Salon : tous les salons sauf un…

Mot pour mot, la chronique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Lieu de réception, lieu d’exposition, d’où vient le mot salon et quels sont ses divers sens depuis le XVII e siècle jusqu’à nos jours ? Car le mot, comme le rappelle notre lexicologue, Jean Pruvost, a évolué et attire toujours les curieux... Vous avez dit salon de l’agriculture ou de l’automobile, des Indépendants ou des Refusés, des livres ou des arts ménagers, ou même, de thé, de coiffure ou de verdure ? Le mot salon serait-il l’un des plus usités de la langue française ?

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots668
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Balzac, Honoré, est parfois détestable, lorsqu’il évoque par exemple dans le Dictionnaire des enseignes « une gravure » qui, dit-il hautain, est « tout au plus propre à orner le salon de coiffure d’un barbier de village ». Balzac, contrairement à son habitude est ici méprisant car, si le salon a ses lettres de noblesse en représentant le lieu d’exposition d’œuvres d’art ou de nouveautés, et cela depuis 1737 – au moment où le Salon carré du Louvre servit de salle d’exposition –, point n’était besoin de jouer sur les mots, du salon artistique au salon de coiffure, lieu où le coiffeur officie pour notre plus grande satisfaction.

En fait, c’est 1650 que, construit sur le mot sala, l’italien salone, qui désignait une grande salle, fit son entrée en langue française sous une forme masculine, le salon. À dire vrai la racine du mot sala, en italien, ou salle, en français, vient d’un mot germanique désignant au tout départ une habitation d’une seule pièce. De la « grande salle » unique, on passa à la « grande salle » de la maison, le salon, qui fit office de pièce de réception. Certes, le salon s’est associé au XXe siècle à d’autres espaces, par exemple le salon-bibliothèque ou le salon-salle à manger, mais, ce fut tout d’abord le lieu de réception par excellence, d’où le salon de compagnie. On n’oubliera pas pour autant d’ailleurs qu’à la fin du Grand Siècle, existèrent le salon de feuillage ou de treillage, des espaces couverts de verdure, qu’on l’appela aussi salon de verdure au XVIIIe. Le Salon de l’agriculture n’est pas pour autant un salon de verdure qui a réussi, il provient en effet en droite ligne du salon où l’on expose les nouveautés, à commencer par des tableaux, avant de superbes automobiles.

C’est à partir de 1750 que les salons désignèrent aussi une exposition périodique d’œuvres d’artistes vivants, mais aussi les comptes rendus qui en étaient faits, les plus célèbres étant en l’occurrence les Salons de Diderot, publiés en 1768. Les intitulés des salons artistiques sont parfois éloquents ; que l’on pense par exemple au Salon des refusés, en 1863, au Salon des indépendants en 1884, mais aussi au Salon des dépendants en 1903, enfin le premier salon échappant à l’art de la peinture ou de la sculpture, reste celui, grandiose, de l’Automobile, en 1898. Vint ensuite le Salon des Arts ménagers, et le Salon du Livre, celui qui me ruine.

Pour revenir au Salon que nous fréquentons assez régulièrement, le salon de coiffure, il s’appela d’abord, en 1822, le « salon pour la coupe de cheveux ». Quant au salon de thé, il ne date que de 1923. L’un et l’autre sont des lieux où l’on aime parler, comme dans les Salons mondains, mais sans jouer les salonnards, c’est-à-dire leurs habitués quelque peu snobs.

Le seul salon où l’on puisse avoir raisonnablement aucune envie d’aller, est celui que nos amis québécois, appelle le salon funéraire, d’après l’anglais funeral parlor, l’endroit où on nous expose, « embaumé et préparé pour être placé en chapelle ardente ». Non, vite…, comme les Présidents de la République, allons « tâter le cul des vaches » au Salon de l’agriculture qui nous permet de voir ces vaches qui, il y a bien longtemps, paissaient paisiblement à côté du Jardin du Luxembourg. Ah, c’est un rêve pour un Parisien, une vache broutant les pelouses du Jardin du Luxembourg. Une vache qui se serait par exemple échappé du Salon de l’Agriculture !

Texte de Jean Pruvost.


Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire. Et chaque année, il organise la Journée Internationale des Dictionnaires.

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