Marianne Bastid-Bruguière : Retour sur la visite du président chinois en terre américaine

"Nouvelles de la Chine", le rendez-vous régulier de la sinologue, de l’Académie des sciences morales et politiques
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Pour son premier rendez-vous régulier des "Nouvelles de la Chine" avec les auditeurs de Canal Académie, l’académicienne Marianne Bastid-Bruguière a choisi de revenir sur la visite du président chinois Hu Jintao aux Etats-Unis du 18 au 21 janvier 2011. Quelles sont les raisons de ce déplacement ? Décryptage de la diplomatie chinoise de ces dernières semaines.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : ecl687
Télécharger l’émission (32.1 Mo)

Cette émission a été enregistrée en février 2011. Le texte ci-dessous n'est qu'un résumé des propos explicatifs de notre invitée. Pour en savoir plus, il faut écouter la totalité de l'émission.

Les autorités chinoises ont entamé ces derniers mois, une série de voyages officiels auxquels les interlocuteurs européens et américains n’étaient pas très habitués. En trois mois, le président de la République populaire de Chine Hu Jintao, le premier ministre et l’un des principaux vices-premiers ministres, ont visité 8 pays de l’Union européenne, plus la Turquie, sans compter ce grand voyage officiel du 18 au 21 janvier aux Etats-Unis. Comment expliquer ce tour du monde officiel des plus hautes autorités chinoises ?

Marianne Bastid-Bruguière aborde donc les raisons du déplacement officiel du président Hu Jintao aux Etats-Unis en janvier 2011 à Washington où fut donné en son honneur un grand dîner officiel. Au cours de ce séjour, le président chinois s'est rendu à Chicago pour une journée. Il n'y était pas retourné depuis avril 2006. La rencontre de 2011 a pour objectif d'ouvrir une nouvelle ère de confiance dans les relations sino-américaines afin d'éviter un climat possible de "guerre froide" au regard de la tension croissante qui s'était dessinée dans les relations entre ces deux géants du monde depuis l'accession au pouvoir du Président Obama.

Les autorités chinoises ont-elles souhaité une rencontre à la hauteur de celle entre Deng Xiapoping et Jimmy Carter en 1979 à Washington ? A l'époque, l'annonce de l'interruption des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Taïwan et l'annulation du Traité défense commune signé entre les deux, avaient ouvert une nouvelle ère dans les relations sino-américains avec ouverture d'ambassades. Sans refaire l'historique de ces relations, la visite de Barack Obama en Chine en novembre 2009 n'a pas eu les effets escomptés des deux côtés. Il s'agissait cette fois de renouer un dialogue sur des bases nouvelles pour les deux parties. La détérioration de leur rapport s'explique, selon Marianne Bastid-Bruguière, côté chinois, par une attitude très intransigeante dans une série de litiges concernant les questions maritimes en mer de Chine du sud, de l’Est et en mer jaune.

« Cette attitude suggérait qu’elle pouvait changer des règles de pouvoir dans tout le pacifique occidental ; ce qui préoccupait les Etats-Unis, le Japon et les pays d’Asie du sud est. Dans toutes les négociations relatives au changement climatique la Chine s’était refusée à ne prendre aucun engagement et à réduire ses émissions de gaz carbonique. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne l’ait pas fait à usage interne. La Chine n’avait pas cédé non plus sur la question du taux de change du dollar, de sa monnaie par rapport au dollar. Elle n’avait pas voulu non plus s’associer à une démarche collective en réponse aux provocations de la Corée du Nord pendant l’été dernier. Et à l’égard de l’Iran, elle avait consenti à voter les sanctions décidées au Conseil de sécurité, en particulier la dernière en juin 2009, mais n’avait pas utilisé de restriction économique à l’égard de l’Iran. Au contraire, ses compagnies pétrolières continuent à acheter son pétrole.»


L'académicienne explique ensuite que le consensus commençait à se briser entre les militaires des deux pays malgré des rencontres de hauts niveaux. La volonté de connaître le niveau d'armement réciproque des deux parties a probablement motivé la reprise des contacts, dix jours avant la venue du président Hu Jintao.

La réaction des milieux d'affaires

Dans les milieux d’affaires chinois, il est apparu aussi des divergences sur l’attitude à adopter vis-à-vis des Américains et inversement dans les milieux d'affaires américains :
«Du côté des chinois, la banque de Chine était plutôt favorable à donner satisfaction aux Américains pour une réévaluation de la monnaie chinoise car aux yeux de la Banque de Chine cela permet de juguler l’inflation éventuelle, en Chine et de diminuer la surchauffe de l’économie chinoise qui tient à un excès de liquidités. Ils ont accepté de réévaluer un petit peu. En revanche, les hommes d’affaires des groupes chinois qui sont en réalité des sortes de trusts, à moitié d'Etat, car ils fonctionnent avec des capitaux d'Etat, sont tout à fait hostiles à la réévaluation de la monnaie chinoise parce qu'ils disent que cela va diminuer les exportations et entraîner un chômage massif, argument qui pèse car la crainte de troubles sociaux est permanente. Dans le camp américain, dans les milieux d’affaires qui soutenaient l’amitié sino-américaine, on voit des phénomènes de fractures un peu identiques. Les groupes d’affaires américains deviennent plus réservés sur les avantages qu’ils trouvent sur le marché chinois.»

Marianne Bastid-Bruguière revient en profondeur sur les objectifs des deux parties, sur les fondements de leur politique extérieure, sur l'analyse du communiqué final, sur la mise en œuvre à venir de l'accord obtenu et sur la relation humaine entre les deux présidents en commentant, aussi, les photos officielles du voyage.


Marianne Bastid-Bruguière, Canal académie, février 2010
© Canal Académie



Marianne Bastid-Bruguière est une sinologue française qui a enseigné à l’université de Pékin dans les années soixante. Directeur de recherches au CNRS, ancienne directrice adjointe de l’École Normale Supérieure, elle a consacré l’essentiel de ses travaux à l’histoire de la Chine moderne et contemporaine. Chercheur de renommée internationale ayant travaillé avec des sinologues du monde entier, sa connaissance de l’Asie et de la civilisation chinoise en font une observatrice avisée de l’actualité de la Chine. Membre de l’Institut, au sein de l'Académie des sciences morales et politiques, depuis 2001, elle est vice-présidente de l'Académie pour l’année 2011.



Pour en savoir plus


Retrouvez dans les liens Internet ci-dessous les photographies de la rencontre officielle du Président chinois Hu Jintao avec le Président américain Barack Obama de janvier 2011 :


- Site officiel de la Maison Blanche
- Site officiel du gouvernement chinois
- Site officiel du gouvernement chinois, version anglaise



- Marianne Bastid-Bruguière est membre de l'Académie des sciences morales et politiques et vice-présidente de l'Académie pour l'année 2011.


Comme tous les invités et chroniqueurs de Canal Académie, les propos de Marianne Bastid-Bruguière ressortent de son point de vue personnel et n'engagent pas l'Académie dont elle membre ni l'Institut de France.

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