abomine un autre écrivain ? Il écrit sur lui ou ,il parle à la rigueur, mais en espérant que ses bons mots, ou plutôt ses méchants propos, seront publiés dans la presse. Si bien que le tissu de détestations que nos auteurs ont rassemblé est cousu de talent.

Et Jean Mauduit de nous livrer plusieurs exemples !

- Balzac qui, jaloux du succès que remporte le roman d’Eugène Sue Le juif errant le rebaptise Le suif errant.
- Viel-Castel, un spadassin de la plume, ironisant sur la déconfiture de Lamartine vieilli, et qui, criblé de dettes, fait de la littérature au kilomètre ; « Il a échangé sa lyre contre une tirelire ».
- Victor Hugo disant de Chateaubriand qui avance en âge « Le voilà qui devient bougon et hargneux. Triste chose qu’un lion qui vieillit ».
- Victor Hugo encore, sous la Coupole où un certain Empis, l’ami de Stendhal, vient d’être élu et où se présente Jean-Jacques Ampère, le fils du grand savant, qui murmure à l’oreille d’un de ses confrères : « Je ne sais pas si cela empisse ni si cela ampère mais je suis sûr que cela empire ».

Il faut l'admettre, l’Académie Française n’est pas à l’abri de ces querelles ! Elle en est à la fois l’objet et un lieu de prédilection. On s’assassine pour y entrer. Si l’on n’y parvient pas, on se répand contre elle en propos mordants. Et si on a la bonne fortune d’y être élu, on utilise souvent l’éloge du prédécesseur pour régler quelques comptes – avec lui, au besoin. Flaubert a ce mot : « La dénigrer toujours mais tâcher d’en faire partie ».

Le jour de l’élection du poète Auguste Barbier, qui par 18 voix contre 14 a battu Théophile Gautier, la protectrice de ce dernier, la princesse Mathilde, fille de Jérôme Bonaparte, donc nièce de Napoléon 1er et cousine de Napoléon III, traite de « cochon » les académiciens qui ont voté contre son poulain. Elle les apostrophe à mesure qu’ils passent devant elle pour sortir de l’Institut, et comme ils sont 18 et que la princesse Matilde est forte en gueule, ces lieux augustes retentissent 18 fois du mot « cochon » !

Le grand Alfred de Vigny lui-même n’échappe pas à la vindicte du comte Molé, ancien président du Conseil, devenu directeur de l’Académie, qui aurait voulu lui faire insérer dans son discours de réception un éloge de Louis-Philippe. Vigny refuse. Molé lui règle son compte dans un discours meurtrier. Moyennant quoi le poète de la « Mort du Loup » refuse de siéger sous la Coupole aussi longtemps que Molé en sera directeur. Atmosphère... Il ne prendra effectivement possession de son siège que le lendemain du jour où Molé aura terminé son mandat. Bref on ne s’ennuyait dans ce que Thibaudet baptisera « la république des lettres ».

- Victor Hugo dans Histoire d’un crime raconte qu’il croise Mérimée dans la rue. " Tiens !", me dit M. Mérimée, "je vous cherchais". Je lui répondis : "j’espère que vous ne me trouverez pas". Il me tendit la main. Je lui tournais le dos. Je ne l’ai plus revu. Je crois qu’il est mort.

- Léon Bloy, à propos du célèbre J’accuse de Zola : « Je ne sais si le capitaine Dreyfus pourra un jour être réhabilité de sa trahison prétendue ; mais en supposant une telle victoire, comment pourrait-il jamais se réhabiliter et se décrotter de la chevalerie de M. Zola ».

- Léon Bloy encore à qui Paul Bourget demande « Enfin, Bloy, vous me détestez donc bien ? », répond : « Non mon ami, je vous méprise ».

Bloy toujours intitule l’article qu’il doit écrire pour le Mercure de France sur le roman Lourdes de Zola : « Le crétin des Pyrénées ».

- Vieil-Castel déjà cité consacre à Eugène Sue qui vient de mourir cette épitaphe délicate : « Mardi 4 août 1857. Mort d’Eugène Sue. C’était un médiocre écrivain, sans moralité, sans conviction, un mauvais sujet dans toute la force du terme ».

- Baudelaire lui-même, dans Mon cœur mis à nu parlant de George Sand : « Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde, elle a dans les idées morales la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues… ». Et, sa haine littéraire va même jusqu'à l'insulte : « Que quelques hommes aient pu s’amouracher de cette latrine, c’est la preuve de l’abaissement des hommes de ce siècle ».

- Edmond de Goncourt à propos de la poésie de Heredia « un feu d’artifice sur lequel il a plu ». Heredia il est vrai était quelque peu bègue.
- Hugo consacre au très catholique Louis Veuillot ces vers parus dans Les châtiments :
« C’est ainsi qu’outrageant, gloires, vertus, génies.
Charmant par tant d’horreurs, quelques niais fougueux,
Il vit tranquillement dans les ignominies,
Simple jésuite et triple gueux
».

- Baudelaire dit de Hugo : « Il a toujours le front penché – trop penché pour rien voir, excepté son nombril ».

- Et la plus terrible peut-être : Victor Hugo traite son ennemi Sainte Beuve de Sainte-Bave !


pourquoi tant de hargnes ?

Pour plusieurs raisons complémentaires.
- La première renvoie à la vanité de l’écrivain, qui est toujours plus ou moins constitutive de son être.
- La deuxième est d’ordre financier. Les auteurs qui tirent les diables par la queue jalousent ceux qui ont la chance de connaître de grands tirages : ainsi Eugène Sue s’attire la détestation de beaucoup de ses confères – Balzac compris – au seul motif que ses romans obtiennent un extraordinaire succès populaire.
- Enfin, troisième raison, le fait qu’on appartienne à tel clan politique voire à telle école littéraire. La politique, effectivement, attise les rancœurs mais elle n’en est pas la cause principale.
- Quant aux écoles, Anne Boquel et Etienne Kern, les deux auteurs, en font justice. Le romantisme, précisent-ils, n’a jamais constitué un groupe dogmatique, et donc a rarement donné naissance à des querelles intestines. En revanche, dans la seconde moitié du 19ème siècle, les doctrines littéraires se sont érigées en système : Parnasse, Naturalisme, Symbolisme, avec comme conséquence directe la multiplication des conflits internes ; comme celui qui opposera Edmond de Goncourt à Zola, et Zola à Huysmans.

La vraie source des haines d'écrivains

Mais il est une autre raison, plus générale, du foisonnement des haines littéraires : c’est la mutation de la société et, par voie, celle du statut d’écrivain. Plus le système industriel avance dans sa constitution, plus le succès se mesure en nombre d’exemplaires diffusés. Pour exister il faut vendre. Pour vendre, il faut se faire connaître et tous les moyens sont bons. Un duel, à défaut une bonne querelle relayée par les journaux, attire l’attention du lecteur et éveille son appétit. Il faut souligner que la puissance de la presse est à son apogée. Il existe à Paris au milieu du siècle, vingt et un quotidiens et quatre-vingt neuf périodiques, sans compter les feuilles d’annonce. Beaucoup d’écrivains parmi les plus grands gagnent leur vie en publiant leurs romans en feuilletons dans les journaux ou en écrivant des papiers de critique littéraire. Et la critique littéraire s’est établie comme un véritable tribunal – pas un journal, quotidien ou non, qui n’ait sa chronique – ou siègent contradictoirement des juges ès-talents qui souvent sont eux-mêmes des écrivains plus ou moins accomplis. Sainte Beuve en est le prototype qui, face au génie accablant de Victor Hugo, fait figure de contre-pouvoir.

Aujourd'hui, il semble qu'il n'y ait plus beaucoup de critiques littéraires. Pour le reste, espérons qu’Anne Boquel et Etienne Kern consacreront un volume à mettre à jour l’histoire des haines audio-visuelles et numériques !

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