Arrêtez d’assener ! Cessez de décrypter !

La chronique « Faut-il le dire ? » de Pierre Bénard
Avec Pierre BENARD
journaliste

Si vous lisez la presse, vous y trouvez rarement l’emploi du verbe dire. Pierre Bénard souhaiterait voir recourir de nouveau à ce modeste outil. Au contraire, il ne se plaindrait pas si l’on usait un petit peu moins de « décoder », de « décrypter », quand il s’agit seulement d’expliquer. On pourrait bien aussi renoncer quelquefois aux « assener », aux « marteler », les réservant aux cas où les choses qu’on affirme sont énoncées avec une vraie brutalité.

Émission proposée par : Pierre BENARD
Référence : mots671
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Pendant vingt ans nous fûmes saturés d’ « analyses ». Puis vint la mode de « décrypter », de « décoder ». A peine un personnage en vue a-t-il fait une déclaration qu’une légion de commentateurs s’empresse de nous la « décoder », de nous la « décrypter », comme si ladite déclaration était un message chiffré ourdi par les obscurs rotors de quelque machine Enigma ou Typex. Ces verbes décoder, décrypter se retrouvent ainsi dans des propositions incises, où ils font étrange figure : « Le ministre, décrypte untel, a voulu adresser un signal fort »... « L’illustre parlementaire, décode-t-il, veut ainsi mettre en garde le pouvoir »...

Dans la même veine j’ai noté « débriefer », qui déjà chasse sur les terres de « décoder » et « décrypter ». « Ses partenaires, débriefe-t-il, s’interrogent sur ses intentions » ...

« Expliquer » et « dire » n’ont décidément plus la cote. On rencontre les incises les plus extravagantes, je veux dire les moins euphoniques, des « philosophe-t-il », « proteste-t-il »,
« surenchérit-il », « argumente-t-il » ...

Puis il y a les deux classiques, « assène-t-il » et « martèle-t-il ». Ces deux-là, on nous les assène, de ces deux-là on nous martèle la tête impitoyablement. Je ne suis pas sûr que tous ceux dont on nous rapporte les propos avec des « marteler » et des « assener », je ne suis pas sûr que, tous, ils se soient exprimés avec tant de sécheresse et de brutalité.

A vrai dire, je vois bien la raison de ces contorsions lexicales. Il s’agit d’éviter la répétition et la monotonie, de chercher la variété dans toutes les circonstances où l’on restitue les pensées, les propos, les réflexions d’un autre.

A quoi je réponds d’abord qu’on a si bien proscrit le petit verbe dire que l’on pourrait très bien le renflouer, que même il surprendrait, semblerait neuf, original. Ainsi un vieil usage perdu, quand il reparaît, brille d un lustre qu’il n’avait plus au temps où il était commun et triomphant.

D’autre part, il y a cent manières de rapporter discours et pensées autrement qu’avec des constructions verbales.

Je plaide pour que l’on passe appel plus fréquemment à « selon », à « suivant », à « au dire de », à « d’après », à « suivant l’opinion de », à « à l’avis de » , à « au sentiment de »...

« Le ministre, selon untel, a voulu adresser un signal fort » ...
« L’illustre parlementaire, d’après lui, veut ainsi mettre en garde le pouvoir » ...

Les commentateurs cesseront d’apparaître comme des déchiffreurs de cryptogrammes, et l’on cessera d’avoir l’impression que tout le monde parle avec la douceur d’un tir de mitraillette.

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