Trempé comme une soupe

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Prévoir un parapluie, voilà ce qu’il faut pour éviter d’être trempé comme une soupe, un aliment liquide bien agréable en hiver parce qu’il nous réchauffe. L’expression est très parlante, quoi de plus liquide en effet qu’une soupe ! Pourtant, en 1680, le Dictionnaire françois de Richelet nous offre, entre les articles soupçonneux et soupente, les mots soupe et soupé, des définitions qui peuvent pour le moins nous étonner quant au sens qu’on leur donne. Mais avec notre chroniqueur lexicologue Jean Pruvost, tout nous étonne toujours !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots628
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_ Commençons par l’exemple qui peut surprendre, « couper la soupe ». Diable ! Faut-il que la soupe soit gelée ou si épaisse qu’on soit obligé de la couper ? En fait, il suffit de consulter la définition pour comprendre que le mot ne désignait pas du tout la même chose qu’aujourd’hui.
Soupe : « tranche de pain coupé fort délié pour faire le potage & sur quoi on met le bouillon du pot tout chaud ». Quant à la « soupe au vin », elle est définie comme du « pain trempé dans du vin ».On comprend alors pourquoi, l’expression finalement assez stupide, « trempé comme une soupe », pouvait avoir du sens. Cela signifiait tout simplement être trempé comme un morceau de pain plongé dans le potage. C’est qu’au Moyen Âge, le pain n’était pas cuit tous les jours, il devenait donc rassis assez vite et, à la manière des croûtons d’aujourd’hui, on le jetait dans le potage. Et comme il s’agissait du plat principal, et même pour tout dire du plat unique, on appela ce repas du soir le souper. « Après le souper », déclare Richelet, « il ne faut songer qu’à se divertir doucement».
Voilà un dictionnaire de bon conseil ! Évidemment, il vaudrait mieux éviter la « soupe à la grimace », c’est-à-dire comme le signalent nos premiers dictionnaires, très misogynes, « l’accueil hostile d’une épouse acariâtre, querelleuse ».


Pierre Larousse qui s’y connaissait en matière culinaire – sa maman était aubergiste – est intarissable à propos de la soupe. Ainsi, après avoir rappelé à travers une citation que naguère, l’enfant, le paysan, le soldat, l’ouvrier vivaient presque exclusivement de soupe, il nous gratifie de recettes bien senties, et notamment celle de la soupe au vin. On le sent d’ailleurs soucieux d’adhérer pleinement à l’École de Salernes qui attribue à la soupe au vin des qualités dentifrices, stomachiques et bien d’autres encore. En l’occurrence, on ne coupe pas à un petit poème : « La soupe au vin ou soupe au perroquet blanchit nos dents, éclaircit notre vue, remplit le vide, et le plein diminue, donne à l’esprit plus d’un bon trait ».


Soupe au lait, soupe au fromage, soupe à la Rumfort, c’est-à-dire soupe aux légumes secs que le comte de Rumfort offrait aux indigents, soupe à la bière, soupe verte, soupe aux fanes de pois, soupe à la minute, soupe dorée, soupe aux choux, tout y passe. Et pour la soupe aux choux, rebelote ! Un poème s’impose, extrait de la Henriade travestie. C’est que la soupe a inspiré plus d’un poète, parce que comme le déclare Molière, « Je vis de bonne soupe et non de beau langage Vaugelas (le linguiste) n’apprend point à bien faire un potage ». Voici donc le poème :
« À la maison, ils arrivèrent
-Où tête-à-tête, ils se gavèrent,
-D’une très ample soupe aux choux,
-Ce que Henri trouva bien doux…
».
Parions que, quelle que soit l’heure, vos papilles gustatives se dilatent.




Texte de Jean Pruvost.


Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire. Et chaque année, il organise la Journée Internationale des Dictionnaires.

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