Les nouveaux défis de l’éducation

Avec les discours de Gabriel de Broglie, Xavier Darcos, Pierre Léna et Michel Serres
Gabriel de BROGLIE
Avec Gabriel de BROGLIE de l’Académie française,
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Les Académiciens se penchent sur le thème de l’Education. Séance "inter-académique" exceptionnelle ce mardi 1er mars 2011 sous la Coupole de l’Institut de France : le Chancelier Gabriel de Broglie, le Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques Xavier Darcos, Pierre Léna, de l’Académie des sciences et Michel Serres, de l’Académie française, ont traité d’un sujet préoccupant : l’éducation et la transmission des savoirs. Au-delà d’un constat ou d’un cri d’alarme, ils envisagent les solutions qui pourraient être apportées à cette question centrale.

Le Chancelier de l'Institut de France Gabriel de Broglie a ouvert cette séance exceptionnelle qui réunissait sous la Coupole de nombreux invités en présence de M. Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

"Notre pays a longtemps bénéficié d’une réputation enviée et méritée en matière d’éducation. Il disposait de générations nombreuses d’hommes et de femmes excellemment formés dans les métiers, les entreprises, les écoles, les laboratoires. Un système d’éducation rénové s’était déployé dans un ordre majestueux : généralisation de l’enseignement primaire, développement de l’enseignement secondaire, brillant essor de l’éloquence universitaire, de l’érudition et de la création littéraire. L’éclat de notre XIXe siècle doit beaucoup à la qualité de notre éducation. La Nation assurait alors la formation de ses enfants, mais aussi celle de nombreux jeunes étrangers et peuplait de ses meilleurs sujets le cosmopolitisme triomphant de l’Europe.
Ce succès de civilisation n’a pas disparu. Il en subsiste d’imposants restes aujourd’hui. Il a tendance à se dissoudre progressivement. Le charme s’est rompu. Non pas à une date donnée, ni en France seulement, mais notre système d’éducation ne figure plus au tableau d’honneur des nations...

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2 - Après Gabriel de Broglie, c'est Xavier Darcos, qui fut professeur et ministre de l’Éducation nationale, qui a pris la parole sur le thème "École et Nation". En voici les premiers mots :

Xavier Darcos © Brigitte Eymann \/ Institut de France

Investi du périlleux honneur de la parole publique, pour la première fois sous cette Coupole dans mes fonctions de secrétaire perpétuel, je suis heureux de pouvoir m’exprimer sur le sujet qui me tient le plus à cœur et auquel j’ai consacré l’essentiel de ma carrière : l’École de la République. Mais au moment de commencer ce discours, je ressens la nécessité d’invoquer les noms de deux orateurs parmi les plus grands que l’histoire ait connus. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, un éditeur avisé demanda à Georges Clemenceau, dont l’éloge de l’éloquence n’était plus à faire, d’écrire une biographie de Démosthène, le modèle de l’art oratoire de la Grèce antique. L’Athénien avait mis son verbe au service de la cité, pour l’appeler à résister à l’envahisseur macédonien. Il était facile de faire le lien avec la Grande Guerre. Certes, il avait échoué, mais il restait une référence. Clemenceau était en quelque sorte un Démosthène qui avait réussi. Relire aujourd’hui ce petit livre est du plus grand intérêt. Démosthène venait de loin : desservi, dans sa jeunesse, par une difficulté d’élocution, il l’avait surmontée en s’obligeant à parler avec des cailloux dans la bouche. On a fait mieux depuis – l’orthophonie en était, si j’ose dire, à ses balbutiements. Devenu un redoutable maître du verbe politique, il consacra son talent à tenter de mobiliser les Athéniens menacés par le roi Philippe II. De l’échec même de ce génie rhétorique, dont la division des Grecs était seule cause, Clemenceau tirait une grande leçon pour tous les temps :
« La vérité, écrivait-il, est que ces hommes qui avaient tant de raisons de serrer les rangs, de s’unir en vue de se consacrer à l’œuvre commune des libérations de l’intelligence, mettaient au-dessus de tout le plaisir de se massacrer. Pour tout dire d’un mot, ces Hellènes, si finement intellectualisés, n’eurent pas le sentiment de la grande patrie ».
Ainsi, la Grèce avait la démocratie et elle avait l’intelligence. Pourtant elle était vouée à être vaincue. Parce qu’elle ignorait les liens qui unissent une nation.

Comparaison n’est pas raison, me direz-vous, car la France d’aujourd’hui n’est pas la France de Clemenceau, encore moins l’Athènes de Démosthène...

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3 - Le troisième intervenant fut Pierre Léna, délégué à l’éducation et à la formation (2006-2011) au sein de l'Académie des sciences, qui a intitulé son discours : "La science en héritage". En voici l'ouverture :

Pierre Léna © Brigitte Eymann \/ Institut de France

Les merveilles de la science contemporaine enchantent les chercheurs, séduisent ou parfois inquiètent nos sociétés et leur jeunesse, interrogent la conscience morale, bouleversent nos vies par leurs applications. Ce constat, banal, bouscule la transmission de cette science au sein des institutions scolaires dans le monde entier. Évaluations nationales ou internationales, incertitude des professeurs, insatisfaction de bien des élèves, tout exprime la nécessité de changements profonds dans la transmission de l'héritage scientifique à nos élèves. Sans ces changements que je vais évoquer, la société de la connaissance et de l’innovation en Europe n’aura été qu’un beau rêve.
Nous sentons déjà que les échéances prochaines placent l’éducation parmi les questions brûlantes posées à notre pays. Georges Charpak, qui nous a quittés en septembre dernier, l’avait pressenti et l’Académie des sciences vient de rappeler la vie hors du commun de cet immigrant, enfant accueilli par l’école française...

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4 - Discours de Michel Serres, de l'Académie française

Michel Serres a choisi pour son discours un titre inattendu : "PETITE POUCETTE" sur lequel il s'explique plus loin.

Voici le début de son discours :

"Avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître. Qui se présente, aujourd’hui, à l’école, au collège, au lycée, à l’université ?
- Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n’a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée. En 1900, la majorité des humains, sur la planète, s’occupaient de labourage et pâturage ; en 2010, la France, comme les pays analogues au nôtre, ne compte plus qu’un pour cent de paysans. Sans doute, faut-il voir là une des plus immenses ruptures de l’histoire, depuis le néolithique. Jadis référée aux pratiques géorgiques, la culture change.
Celle ou celui que je vous présente ne vit plus en compagnie des vivants, n’habite plus la même Terre, n’a donc plus le même rapport au monde. Il ou elle ne voit que la nature arcadienne des vacances, du loisir ou du tourisme...

Michel Serres © Brigitte Eymann \/ Institut de France


- Il habite la ville. Ses prédécesseurs immédiats, pour plus de la moitié, hantaient les champs. Mais il est devenu sensible aux questions d’environnement. Prudent, il polluera moins que nous autres, adultes inconscients et narcisses.
Il n’a plus le même monde physique et vital, ni le même monde en nombre, la démographie ayant soudain bondi vers sept milliards d’humains.

- Son espérance de vie est, au moins, de quatre-vingts ans. Le jour de leur mariage, ses arrière- grands-parents s’étaient juré fidélité pour à peine une décennie. Qu’il et elle envisagent de vivre ensemble, vont-ils jurer de même pour soixante-cinq ans ? Leurs parents héritèrent vers la trentaine, ils attendront la vieillesse pour recevoir ce legs.
Ils n’ont plus la même vie, ne vivent plus les mêmes âges, ne connaissent plus le même mariage ni la même transmission de biens.

Au premier rang à droite le ministre Luc Chatel et à ses côtés le sénateur Jacques Legendre © Brigitte Eymann \/ Institut de France


- Depuis soixante ans, intervalle unique dans notre histoire, il et elle n’ont jamais connu de guerre, ni bientôt leurs dirigeants ni leurs enseignants. Bénéficiant des progrès de la médecine et, en pharmacie, antalgiques et anesthésiques, ils ont moins souffert, statistiquement parlant, que leurs prédécesseurs. Ont-ils eu faim ?
Or, religieuse ou laïque, toute morale se résumait à des exercices destinés à supporter une douleur inévitable et quotidienne : maladies, famine, cruauté du monde.
Ils n’ont plus le même corps ni la même conduite ; aucun adulte ne sut ni ne put leur inspirer une morale adaptée.

- Alors que leurs parents furent conçus à l’aveuglette, leur naissance fut programmée. Comme, pour le premier enfant, l’âge moyen de la mère a progressé de dix à quinze ans, les enseignants ne rencontrent plus des parents d’élèves de la même génération.
Ils n’ont plus les mêmes parents ; changeant de sexualité, leur génitalité se transformera.

- Alors que leurs prédécesseurs se réunirent dans des classes ou des amphis homogènes culturellement, ils étudient au sein d’un collectif où se côtoient désormais plusieurs religions, langues, provenances et mœurs. Pour eux et leurs enseignants, le multiculturalisme est de règle depuis quelques décennies. Pendant combien de temps pourront-ils encore chanter l’ignoble « sang impur » de quelque étranger ?
Ils n’ont plus le même monde mondial, ils n’ont plus le même monde humain. Autour d’eux, les filles et les fils d’immigrés, venus de pays moins riches, ont vécu des expériences vitales inverses.

Bilan temporaire. Quelle littérature, quelle histoire comprendront-ils, heureux, sans avoir vécu la rusticité, les bêtes domestiques et la moisson d’été, dix conflits, blessés, morts et affamés, cimetières, patrie, drapeau sanglant, monuments aux morts, sans avoir expérimenté dans la souffrance, l’urgence vitale d’une morale ?

Voilà pour le corps ; voici pour la connaissance".

© Brigitte Eymann \/ Institut de France


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- Le discours de Michel Serres est paru aux éditions Le Pommier

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