Le vin ? une géographie liquide ! par Erik Orsenna, de l’Académie française

et les interventions de Bernard Pivot et du sénateur Roland Courteau, au colloque "Pourquoi aimer le vin ?" organisé par Jean-Robert Pitte, membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Erik ORSENNA
Avec Erik ORSENNA de l’Académie française,

Jean-Robert Pitte est à la fois membre de l’Académie des sciences morales et politiques, président de la Société de géographie et président de l’Académie du vin de France qui compte parmi ses membres, Erick Orsenna et Bernard Pivot. Pas étonnant donc que les amis se soient retrouvés, avec plus de 200 personnes et d’autres grands noms de l’oenologie, au symposium "Pourquoi aimer le vin ?".

La matinée, -celle du 27 janvier 2012, jour de la Saint-Vincent, patron des vignerons- avait bien commencé dans l’amphithéâtre (bondé) de la Société de Géographie à Paris où l'Académie du vin de France tenait colloque, à l'initiative de son président Jean-Robert Pitte qui n'a pas manqué de rappeler en ouverture que l'amour du vin -consommé modérément il va sans dire- goûté et dégusté, est au coeur de la condition humaine !

La première table ronde "vin et divin" réunissait les trois monothéismes en la personne du Grand Rabbin Haïm Korsia, de Malek Chebel anthropologue, et du prêtre Alain de La Morandais. Leur prestation a été suivie de trois interventions autour de "vin et alcoolisme", historique par François Bujon de l'Estang, ambassadeur de France qui a évoqué la prohibition, sociologique par Martine Daoust spécialiste de l'addiction alcoolique chez les jeunes, et médicale enfin par le cancérologue David Khayat. Nul intervenant n'a tenu de discours "liquéfiant", bien au contraire. On n'a pas mâché ses mots, on a abordé les problèmes de front, on a dénoncé et protesté (sur la loi Evin par exemple et l'interdiction de publicité), on a affirmé aussi : seuls l'éducation, le goût du vin par un apprentissage raisonnable, peut éviter les excès. On a prôné une consommation de plaisir, la responsabilité plutôt que l'interdit...



Et c'est seulement après la pause déjeuner, durant lequel l'on a dégusté quelques vins choisis, et après plusieurs communications sur la loi et le vin -l'escalade des lois françaises-, l'argent et le vin -c'est-à-dire l'avenir économique-, que l'on a terminé en beauté : le vin et la joie, le vin et l'amour... grâce à (Erik Orsenna->3088], Bernard Pivot et Roland Couteau. Chacun, à sa manière et selon son style, a réjoui nos oreilles autant que le vin peut réjouir nos papilles. Partagez ces trois moments grâce à la présence sur les lieux de Canal Académie !

Erik Orsenna, de l’Académie française



I- Erik Orsenna : "Le vin ? C'est de la géographie liquide !"



N'oublions pas qu'avant d'être écrivain, il est économiste ! Celui qui accepte volontiers la dénomination de "promeneur professionnel" a achevé ses trois tours du monde : celui du coton, de l'eau et du papier, les thèmes de ses trois derniers ouvrages parus.

Selon Orsenna, nous souffrons en France d'une terrible maladie : la peur. Mais on a un immense talent : l'art de se tirer une balle dans le pied ! Dès qu'on a un atout, on l'écrase... «nous laissons crever nos atouts !» Fort de ces affirmations, l'académicien, qui au passage nous rappelle que nous ne sommes pas les seuls à savoir faire du bon vin, nous fait partager 4 de ses convictions. Les voici résumées mais ne vous privez surtout pas du plaisir de l'écouter :

1 ) Le changement. Evoquant Julien Gracq (qui était géographe), il s'interroge : que faut-il changer pour que l'essentiel demeure ? L'ensemble des terroirs sont appelés à être modifiés, pour diverses raisons dont le réchauffement climatique, les changements d'environnement, etc. que restera-t-il de nos vignes et vignobles ?

2) La concentration. La compétition est sauvage, on devrait s'unir, pas uniquement laisser la place à de grands groupes, mais former des concentrations de forces.

3) La gouvernance. Il faudrait plus de stabilité, moins de lois, moins de normes, notamment en Europe.

4) La diversité. Comme disait Victor Segalen, autre grand voyageur : «le divers décroît ; là est le grand péril terrestre.»

Bernard Pivot, auteur du Dictionnaire amoureux du vin



II- Bernard Pivot : "Le vin et l'amour ? Le sujet le plus glamour, léger, excitant, gai, qui soit !



Il commence par une légende : un légionnaire romain remontant la vallée de la Saône, s'amourache des yeux d'une belle (forcément) paysanne et déserte. C'est ainsi que naît, sur le lieu de cette histoire d'amour, au nord du Beaujolais, le village de Saint-Amour, l'un des dix crus de la région... Aucun spécialiste de la publicité n'aurait eu l'idée géniale, du moins Pivot l'affirme-t-il, d'associer le vin, la religion et l'amour. De sorte que le jour de la St Valentin (14 février), il se boit une quantité phénoménale de ce "beaujolpif" (sic) au nom magique...
Du moins Bernard Pivot exprime-t-il un regret : il n'a jamais connu de Suissesse, et donc ignore ce qui se passe en Suisse avec un vin appelé le Valentin, cultivé près de Neuchâtel et dont les raisins sont du chardonnay, pinot noir ou chasselas : «On m'a dit que les amoureux de la Confédération helvétique en consommaient largement le soir de la saint-Valentin....»



Un conseil : Si vous avez le cœur en ébullition et au-dessus un portefeuille bien garni, commandez au sommelier un chambolle-musigny (Bourgogne, Côte d'Or) qui porte, dit ce fin connaisseur, «un climat délicieux très prometteur pour les amoureux»...



Reste que le champagne est le vin qui accompagne le plus souvent les mots et les actes d'amour («N'est-ce pas, madame ?» ajoute Pivot en s'adressant à l'une des participantes de la salle...). La marquise de Pompadour avait raison d'affirmer (citation) : «Le champagne est le seul vin qui laisse une femme belle après boire.» Des bulles ? Et voici que la femme s'habille de légèreté, de piquant, d'aimable liberté et son regard offre alors quelque chose de quasi effronté...

Il paraît que beaucoup d'hommes et de femmes seraient capables d'évoquer les meilleurs moments de leur vie amoureuse, liaisons durables ou éphémères, en se souvenant des bouteilles de vin dégustées.

- Aveu : «personnellement j'ai peu d'effort à faire pour me rappeler un beaujolais-village, un meursault, un dom pérignon, un château-figeac, et même un riesling Vendanges Tardives». S'en suivent quelques propos sur le vin et la sexualité : à écouter. Nul besoin de les transcrire ici ! «Sauf exception l'homme ivre, même un peu gris, n'est pas un très bon amant». A bon entendeur, salut ! Pivot se lance même à donner un conseil pour honorer Bacchus et Vénus... La mythologie autour du vin et de ses dieux n'a aucun secret pour lui.

Et pour les séducteurs, faut-il séduire par un grand vin ou par un petit vin sympathique ? Pivot avance ses arguments, écoutez-les, ils peuvent toujours servir !

«Déguster de très grands vins, affirme-t-il, et d'expérience on s'en doute, c'est boire de l'Histoire et de la biographie» (Conti, Clément, les papes, Rothschild, et bien d'autres).


Et pour la première fois ??? Attention, ne pas se tromper, ne pas commencer par des vins qui promettraient trop...


Quant au manque d'amour, il entraîne quelquefois vers l'excès d'alcool, pour s'étourdir ou se consoler, d'où on peut conclure que l'amateur modéré de vin est un amoureux. «L'amour pousse à la recherche de l'excellence et du plaisir dans la modération. Car aimer les vins, c'est aimer l'amour, et aimer l'amour, c'est aimer les vins.» Applaudissements de la salle !



Vous l'aurez compris, nul n'aurait pu mieux traiter le sujet que Bernard Pivot, auteur du Dictionnaire amoureux du vin...


Jean-Robert Pitte, de l’Académie des sciences morales et politiques



III- Roland Courteau : Informer et éduquer, les meilleures manières de promouvoir le vin



Avec un accent du midi qui révèle son ancrage local, le sénateur Courteau, auteur d'une proposition de loi sur le vin, patrimoine culturel de la France, et fondateur de l'ANEV (Association nationale des Elus du Vin) a dénoncé les lobbies antivin (associations qu'il dit subventionnées pour éliminer tout alcool) et a passionnément défendu ses convictions : mieux informer sur le vin n'incite pas à consommer plus.



Puis il a insisté sur la distinction entre le vin et les alcools durs, reprochant à la loi Evin (1991) de ne pas faire de différence entre ces deux sortes de boissons, ni dans les campagnes de pub ni dans les campagnes de prévention. De même qu'il existe une véritable ambiguïté à distinguer légalement entre une publicité et un article de presse rédactionnel, ce qui fait que les journalistes spécialisés sont en permanence sous la menace de se faire rappeler à l'ordre (le journaliste Michel Bettane, l'un des plus connus, a confirmé cette difficulté professionnelle).



Mais, bonne nouvelle, le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) aurait donné le feu vert pour la création d'une chaîne télévisée sur le vin... Attendons qu'elle soit née ! Un comble : à la télévision, on ne peut jamais montrer des personnes en train de déguster du vin (toujours la même loi Evin) sauf... sauf s'il est d'origine étrangère ! Tant pis pour les vins français...



Constat final : il est toujours plus difficile d'éduquer à la tempérance que d'interdire... mais le sénateur Courteau n'a pas l'intention de baisser les bras. Il a des milliers de viticulteurs qui comptent sur lui !



- Consultez d'autres émissions sur le vin sur Canal Académie, comme par exemple :

- Jean-Robert Pitte : "Le vin et la condition humaine"

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