Jean-Christophe Rufin : Le Grand Coeur, aventure et nostalgie

Un hommage intime à Jacques Coeur, le favori disgrâcié
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Jean-Christophe Rufin, de l’Académie française, présente son dernier ouvrage Le Grand Cœur : un roman d’aventure, une biographie précise, des confessions mélancoliques. « Pendant mon enfance à Bourges, il fut celui qui me montrait la voie, qui témoignait de la puissance des rêves et de l’existence d’un ailleurs de raffinement et de soleil : son nom était Jacques Cœur. »

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : pag1064
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Portrait de Jacques Cœur




Jacques Cœur (Bourges vers 1395-1400, Chio 1456) est fils de pelletier. Grâce à la fortune réalisée dans le commerce du Levant, il devient le banquier de Charles VII qui le nomme Argentier du roi en 1439. Il assainit la situation monétaire en contribuant au financement de la reconquête du royaume à l'époque de la fin de la Guerre de Cent ans. Au faîte de sa gloire, il supporte la chute, le dénuement, la torture. Une cabale l'accuse, à tort, d'avoir empoisonné Agnès Sorel mais c'est pour malversations qu'il est emprisonné en 1451. Condamné à la prison, à une énorme amende et à la confiscation de ses biens, il parvient, en 1454, à s'évader et trouve refuge auprès du pape Nicolas V. À la tête d'une flotte qui lui est confiée par Calixte III, le successeur de Nicolas V, il part combattre les Turcs et meurt au cours de cette expédition en 1456, vraisemblablement à Chio.

Intimité, tendresse et nostalgie

D'emblée Jean-Christophe Rufin explique : La tonalité nostalgique du livre tient à deux raisons précises. D'une part, mon héros, Jacques Cœur, s'exprime à la première personne. Il a la cinquantaine, il se penche sur son passé et tente de démêler l'écheveau de ce destin extraordinaire qui fut le sien. Les confessions sont toujours mélancoliques. D'autre part, Jacques Cœur est très proche de moi : nous avons la même origine. Je suis né à Bourges, comme lui, pas loin de sa maison natale et tout près de son palais. C'est une figure qui a accompagné toute mon enfance. Je me sens très en familiarité avec lui, peut-être plus qu'avec d'autres héros que j'avais choisis pour leurs aventures dans mes romans historiques précédents. 

Un roman historique rigoureux, pas « un bal costumé »

Portrait de Charles VII, par Jean Fouquet, vers 1445 ou 1450, musée du Louvre


Jean-Christophe Rufin précise qu'il s'est attaché à ce que les repères historiques soient authentiques afin que le lecteur sache qu'il peut être en confiance dans ce livre. C'est Marguerite Yourcenar qui comparait un roman historique non rigoureux à un « bal costumé ».

Mais le romancier est appelé à la rescousse pour donner de la chair, rendre vivant le personnage, quand -et c'est le cas pour Jacques Cœur- on ignore son enfance, sa formation, ses expériences, ses émotions, ses rêves, ses peurs, ses amours. On connaît dans le détail la fortune de Jacques Cœur et son activité mais ces morceaux inertes, ces pièces comptables, ces inventaires, ne reconstituent pas un homme vivant.
L'imagination du romancier, alors, s'élance.

«  Nous tous qui écrivons sur ces références anciennes sommes des cannibales  » (préface de Jean-Christophe Rufin pour un livre sur Nicolas de Villegagnon )

Après avoir évoqué la France de ce premier XVe siècle, la destinée de Jacques Cœur, favori disgracié, l'ingratitude bien connue de Charles VII – Jeanne d'Arc en est un exemple célèbre-, l'intelligence et la dignité d'Agnès Sorel, Jean-Christophe Rufin conclut : « Oui, les romanciers sont des cannibales en général, qu'il s' agisse du passé ou de présent. Moi, en tant que médecin, je ne peux pas écrire sur le présent. J'ai prêté le serment d'Hippocrate, j'ai juré de ne pas révéler ce que j'ai vu en entrant dans les maisons. En revanche, avec la distance du temps, je suis libéré de cet engagement et je peux laisser carrière à l'imagination.
Bien sur on est des cannibales, mais cela va au-delà. Il y a une conséquence profonde, et d'ailleurs pas très confortable, à cet état de cannibale : on a besoin de la vie, de sa propre vie, de ses expériences, de ses émotions. On se nourrit des portraits et des paysages donnés par la vie. Moi, si je me consacrais uniquement à l'écriture je m'étiolerais. Je pourrais écrire un livre, peut-être deux, mais pas plus.
À la différence d'Henri Troyat, mon prédécesseur au fauteuil 28, qui se consacrait exclusivement à l'écriture j'ai besoin de la vie pour nourrir cette « imagination cannibale ».

Portrait d’Agnès Sorel d’après Jean Fouquet




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