Rugby : des blasons, des maillots et... des couleurs !

Pour l’historien Michel Pastoureau, le coq, le kangourou ou le chardon sont toujours chargés d’histoire
Michel PASTOUREAU
Avec Michel PASTOUREAU
Correspondant

Du 9 septembre au 23 octobre 2011, la Nouvelle-Zélande accueille la coupe du monde de rugby. L’occasion pour Michel Pastoureau de se pencher sur l’origine des couleurs et des blasons des maillots sportifs, sur les terrains de rugby comme dans les stades de football, en Angleterre comme en Australie, à Milan comme à Paris. Il est correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

Le coq français (gaulois), le kangourou australien, le jaguar argentin, la rose anglaise, le chardon écossais, la fougère néo-zélandaise...: les blasons des équipes de rugby disputant la phase finale de la coupe du monde ont pour motif soit un animal, soit un végétal. Pour connaître leur origine, un détour par le Royaume-Uni s'impose.


On dit souvent que les Anglais ont tout inventé. Ce n'est pas vrai !Certes le rugby a pris son essor en Angleterre au début du XIXe siècle. Mais il faut rendre à César ce qui appartient à... l’Écosse. Car le rugby, comme le rappelle Michel Pastoureau, s'est d'abord développé dans les collèges universitaires écossais. L'emblématique en usage dans ces collèges marquera durablement l'emblématique sportive, sur tous les terrains de jeu.


Dans ces pays, l’Écosse, l'Angleterre, mais aussi la Suisse, l'héraldique est encore vivante. L'héraldique est l'étude des blasons et des armoiries. Selon Michel Pastoureau, elle est remarquable surtout «par les nombreux codes qui en sont issus et qui régissent toute notre symbolique sociale des couleurs, depuis les drapeaux et les uniformes jusqu'aux étiquettes des bouteilles de vin ou des boîtes de fromage, en passant par les logotypes des partis politiques et les maillots des clubs de football».



Les Coqs tricolores


Voici donc révélé le mystère des origines des maillots sportifs, lointains successeurs de l'héraldique médiévale, apparue au XIIe siècle en Occident. Les armoiries permettaient de différencier les participants aux batailles et aux tournois. Le blason apposé à l'endroit du cœur des joueurs de rugby est lui moins signe de reconnaissance sur les terrains que symbole d'identité. On dit ainsi le XV de la Rose pour l'Angleterre, les Wallabies pour l'Australie ou les Springboks pour l'Afrique du Sud. Quant aux rugbymen français, avant de devenir les Bleus, ils s'appelaient les Coqs.


Les footballeurs français aussi furent surnommés ainsi. Leur maillot a beaucoup évolué dans le temps, offrant diverses nuances de bleu au gré des envies de l'équipementier. Des envies qui sont parfois des lubies, à en juger par le nouveau maillot extérieur des Bleus : la fameuse marinière. Pour le célèbre équipementier, ce maillot est le résultat d'un «design résolument innovant, exprimant pleinement l'esprit conquérant de l'équipe de France» !


Puisse le vent être favorable au XV de France...

La marinière se caractérise par des rayures horizontales. Mais la plupart des maillots sportifs ont des rayures verticales. C'est le cas du Milan AC et de l'Inter de Milan, qui doivent leurs couleurs à celles de quartiers de la ville lombarde. Parfois, c'est au contraire le club qui donne ses couleurs au quartier ou à la ville qu'il représente, comme à Londres ou à Berlin.



Rouge et jaune : attention danger


Sur les terrains verts («le vert est en Occident la couleur du jeu et du sport depuis le XIIe siècle au moins», relève Michel Pastoureau), le rouge et le bleu sont les couleurs dominantes. Le jaune est plus rare. Peu aimé du grand public en Europe (cela est vrai pour les adultes plus que chez les enfants), il symbolise dans de nombreux sports, comme le rouge du reste, la couleur de l'avertissement. Songeons aux cartons jaune et rouge en rugby comme en football. Ou aux drapeaux jaune et rouge en Formule 1, le premier signalant un danger, le second l'interruption de la course. Ces couleurs ont la même signification d'avertissement du danger dans le règne animal : les veuves noires, par exemple, ont sur l'abdomen des taches rouges, orange ou jaunes selon les cas, couleurs que l'on retrouve chez de nombreuses espèces venimeuses (serpents, etc.).

Michel Pastoureau, auteur du Dictionnaire des couleurs de notre temps. (éd. Bonneton)




Le jaune a néanmoins fait un retour en grâce dans l'opinion publique, à la faveur de la popularité du célèbre «maillot jaune» du Tour de France, créé en 1919. Cette année 2011, le vainqueur, l'Australien Cadel Evans, ne l'a revêtu qu'à la veille de l'arrivée sur les Champs-Élysées. Pas de quoi faire rêver les foules, qui n'avaient d'yeux que pour le Français Thomas Voeckler, héroïque et pathétique (à faire fendre les rochers comme aurait dit Rousseau) porteur du maillot jaune dix jours durant. A vrai dire, ce maillot n'est pas tant de couleur jaune que de couleur or, la couleur de la victoire et de la richesse.


Depuis le scandale de l'affaire Festina en 1998, le cyclisme est souvent associé au dopage. Le sport moderne, lui, est synonyme d'argent. Toutes les disciplines ne sont pas touchées de la même façon par le phénomène, mais le temps de l'amateurisme est bel et bien terminé. Même les rugbymen écossais, farouches défenseurs de l'esprit amateur, ont fini par céder aux sirènes du professionnalisme. Ils n'ont adopté le système des numéros frappés au dos des maillots que dans les années 1950. George V, qui régna sur le Royaume-Uni de 1910 à 1936, s'étonna un jour de cette anomalie auprès du président de la Fédération de rugby écossaise d'alors, qui lui répondit : «C'est un match de rugby, Sire, pas un marché aux bestiaux !»






Pour aller plus loin

- Retrouvez Michel Pastoureau s'exprimant sur les couleurs dans le judo : Le judo, un sport haut en couleurs !

- Les maillots des vingt équipes qualifiées pour la phase finale de la coupe du monde de rugby 2011.

- M. Pastoureau, Les couleurs de nos souvenirs, Le Seuil, 2010.

- Noir, histoire d'une couleur, Le Seuil, 2009.

- Dictionnaire des couleurs de notre temps. Symbolique et société, éd. Bonneton, 1992.

- L'étoffe du Diable. Une histoire des rayures et des tissus rayés, Le Seuil, 1991.


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