Les runes, la mythologie scandinave et l’histoire des religions

Rencontre avec le suédois Anders Hultgärd, correspondant étranger de l’Académie des inscriptions et belles-lettres
Avec Anders HULTGARD
Correspondant

Le professeur Anders Hultgärd enseigne à l’Université suédoise d’Uppsala -une des plus anciennes d’Europe- l’histoire comparée des religions tout en étant un spécialiste des religions nordiques. De passage à Paris, le correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, a évoqué son parcours au micro de Françoise Kostolany.

Notre invité commence par s'étonner de la réputation de l'université d'Uppsala en France mais il faut préciser que plusieurs de nos compatriotes éminents y ont séjourné et enseigné : dont Georges Dumézil, le "pape" des études indo-européennes, de l'Académie française et de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, mais aussi le philosophe Michel Foucault qui fut attaché culturel à Stockholm et directeur de la maison française. Et l’université d’Uppsala évoque également pour les Français Celsius -qui est devenu presque un nom commun « degré Celsius »-, le visionnaire Swedenborg et le grand botaniste et entomologiste Linné -que vous appelez Carlus von Linne- et dont certainement peu d’entre nous savent qu’il était suédois.

Interrogé sur ses personnages littéraires favoris, le Pr Hultgärd répond sans hésiter : Chateaubriand et Lamartine, deux auteurs qu'il lit et relit dans le texte.

Les religions du Nord... mais les autres aussi !

Le sujet d'études et de recherches de prédilection du Pr Hultgärd ? Les mythes du Nord, la Scandinavie pré-chrétienne, mais aussi les Vikings, les runes, et d'une manière plus globale, l'histoire comparée des religions.

" Je travaille maintenant pour rédiger un livre sur le thème du crépuscule des dieux. Il y a une tradition mythique dans le Nord. Les familles aristocratiques en Islande ont su préserver des fragments de la mythologie préchrétienne dans ce coin éloigné".

Notre invité cexplique alors que le mythe du "Grand Hiver", mythe scandinave évident, se retrouve aussi -curieusement- en Iran... Dans ce mythe, sont avancés les signes funestes de la fin de la vie sur terre, et les prémices de son vieillissement qui sont déjà là... Reste que le mythe n'est pas dépourvu d'espérance puisqu'un renouvellement du monde est possible : après le crépuscule des dieux, les champs se couvriront de verdure... La nature renaîtra, mais l'individu aussi (la notion de resurrection est présente à la fois en Iran, dans le judaïsme et le christianisme).
Autre point commun entre la Scandinavie et l'Iran : la manière de compter le temps en hivers (ce qui peut surprendre pour un pays de désert...). "Il y a des parallèles, des affinités assez frappantes entre la mythologie nordique et la mythologie des anciens Iraniens" (Zarathoustra-Zoroastre)

Encore une notion commune : le paradis. "Il y a, en Iran ancien, des descriptions du paradis qui ont influencé celles du judaïsme et du christianisme et même de l’islam en ce qui concerne l’apparence du paradis avec des arbres verts et des fleurs".






Le Pr Hutgärd, fin connaisseur de tels mythes, peut ainsi établir d'intéressantes comparaisons des diverses conceptions du paradis et percevoir l'héritage commun indo-européen de plusieurs religions.
- "J'ai replacé, dit-il, la tradition mythique du crépuscule des dieux dans le cadre de la société viking, parce que les mythes sont toujours un élément de la société vivante actuelle. Je me suis efforcé de travailler sur la place de cette tradition eschatologique".

Un exemple ?
- Chez les dirigeants vikings : participer au combat de la fin du monde et y mourir est un honneur. Des poèmes du X è siècle témoignent de cette croyance. On retrouve encore la même idée chez les martyrs islamistes (où la mort au combat assure une place auprès de Dieu).

Les runes, une écriture mystérieuse

Anders Hultgärd aborde aussi le concept des runes, une écriture apparue au Iè siècle après J.C. dans le sud de la Scandinavie. "Il y a une distance certaine entre l’Empire romain et le sud de la Scandinavie. Les Germains qui habitaient plus près de l’Empire romain ont utilisé le latin. Pour les runes, on a cherché l’origine, le modèle : il y a un modèle mixte, certaines lettres sont évidemment de l’alphabet latin et d’autres rappellent plus l’alphabet grec. Mais tous les alphabets qui sont issus de l’alphabet phénicien commencent par la lettre "a" alors que les runes commencent par "f". On n’a pas pu l’expliquer".

Notre spécialiste souligne d'ailleurs une évolution : les runes de l’époque viking sont un peu différentes des premiers runes qui comportaient 80 signes. Le mot rune désigne le mystère, le secret. Il y a une connotation cultuelle dans ce terme.

Les runes ont été utilisés à des fins magiques. Les "documents" sur lesquels on les déchiffre encore de nos jours -car les trouvailles archéologiques continuent, essentiellement dans le centre de la Scandinavie- sont souvent très courts. Et notre invité précise : "A l’origine, c’était une écriture pour communiquer des messages. Les lettres étaient inscrites sur la pierre, le bois, ou sur des métaux. On les utilisait encore au XVII e siècle." Hélas, il n'existe pas de "Champollion" des runes pour les déchiffrer...

L'un des meilleurs spécialistes des runes fut le français (originaire de Normandie) Lucien Musset qui était correspondant de l'Académie des inscriptions et belles-letttres et dont l'ouvrage est quasi épuisé.
Quant aux publications du Pr Hultgärd, elles ne sont pas, pour le moment, disponibles en français.

- Sur le site de l'Académie des inscriptions et belles-lettres : http://www.aibl.fr/fr/membres/home.html




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