Nicole Le Douarin : Dans le secret des êtres vivants, 50 ans de recherche en biologie du développement

Les mémoires du secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie des sciences
Nicole LE DOUARIN
Avec Nicole LE DOUARIN
Membre de l'Académie des sciences

Nicole Le Douarin aborde dans ses mémoires 50 ans de recherche au cœur de la biologie du développement. Son travail s’est notamment porté sur des chimères de caille-poulet à partir desquelles elle a étudié le comportement même des cellules ainsi que leur fonctionnement au cours du développement. Elle les a décrits mais aussi analysés dans leurs mécanismes fondamentaux. Elle aborde tour à tour ses souvenirs d’enfance, ses amis et ses études, ainsi que l’évolution de la place des femmes dans le monde de la recherche.

Nicole Le Douarin
© Editions Robert Laffont

Nicole Le Douarin a vécu son enfance en Bretagne. Fille unique d’une mère institutrice et d’un père commerçant, elle dit avoir eu la chance d’être élevée comme un garçon, comprenez par là qu’elle a bénéficié d’une éducation non stéréotypée. Elle grandit à l’école où officie sa mère, écoute les leçons des plus grands en restant au fond de la classe.
La séparation est difficile lorsqu’elle quitte le cocon familial pour le collège, en pension à Nantes, dans un contexte de Seconde Guerre mondiale. Mais la jeune fille reste une élève brillante. Elle affectionne le latin et surtout le grec. Elle passe son bac de philosophie et décide pendant les vacances d’été d’étudier le programme de sciences expérimentales. Elle passe la session de septembre et obtient dans la foulée le bac scientifique.

Puis c’est le départ pour Paris. Mais Nicole ne part pas seule... Elle est accompagnée de Georges, qui deviendra son mari en 1951. Tous les deux décident de faire des sciences naturelles et deviennent professeurs. Leur agrégation en poche, ils sont envoyés faire leurs armes dans un lycée à Caen. Ils font la connaissance de deux autres couples de professeurs, de la même génération : Jean-Claude et Michelle Perrot, les historiens, et Jacques et Mona Ozouf, les philosophes ! Ensemble, ils multiplient les sorties, et resteront très attachés les uns aux autres. Ce sont d’ailleurs Mona Ozouf et Michelle Perrot qui signent aujourd’hui la préface des mémoires de Nicole Le Douarin, en rappelant avec humour quelques anecdotes de cette période.

Cependant, l’enseignement seul finit par lasser le couple Le Douarin. Ils veulent aller plus loin. Ils reviennent à Paris, poursuivent leur métier d’enseignant tout en se lançant dans la recherche. Moins facile à dire qu’à faire ! « J’ai essayé d’entrer à l’Institut du cancer de Villejuif car il y avait là bas une des très rares femmes professeurs de l’époque qui s’appelait Melle Lebreton. Je lui ai proposé de venir sur mon temps libre, comme bénévole, mais malheureusement, elle n’avait pas de place. Puis je me suis tournée vers un domaine que je n’avais pas beaucoup approfondi : la chimie biologique. Je suis donc allée voir un chef de travaux, une femme là aussi. Elle m’a répondu : « vous avez un métier, vous avez un mari et deux enfants, ça suffit pour vous, vous n’avez pas besoin de faire plus... » J’étais un peu découragée ».

Jusqu’au jour où Nicole le Douarin croise par hasard le chemin d’une ancienne amie de licence. Elle avait commencé directement une carrière de chercheur tandis que Nicole Le Douarin passait l’agrégation. « Elle m’a parlé d’Etienne Wolff, qui avait un parcours un peu similaire au mien, ayant fait de la philo, ayant passé l’agrégation et enseigné. Elle m’a obtenu un rendez-vous avec lui, et il a accepté de me prendre sous son aile, ainsi que mon mari ». Le couple Le Douarin va passer cinq ans au laboratoire d’embryologie et de tératologie (science des monstres) d’Etienne Wolff : Georges travaille à l’étude des premières étapes du développement du cœur chez l’embryon de poulet et observe l’effet de radiations ionisantes sur le développement de la morphogénèse. Et Nicole s’intéresse plus spécifiquement à l’appareil digestif de l’embryon de poulet.
Très rapidement, après leurs thèses, Georges obtient un poste de professeur d’université à Nantes et Nicole un poste de professeur d’université à Clermont. La famille est éclatée pendant un an, les parents en province, les enfants en banlieue parisienne. « Au départ, j’avais eu l’intention de suivre mon mari avec mon poste CNRS. Mais Etienne Wolff m’a persuadé que j’étais capable de monter mon propre laboratoire. A Clermont, on m’a confié un énorme programme de cours à faire, mais aussi deux jeunes femmes qui préparaient un diplôme d’études supérieures. Je donnais mes cours très tôt le matin et le reste de la journée je travaillais avec elles. C’est là que j’ai commencé à avoir en main des œufs de caille ».

Nous sommes en effet aux prémices de ses travaux qui vont bientôt la faire connaître sur le plan international. Après un an passé à Clermont-Ferrand, Nicole Le Douarin rejoint son mari à Nantes. Elle ouvre son propre laboratoire et crée un programme de recherche indépendant. C’est là qu’ils commencent à mettre en commun leurs connaissances sur les embryons de poulet et les embryons de caille.
« J’ai voulu faire une expérience chimérique pour voir si les phénomènes d’interaction entre les cellules pouvaient se faire aussi bien quand les deux tissus n’appartiennent pas à la même espèce que lorsqu’ils sont de la même espèce. Et j’ai trouvé que les phénomènes se font de la même façon, même si on a une cellule de caille et une cellule de poulet qui interagissent entre-elles ». Mais ce qui frappe Nicole Le Douarin, c’est la particularité de ces cellules de caille chez l’embryon de poulet qui permettent d’observer la migration de ces cellules.

A partir de ces observations, notre biologiste décide de se pencher plus particulièrement sur la crête neurale [[La crête neurale a une existence transitoire pendant le développement de l’embryon. C’est elle qui, aux stades embryonnaires, fournit des cellules innombrables envahissant la totalité de notre corps.]]. « On savait déjà que les cellules étaient migrantes en partant de la région dorsale du système nerveux. Mais comme on ne savait pas très bien comment elles migraient et où elles migraient exactement, j’ai pris un embryon de poulet, et j’ai remplacé cette zone de l’ébauche neurale par un équivalent provenant de la caille. J’ai laissé le poulet survivre et se développer pour ensuite rechercher les cellules de caille. Cette étude de chimère caille-poulet s’est appliquée par la suite à l’étude de beaucoup d’autres problèmes ».

Une des particularités des chimères caille-poulet mises au point par Nicole Le Douarin, c’est l’observation du rejet qui s’opère après l’éclosion des volatiles, mais pas pendant la phase de développement de l’embryon. Pour avoir travaillé par la suite dans le domaine de l’immunologie, Nicole Le Douarin et son équipe ont trouvé la réponse : « les greffons que l’on avait introduits étaient parfaitement tolérés pendant la vie embryonnaire et pas tolérés pendant la vie adulte car la construction et le fonctionnement du système immunitaire ne se fait qu’à partir d’un certain stade du développement. Chez les oiseaux, le système immunitaire se met en route après la naissance. Nous avons trouvé qu’il y avait dans le thymus la capacité à produire des cellules qui réagissent contre les cellules du non soi. Ces cellules ont une immunité adaptative (par opposition à l’immunité innée que nous possédons tous, depuis la drosophile jusqu’aux vertébrés) ».

Dans ses mémoires, Nicole Le Douarin nous livre également tout au long de son récit sa vision de la place des femmes dans la recherche, constate que sur les 240 membres de l’Académie des sciences, on ne compte que 22 femmes, dont la première à avoir fait son entrée est Yvonne Choquet Bruhat (1979) et la deuxième, elle-même, en 1982.
« Je suis féministe, mais je ne suis pas une militante. Je ne souhaite pas que l’on discrimine les hommes comme on a pu le faire avec les femmes, mais je souhaite qu’il y ait une justice et que les deux soient traités d’une manière identique ». Lorsqu’elle a débuté sa carrière en recherche, beaucoup de femmes étaient laborantines, mais presque aucune ne dirigeait de laboratoire. « En fait, peu avaient le titre alors qu’elles en avaient le rôle... elles étaient souvent l’épouse d’un professeur... Mais les choses ont changé avec le CNRS parce qu’on a donné plus d’indépendance aux gens. J’ai eu beaucoup d’élèves femmes. Elles venaient sans doute vers moi parce qu’elles savaient que si elles allaient chercher leurs enfants à l’école, je n’allais pas faire la grise mine. Aujourd’hui, ces femmes ont fait des carrières formidables : l’une est professeur à Harvard, une autre travaille à Kyoto et une autre encore exerce à la faculté de médecine de Jérusalem ».

Nicole Le Douarin a été élue à l'Académie des sciences le 15 février 1982 et après avoir été Secrétaire perpétuel de 2011 à 2005, elle est devenue Secrétaire perpétuel honoraire de l'Académie des sciences depuis 2006.


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Nicole Le Douarin, Dans le secret des êtres vivants, éditions Robert Laffont, 2012. Préface de Mona Ozouf et Michelle Perrot.

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