Foire : ma foire, sur le champ !

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

« La foire de Saint-Germain » est belle. Tel est l’exemple choisi par Pierre Richelet en 1680 dans son Dictionnaire de la langue françoise. Et d’évoquer également la foire de Francfort, déjà très célèbre. La foire, déclare Richelet, est un « marché fameux où plusieurs sortes de marchands viennent vendre de la marchandise ». Définition simple qui en définitive n’a guère besoin d’être modifiée. De fait, les foires se succéderont de siècle en siècle depuis le Moyen Âge, en ayant chacune leur succès particulier, comme le raconte notre lexicologue Jean Pruvost.

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots669
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Ainsi, en 1905, dans le premier Petit Larousse illustré, quelle foire est à l’honneur ? La réponse vient du Midi : « Les foires de Beaucaire furent longtemps célèbres. » Si Larousse utilise le passé, c’est que règne désormais le chemin de fer, entraînant de nouveaux points de rencontre autres que ceux, naturels, offerts par les grands fleuves, à la manière de Beaucaire sur le Rhône. Comme en témoigne une correspondance de M. de Guérin en 1837, le bateau fut longtemps maître du grand commerce : en prenant le bateau sur le Rhône, il ne put s’empêcher par exemple de signaler que son embarcation « était chargée de marchands qui se rendaient à la foire de Beaucaire ». Celle-ci avait traditionnellement lieu en plein été, du 21 au 28 juillet. Dernier témoignage du succès de Beaucaire, celui d’Erckmann et Chatrian qui dans l’Ami Fritz (1864) atteste au passage la notoriété d’autres foires, européennes : « C’était le bon temps des foires de Francfort, de Leipzig, de Hambourg, en Allemagne ; de Liège et de Gand, dans les Flandres ; de Beaucaire en France. » Voilà qui est dit.


D’où vient le mot, « foire », mot simple diraient les linguistes ? Du latin classique feriae qui désignait les jours consacrés au repos, ce qui l’assimila rapidement aux « jours de fête », d’où les jours « fériés » et, dans le même élan, la feria, de même racine et que nous avons emprunté à la langue espagnole pour évoquer les grandes fêtes organisées dans le Midi de la France. Pour établir le lien entre la fête et Beaucaire, Francfort, ou Saint-Germain, il suffit en vérité de se souvenir que se tenait à Rome, tous les neuf jours, un marché se déroulant en même temps que les fêtes religieuses : ce marché fut appelé feriae novendiales, et le mot feria bénéficia au passage d’un sens élargi, la fête se doublait donc d’un marché et la définition de la foire dans le premier Petit Larousse (1905) pouvait du même coup déjà convenir : « Grand marché public se tenant à des époques fixes dans un endroit ». Qu’il s’agisse de Rome, Saint-Germain, Francfort ou Paris…


Si la foire s’assimile à un grand marché régulièrement tenu où se vendent toutes sortes de marchandises, elle peut représenter aussi le lieu d’un marché spécifique : une foire agricole, une foire aux vins, la foire à la ferraille, la foire des livres de Francfort. La foire, forte de son succès, s’installant dans toutes les grandes villes, il fallut réserver pour ses exposants un espace important, on aménagea donc dans de nombreuses ville un grand espace libre appelé en général champ de foire ou foirail, sur lequel on pouvait faire venir les bestiaux, mais aussi installer fêtes foraines et cirques.


Un pareil succès donna forcément naissance à des expressions. Si, en l’occurrence, sont transparentes les expressions telles que s’entendre comme larrons en foire, c’est-à-dire comme deux complices à la foire, ou être à la foire d’empoigne et donc dans une rivalité où tous les moyens sont bons pour obtenir ce qu’on désire, on peut toute honte bue avoir oublié la locution encore en usage au début du XXe siècle, signalant que « La foire n’est pas sur le pont », pour laisser comprendre qu’il n’y a pas lieu de se presser, les choses peuvent attendre… Lancer la formule dès que vous le pourrez, puis attendez les réactions…


La foire étant forcément synonyme de déballage souvent tumultueux lorsque les marchands s’installent, elle désigna rapidement aussi un certain désordre : « C’est une foire ici ! » s’exclame un personnage de Giraudoux dans la Folle de Chaillot (1945).


C’est bien sûr aussi l’idée de fête qui prévaut. Rassemblant une foule, la foire sera accompagnée parfois de spectacles, il est bon en l’occurrence de rappeler que du XVIe au XVIIIe siècle, notamment dans les foires Saint-Germain et Saint-Laure, à Paris, étaient donnés des spectacles. Ce sont ces spectacles qui sont en réalité à l’origine du théâtre de Boulevard.


Un dernier point : personne ne contesterait si était relancé un sens particulier du mot foire soigneusement consigné par Pierre Larousse dans son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle : « Cadeau qu’il est d’usage de faire à certaines personnes, à l’époque de la foire », avec pour exemple insistant : « Que me donnerez-vous pour ma foire ? ». Vite, tous à la foire, cadeaux en tête !


Texte de Jean Pruvost.


Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire. Et chaque année, il organise la Journée Internationale des Dictionnaires.

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