Pendre le procès au croc...

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

L’actualité est riche en procès, c’est-à-dire en litiges soumis à une juridiction. C’est au milieu du XIIIe siècle que le mot procès est entré en langue française, en droite ligne du latin processus, lui-même issu du verbe procedere, aller en avant. Le procès est alors synonyme de progression, d’« avance » dans une démarche, dans une réflexion. Cette signification qui n’est en rien encore juridique perdurera jusqu’au XVIe siècle, on pouvait encore dire en effet au siècle de Rabelais, sans penser un instant à un juge, que l’on agissait, par exemple, « sans faire long procès », c’est-à-dire sans longue réflexion, sans tarder.

Émission proposée par : Jean Pruvost
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Cependant, le procès en tant qu’affaire présentée devant la justice est attesté dès 1324, et il va dès lors croître et embellir hardiment, aller de l’avant, en somme. En 1571, voici quelques adjectifs que Maurice De La Porte conseille aux écrivains qui veulent qualifier en langue française un procès : « Procès querelleux, embrouillé, blêmissant – entendons qui vous rend blême – renouvelé, litigieux, verbal, importun, difficile, […] poursuivi, recommencé, misérable, immortel – comprenons sans fin – sans oublier procès monstre hideux… » Aucun doute, le procès est chose désagréable.


Cependant, on ne manque pas au XVIIe siècle de signaler que certains sont ardents au procès. On utilisait pour ces derniers un mot qui a aujourd’hui disparu, « processif », pour désigner la personne aimant à « intenter, à prolonger des procès ». Dans la première édition de son dictionnaire, l’Académie en donne un exemple éloquent : « C’est un mauvais voisin, il est fort processif, il a l’esprit processif ». On dirait aujourd’hui procédurier.
Furetière, qui fut l’objet de procès, insiste : « Il fait dangereux d’avoir à faire à cet homme-là, il est chicaneur et processif. » Quant à Molière, qu’il avait pour ami, deux décennies avant la publication du dictionnaire de Furetière (1690), il en avait même conçu une pièce, en 1668, Les Plaideurs, avec cette remarque historique qui campe parfaitement le plaideur professionnel : « Mais vivre sans procès, s’exclame en effet le processif né, est-ce contentement ? »


Trouver le moyen de s’accommoder, tel est le conseil que l’on retrouve souvent assorti de différentes formules : « Pendez le procès au croc » disait-on en usant d’une belle image, pour dire arrêtez les poursuites. Pourquoi au croc ? On se souvient sans doute que dès le haut Moyen Âge, pour éviter que les rats, par nature indélicats et friands de papier, ne dévorent les actes d’une affaire, on rassemblait tous les documents de ladite affaire dans un sac que l’on pendait à un crochet fixé au plafond, afin que le sac échapper aux rongeurs. C’est de là qu’est venue l’expression « l’affaire est dans le sac ».
Le mieux laissait on entendre était encore de ne pas « ouvrir son sac » : « Un mauvais arrangement vaut mieux que le meilleur procès », ou encore « Gagne assez qui sort de procès », sous-entendant que l’entente entre les parties, à quelques condition qu’elle se fasse, vaut mieux qu’un procès s’éternisant et surtout coûteux. Selon le bon mot de l’écrivain espagnol du Grand Siècle Franciso de Quevedo (1580-1685), « La justice est précieuse : c’est pourquoi elle coûte cher. »


Enfin, les mots sont parfois traîtres. En témoigne le Sapeur Camember de la fin du XIXe siècle s’exclamant : « Et je dis hautement, que pour moi le coupable est innocent ». La phrase était maladroite, car l’intention était bonne. On n’en fera donc pas un fromage : pas de procès d’intention au Sapeur Camember !



Texte de Jean Pruvost.


Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire. Et chaque année, il organise la Journée Internationale des Dictionnaires.

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