Les sciences intégrées à l’école, suite logique de La main à la pâte

Deuxième émission de la série : "Un recteur, une académie, une expérimentation" avec Pierre Léna, Alain Boissinot et Jean-Michel Blanquer
Pierre LÉNA
Avec Pierre LÉNA
Membre de l'Académie des sciences

Dans la continuité de La main à la pâte qui introduit l’enseignement de la science à l’école primaire, les EIST, enseignements intégrés de sciences et technologies, se développent au collège dans les classes de 6e et de 5e. Il s’agit de regrouper 3 disciplines (Sciences et Vie de la Terre, Physique-chimie et Technologie) en un cours de sciences, dispensé par un même professeur. Au cours de cette émission, Jean-Michel Banquer, directeur général de l’enseignement scolaire, Alain Boissinot, recteur de l’Académie de Versailles et Pierre Léna, membre de l’Académie des sciences, évoquent les apports de cette expérimentation et les améliorations possibles.

_ Rappelez-vous, c’était en 1996. Le dispositif de La main à la pâte débutait sous l’impulsion de l’Académie des sciences grâce à Georges Charpak, Yves Quéré et Pierre Léna. Enseigner la science à l’école primaire à travers le prisme de l’expérience, pour élaborer un raisonnement scientifique basé sur le questionnement, l’hypothèse et la vérification. « L’état d’esprit auquel nous adhérons totalement est de montrer que le monde n’est pas découpé en disciplines » rappelle J.-M Blanquer. Un principe qui ne cesse de faire des émules, et qui s’est entendu au collège dès 2006 avec l’expérimentation des EIST, enseignement intégré des sciences et technologie dans les classes de 6e et de 5e : il s’agit de rassembler les trois matières que sont les SVT, Physique-chimie et Technologie sous un cours de sciences, le tout dispensé par un même professeur, en concertation avec ses collègues.

Pour le recteur de l’Académie de Versailles Alain Boissinot dont l'Académie compte pas moins de 1,1 millions d’élèves, La main à la pâte et les EIST sont un ferment de renouvellement pédagogique. « Depuis très longtemps nous rencontrons le problème du cloisonnement disciplinaire ; les enseignants sont habitués à raisonner selon le prisme de leurs disciplines et ont du mal à travailler en équipe. Au début, on s’est dit qu’il fallait peut-être modifier la formation des enseignants, leurs obligations de service... C’est le débat bien connu de la question de la polyvalence des enseignants.
On s’est rendu compte que ce débat aboutissait à une impasse et soulevait de très nombreuses réticences de la part des enseignants. Cette impasse venait du fait que nous raisonnions du point de vue des professeurs. Ce que La main à la pâte et les EIST apportent à mon avis de décisif et de résolument nouveau, c’est qu’on passe par le point de vue des élèves. Le problème n’est plus de savoir si le professeur maîtrise tous les champs du savoir ; il est de savoir comment les élèves peuvent avoir une vision cohérente de données réelles, complexes, de problèmes qui relèvent des maths, de la physique et de la technologie »
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Pour Jean-Michel Blanquer, reste désormais à assurer un passage fluide entre l’école primaire et le collège où l’on constate actuellement une perdition des élèves du CM2 arrivant en 6e.

Des propos qui font écho au témoignage de Marie-Christine Cosson, professeur des écoles aux Clarines à Berneix (Haute-Savoie), co-lauréate avec sa collègue Christèle Léry des prix La main à la pâte 2011 pour un projet intitulé « Apprentis chimistes » [ [Ecoutez la retransmission des prix La main à la pâte remis en janvier 2012 à l'Institut de France.
« Aujourd’hui, je remarque que les élèves qui passent une deuxième année avec nous ont désormais la capacité de se poser des questions qu’ils n’arrivaient pas à poser avant. Par exemple, lorsque nous avons reçu des tablettes tactiles à l’école dernièrement, la première réaction a été de savoir comment ça marchait plutôt que de jouer avec. Autre exemple : des enfants à la récréation ont cherché à faire fonctionner une dynamo avec un vélo de maternelle plutôt que d’aller jouer.
J’applique la démarche scientifique également à d’autres matières comme les maths pour aborder les nombres décimaux, mais aussi en Histoire-géographie et en grammaire.
, je suis surprise de voir les bulletins trimestriels dans les matières scientifiques des élèves qui sont partis en 6e. Les résultats ne sont pas à la hauteur de ce que j’attendais. Il faut dire qu’ils sont notés sur 20 alors qu’en primaire nous validons des compétences de la démarche scientifique. Cela n’a rien à voir »
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Elèves "apprentis chimistes" de la classe de Marie-Christine Cosson 2010-2011.
© DR


Pierre Léna le rappelle : c’est cette transition si difficile entre le primaire et le collège qui a été une des motivations essentielles dans la mise en place des EIST. Parmi les points à améliorer, il note l’utilisation nécessaire d’un vocabulaire commun entre les différents professeurs : « Une publication très intéressante d’évaluation sur la pratique des professeurs des EIST a été réalisée et montre des différences de langage, de vocabulaire très importantes. Si trois professeurs agrégés qui exercent depuis 20 ans ont du mal à se mettre d’accord sur la définition du mot « énergie », comment un enfant pourra-t-il faire la synthèse ? » demande Pierre Léna.

Alain Boissinot pour sa part relève l’enjeu des évaluations dont les nouvelles pratiques pédagogiques de type EIST appellent à un autre regard sur les élèves avec d’autres pratiques d’évaluations. « On connaît bien les tiraillement qui existent dans notre système actuel avec la mise en œuvre du socle commun au primaire et au collège, la difficulté de concilier les exigence traditionnelles et la prise en compte des compétences et des progrès en matière de savoir faire ». Qu’il s’agisse de La main à la pâte ou des EIST, cette forme d’enseignement se prête à l’intégration, à la diversité des profils « alors que le format traditionnel a tendance à faire le tri entre les bons et les mauvais élèves » constate le recteur.

Second témoignage auquel nos invités sont amenés à réagir : celui de Catherine Bonnefond, professeur de SVT à Saulx les Chartreux dans l’Essonne. Le professeur pratique l’EIST depuis les débuts de l’expérimentation en 2006. Les avantages de cette pratique chez les 6e sont nombreux pour elle : elle travaille avec un effectif réduit d’élèves, enseigne les sciences à hauteur de 3h30 par semaine, là où elle n’avait avant qu’1 h pour sa seule discipline. « Mais cela demande un minimum d’entente avec les autres professeurs pour travailler en symbiose et avancer au même rythme dans le programme » précise l’intéressée. Si l’expérience se poursuit pour les 6e, en revanche les professeurs n’ont pas fait le choix de poursuivre cette pratique pour les 5e car « impossible de tenir tout le programme ».

Pour le recteur Alain Boissinot, le professeur soulève ici la question de l’exigence des programmes à respecter et pose la question : « Quel inconvénient y aurait-il à desserrer au niveau de la 5e la contrainte des programmes pour travailler et consolider l’approche de base des sciences ? C’est un débat qui est devant nous et il ne faudrait pas que les professeurs très attachés à un niveau d’exigence manifesté par les programmes les empêchent de se sentir libre d’aller vers l’avant pour innover comme le permet les EIST ».

Comment faire pour respecter les programmes tout en demeurant à l’écoute des élèves ?
Si, pour Jean-Michel Blanquer, le programme est indispensable comme ossature, il faut aussi laisser une place à la créativité au professeur. C’est d’ailleurs le rôle de l’inspecteur rappelle-t-il : « L’inspecteur n’est pas là pour contrôler le fait que l’enseignant est bien dans les temps dans son programme, mais au contraire pour aider l’enseignant à ce que les élèves réussissent. Cela suppose une atmosphère générale de confiance. Nous sommes là tous ensemble pour faire réussir l’élève. Cela n’invalide pas du tout les programmes, ça leur donne au contraire leur véritable sens ».

Et pour accompagner encore un peu plus ces enseignants et professeurs du primaire et secondaire, des maisons régionales pour la science commencent à voir le jour. Les deux premières ouvriront leurs portes à Toulouse et Strasbourg. « Ces maisons doivent rapprocher les professeurs des chercheurs, pour entrer en contact avec une science en train de se faire, une science vivante. Ces maisons assurent des outils dans la longue durée en complément de ce que fait l’Education nationale mais dont le monde scientifique est partenaire » précise Pierre Léna.

Faudra-t-il généraliser les EIST dans les années à venir ? « On ne fait rien par l’injonction dans ces domaines. Il n’est donc pas question d’une généralisation de cette pratique, mais nous poursuivons le développement du travail en équipe des professeurs sur le plan interdisciplinaire » termine Jean-Michel Blanquer.

Alain Boissinot, recteur de l’Académie de Versailles, Pierre Léna, membre de l’Académie des sciences et Jean-Michel Blanquer, directeur de l’enseignement scolaire (de gauche à droite)
© Canal Académie

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