La passion d’un Italien pour les dictionnaires français

rencontre avec Giovanni Dotoli, le plus francophile des lexicologues !
Avec Hélène Renard
journaliste

Quand l’Italien le plus francophile qu’on puisse rencontrer, Giovanni Dotoli, termine ses cours de langue et de littérature françaises à l’université de Bari, dans la botte de l’Italie, il se plonge dans l’une de ses passions : le dictionnaire. Tel un explorateur, il part à la rencontre des marges, des frontières, des transgressions, des savoirs, des méthodes, des références, des critiques, bref de tout ce qui peut alimenter sa « dicopathie » (néologisme qui figurera peut-être un jour dans l’un de nos dictionnaires !). Sa "dicopathie" est-elle contagieuse ? Pour le savoir, une seule solution : l’écouter dans cette interview !

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : pag1104
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Ce début d’été 2012 est particulièrement riche en actualité pour notre invité. Il publie tout à la fois
- Le Dictionnaire de la langue française, théorie, pratique, utopie
- La mise en ordre de la langue dans le dictionnaire
- La symphonie du temps dans les dictionnaires
- Et sous presse, pour une très prochaine parution, Définitions et dictionnaires
- Et encore une étude, un essai, sur « le dictionnaire général de la langue française, une révolution ».

Et n’omettons pas de signaler que les journées italiennes du dictionnaire qu'il anime dans le sillage de celles qu’organise depuis 17 ans par notre collaborateur Jean Pruvost, vont avoir lieu en 2012 sur le thème « la Révolution du dictionnaire ».

Aux Éditions Hermann, au sein de la collection « Vertige de la langue », on compte une quinzaine de volumes sous sa signature qui, tous, évoquent la langue française, la littérature (il est un fin connaisseur de Montaigne), et l’histoire des textes.

Reprenons chacun des titres évoqués pour en définir rapidement le contenu.

Le dictionnaire de la langue française : théorie, pratique, et utopie

Giovanni Dotoli dans les studios de Canal Académie
© Canal Académie

Paru chez Hermann, collection «Vertige de la langue», avec une préface de Danièle Morvan.
- G.D. : Premièrement, "Vertige de la langue" est une expression née de l'un de mes vers car je suis aussi poète, que l’éditeur a bien voulu accepter. C’est une édition que je viens de créer, il y a quelques mois, et qui a déjà programmé entre 15 et 20 volumes. On y publie des études, des recherches, des textes commentés (notamment en édition critique), pour avoir de façon générale l’unité de la langue, l’unité du lexique, l’unité du trinôme langue-littérature-culture.
Dans ce livre j’ai essayé de rassembler toutes mes idées, mes perspectives, mes recherches autour du dictionnaire. Le sous-titre parle justement de : "Théorie, pratique, utopie" car il existe bien une théorie du dictionnaire ; il y a aussi une pratique car, comme le dit mon ami Alain Rey, quand on parle de dictionnaire, on parle d’« artisanat » du dictionnaire.
La personne qui fait un dictionnaire est un véritable artisan, qui doit connaitre les outils et le sens du métier. C’est une véritable profession dans laquelle il incorpore de la science ; il y a l’ordre du dictionnaire, la capacité de comprendre où va le mot et ce qu’est un mot ; Quant au mot «utopie», pourquoi cet emploi ? Chaque dictionnaire se pose une limite : celle-ci peut être de 500.000 mots comme pour l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ou de 63.000 mots pour Le Petit Larousse. Cela dépend donc de la nature du dictionnaire : générale, de spécialité, bilingue, monolingue, etc.
On fixe le nombre de mot mais cet acte est toujours une utopie. En effet la langue elle-même est une utopie merveilleuse, le sens du mot voyageant d’un coté à l’autre du monde, d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre, d’une ville à l’autre... C'est aussi simultanément l’utopie de posséder la langue même si personne, naturellement, ne peut s'en vanter, pas même les poètes !


La mise en ordre de la langue dans le dictionnaire


- G.D. : Il existe d’autres ordres que l'ordre alphabétique. Ce qui est paradoxal, c’est que l’ordre alphabétique est récent et moderne. On l'a inventé autour des XIIe-XIIIe siècles.

Ce sont les gens de l’Église qui, pour essayer de faire comprendre la nature de la Bible et des Écritures, ont organisé une sorte de liste de thèmes par ordre alphabétique, ordre qu'auparavant, on ignorait. Puis on a compris, à partir du moment où le dictionnaire est né, que l’ordre alphabétique s'assimilait finalement à un ordre démocratique car tout le monde pouvait y accéder, avec facilité.
A part cet ordre là, il y a également un ordre du sens qui est le plus important, un ordre analogique, par exemple, de familles et de mots. Le premier dictionnaire de l’Académie française, apparu en 1694, s’organise sur un double ordre : alphabétique et par «famille» des mots. Le mot "table", par exemple, est là, mais également tous les autres mots de sa famille. Aussi l’ordre alphabétique n’est-il pas vraiment alphabétique...
Les grands philosophes insistent sur son coté mystique, presque religieux... Les mots sont une matière vivante parfois volatile, mais dans leur volatilité, ils sont très poétiques et pleins d’énergie. Ainsi le poète, l’écrivain, le journaliste, doit aller à la recherche de cette énergie pour bien écrire et pour réussir à faire passer l’énergie du mot aux lecteurs, aux usagers, aux citoyens et aux êtres humains.

- G.D. : Dans ma conception de l’écriture, je pense que n’importe quel écrivain, -et les grands comme Baudelaire, Flaubert, Maupassant, Apollinaire, Bonnefoy, le prouvent à chaque ligne de leurs œuvres- peut dire l’impossible en se servant de mots simples, faciles, de métaphores à la portée du monde entier. C'est ce que j’essaie de faire dans mes livres et ce qui permet à mes étudiants de l’Université de Bari, et même d’ailleurs, d’arriver au cœur de la langue. C'est pour moi capital.

Les journées du Dictionnaire

Giovanni Dotoli organise aussi dans le sillage des Journées françaises du dictionnaire, initiées il y a 17 ans par notre collaborateur Jean Pruvost, des journées italiennes du dictionnaire. Il y en a eu plusieurs déjà, dont une à Cosenza sur "la révolution du dictionnaire".

- G.D. : Les prochaines seront au mois de septembre 2012, les 20 et 21, sur l’«espace du dictionnaire» et immédiatement après, au mois de novembre, à l’université de Tirana (en Albanie, avec une élève à moi qui a travaillé sur Le Petit Robert), avec pour sujet «le lien» entre dictionnaire et enseignement. L’année prochaine, ce sera à l’université de Naples et le sujet sera «la lisibilité du dictionnaire».
Ces journées italiennes sont le fruit de cet admirable évènement dirigé, inventé et animé par mon ami Jean Pruvost, que je considère comme l’un des professeurs et chercheurs les plus compétents dans ce domaine. Lui-même a beaucoup aimé cette "dérivation" car nous avons voulu que ce ne soit pas toujours la même université mais un réseau d’universités italiennes du Sud et du Nord qui accueille ces journées, ainsi que des pays étrangers (Albanie, Moscou, Maroc, Algérie).

Éloge du dictionnaire...

- GD : Cela nous confirme que le dictionnaire est vraiment un livre universel !

© Giovanni Dotoli

Il est démocratique, je le répète, car il offre «toute» la langue : celle des riches, des pauvres, des gens cultivés, non cultivés, ceux qui savent à peine lire... Le dictionnaire est vaste comme le monde, il aborde des sujets à la fois divers et restreints. Moi-même j’ai fait deux dictionnaires : Dictionnaire des citations de mon cœur et Dictionnaire des aphorismes poétiques. Cela confirme que l’on peut passer du dictionnaire de l’aviation au dictionnaire de l’automobile … au dictionnaire de la langue ! C'est un véritable réseau qui unit toute la langue en l’offrant au public...

Le Dictionnaire général de la langue française, une révolution

- GD : A la fin du XIXe siècle, autour des années 80, Arsène Darmesteter a inventé l’idée d’un nouveau dictionnaire de la langue française. Il ne faut pas oublier que le Larousse Illustré venait de paraître, le marché était donc quelque peu bloqué. Mais Darmesteter et Thomas (Antoine) ont eu une idée fondamentale : faire un nouveau dictionnaire qui s’occupe surtout de la définition. Il convenait de bien définir le mot d’une manière précise en ne dispersant pas le sens ; sens qui était, chez Larousse Illustré, très dispersé (on pouvait trouver pour une entrée 20 ou 30 pages). C’était une chose très bien, mais, pour l’usager normal, ce n’était pas très pratique.
Le dictionnaire de Darmesteter, qui paraît en fascicules au tout début du XXe siècle, en 1900, est presque symbolique,. Il paraît juste avant l'éclosion des avant-gardes, au moment où tout est révolution.
Ce siècle de la révolution de la science, de la technique, de la communication qu'est le XXe siècle, commence par l’Exposition universelle de Paris et par la publication de ce dictionnaire, en deux volumes, d'environ 2.000 pages, déjà très proche du Petit Robert qui paraitra 66 ans après. Pourquoi ? Parce que les auteurs ont compris la valeur et l’importance fondamentale de la définition du mot. Ils arrivent à définir celui-ci en quelques phrases, en adoptant, pour la première fois dans l’histoire de la langue française, la progression du sens, du général vers le particulier.
Le Petit Robert reprendra cette forme et le Petit Larousse en fera ensuite de même. Une révolution fondamentale donc, pour l’histoire du dictionnaire, que cette œuvre de Darmesteter. Je m’étonne d'ailleurs que, jusqu’à aujourd'hui, son importance ne fut pas plus démontrée. Voilà pourquoi j'ai estimé qu’il était utile d’en faire un livre.


Rappelons aussi que Giovanni Dotoli a fait paraître dans cette même collection Hermann «Vertige de la langue», un essai intitulé "Montaigne, philosophe méditerranéen".
Enfin, notre invité est aussi poète, et une première biographie sur son univers poétique vient de paraitre aux éditions L’Harmattan, elle est due à Éric Jacobé Sivry et s’intitule L’Arlequin de la lumière.


En savoir plus :

- Le site Internet de Giovanni Dotoli

- Consultez nos autres émissions avec Giovanni Dotoli comme :
Le français, langue d’Orient ? un essai de Giovanni Dotoli
Traduire en français, du Moyen-âge au XXIe siècle, un essai de Giovanni Dotoli
Rencontre avec Giovanni Dotoli
La voix de Montaigne


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