Profession : grimpeur naturaliste, "il faut aimer le sport nature"

Rencontre avec Eric Guilbert, grimpeur naturaliste au Muséum national d’Histoire naturelle

Si « la nature aime se cacher » comme aimait à le rappeler Salvatore Dali, il n’y a rien d’étonnant alors à voir un naturaliste du Muséum national d’histoire naturelle se transformer en escaladeur pour l’étudier. Ainsi, dans cette émission, Canal Académie vous propose de découvrir le métier de grimpeur naturaliste, avec Éric Guilbert, maître de conférences du Muséum national d’histoire naturelle. Son quotidien : tutoyer la cime des arbres à la recherche d’hétéroptères.

Les hétéroptères désignent un ordre d’insectes équipés d’un rostre, c’est-à-dire d’un appareil buccal piqueur-suceur qui leur sert par exemple à sucer la sève des plantes. Ces hétéroptères, désignés encore sous l’appellation de "punaises vraies" et qui comptent environ 35 000 espèces sur terre, évoluent aussi bien en sous-bois qu’en canopée. Avant de s’intéresser à ces espèces, Éric Guilbert a entamé un cursus d’océanographie biologique, mais finalement, plus que l’étude des poissons, c’est celle des insectes qui l’a attiré. « Les insectes sont un modèle intéressant, leur étude sert à répondre à des questions sur l’évolution. » Éric Guilbert réalise alors une thèse sur les arthropodes terrestres de Nouvelle-Calédonie avant d’obtenir un poste au Muséum national d’histoire naturelle où sa mission s’articule autour de la recherche, de la diffusion, l’enseignement et la gestion de la collection du Muséum. «Je suis entomologiste, mon travail consiste à identifier, décrire et étudier les espèces, leurs comportements, leurs habitudes, leurs environnements etc., pour arriver à une synthèse sur leur évolution» précise-t-il.

Eric Guilbert dans la  canopée
© Philippe Psaïla

« le chercheur dans sa tour d’ivoire, c’est fini ! »

Comment lui est venue cette idée de se mettre à grimper dans les arbres ? « Au moment où j’ai fait ma thèse, il y avait une espèce d’euphorie sur une technique qui s’appelait le « fogging » (fumigation) qui consiste à lancer de l’insecticide à la cime des arbres. A force de collecter de nombreuses bêtes, je me suis rendu compte que je ne savais pas d’où elles venaient si ce n’est qu’elles tombaient du ciel. Pour savoir d’où elles venaient exactement, il fallait monter. » C’est alors qu’Éric Guilbert décide de se rapprocher des moniteurs d'accrobranches, une activité qui commence à émerger. Sa rencontre avec Lionel Picart, moniteur de « Tree Climbing », une technique de grimpe qui permet de monter aux arbres dans un respect total de la nature. Éric Guilbert a alors suivi une formation de deux semaines « pour se familiariser avec les nœuds, les techniques, les ponts de singes, les tyroliennes… » Au final, Lionel Picart, interpellé par ce naturaliste qui veut grimper aux arbres, a décidé de l’accompagner dans ses missions. Qui penserait que le naturaliste travaille en solitaire, se trompe : « le chercheur dans sa tour d’ivoire, c’est fini ! », plaisante Éric Guilbert, «sur le terrain, on est une petite équipe de 6 personnes, un grimpeur est là pour garantir un accès en toute sécurité, un photographe pour la restitution sous forme d’images et le staff scientifique qui travaille essentiellement dans l’entomologie comme des botanistes, des vertébristes… . » Une fois sur le site, le staff indique au grimpeur les arbres qu’elle veut étudier afin qu’il les équipe. Les chercheurs se relaient alors au sol et dans les airs. L’intérêt de ce genre de mission est de pouvoir couvrir tout un volume de la forêt : sol, sous-bois et canopée. Une fois les différents compartiments du site observés, il faut déséquiper les arbres et s’installer pour explorer plus loin. Depuis 2005, notre invité a réalisé une mission par an : Nouvelle-Calédonie, Madagascar, Patagonie chilienne, Gabon, Argentine Nord…

Eric Guilbert dans la canopée
© Philippe Psaïla

« la bête rare, le chaînon manquant. »

Évidemment pour exercer cette profession, Éric Guilbert ne cache pas qu’il faut avoir des prédispositions physiques ! Le matériel de grimpe avec les cordes, les baudriers…additionné au matériel dont l’entomologiste a besoin peut atteindre plus de 20 kilos. Éric Guilbert se sert lui principalement de matériel de piégeage, de matériel pour la chasse directe ou à vue. « Je vais, par exemple, utiliser des cadres pour percher des pièges de malaise en canopée alors qu’au sol on ne met pas de cadre. Le parapluie japonais qui sert à battre dans le sous-bois est également modifié pour pouvoir être manipulé plus facilement en canopée. » S’il peut parfois passer 3 heures d’affilée dans un arbre, Éric Guilbert oublie facilement l’inconfort des baudriers, grâce à l’excitation que génère une mission : « On est tendu toute la journée, parce qu’aucune mission ne se ressemble du fait des profils végétaux qui ne sont jamais les mêmes. » Et puis, comme tout chercheur, il est motivé par l’envie de trouver « la bête rare, le chaînon manquant. » A ce titre, il précise qu’aucune mission ne se solde par un échec, le groupe de chercheurs ramène toujours une ou deux espèces nouvelles. Dans le cas des punaises qu’étudie Éric Guilbert, la quête est infinie... Il faut savoir qu’on estime qu’il y a 10 millions d’espèces d’insectes sur notre planète et qu’il n’y en a qu’environ 2 millions découvertes et décrites. C'est là un facteur qui sans aucun doute décuple la motivation du chercheur, une fois perché, là-haut, dans la canopée. Enfin, pour éviter l’accumulation de la fatigue due à la concentration et à la grimpe, les missions n’excèdent pas 3 semaines : « c’est une durée optimale pour rester efficace » avoue-t-il. Et bien sûr, après le terrain, il faut assurer toute la partie d’études aux laboratoires du Muséum national d’histoire naturelle, car le reste de l’année, l’analyse prend le pas : acquisition des caractères morphologiques, séquençages d’ADN, observations…. Là aussi, penser que l’entomologiste travaille dans l’intimité de son bureau entre un microscope et ses fiches, serait se tromper : Même au laboratoire, on travaille en équipe. « Les chercheurs échangent leurs avis, leurs techniques, font partager aux autres leurs découvertes. On communique même avec des chercheurs d’autres pays», confie Éric Guilbert. Et quand il remet les pieds en France, le grimpeur naturaliste n’a qu’une chose en tête : préparer la prochaine mission. Encore une fois, la patience est de rigueur car cela s’étale en général sur une année. En effet, il faut trouver des financements (appel au partenariat public-privé), s’occuper des permis d’exportation, de récolte et de toute la logistique nécessaire au bon déroulement du prochain voyage. D’ailleurs, Éric Guilbert est en pleine préparation de sa future expédition : Pondoland au Sud de Durban, en Afrique du Sud.

Si la profession de grimpeur naturaliste n’est pas encore très répandue, Éric Guilbert a peut-être donné l’envie à d’autres collègues de venir se' harnacher dans la canopée. Il se murmure, dans les couloirs du Muséum national d’histoire naturelle, que des spécialistes des grillons ou encore des blattes seraient tentés pour une petite formation…

Clément Moutiez

Eric Guilbert en sous-bois
© Lionel Picart


- Consultez notre rubrique les métiers du Muséum national d’histoire naturelle :

- Profession : ethnomusicologue "Un mode de vie plus qu’un métier" pour Sylvie Le Bomin

- Profession : taxidermiste des oiseaux et des petits mammifères, avec Christophe Gottini du Muséum national d’histoire naturelle

- Profession archéozoologue, avec Jean-Denis Vigne

- Consultez le site www.cafotrop.com sur lequel vous trouverez les détails des missions d’Eric Guilbert ainsi que leurs problématiques scientifiques.

- Le Muséum national d’histoire naturelle organise jusqu'au 8 octobre, une exposition intitulée "Les aventuriers du Muséum : expédition en Canopée", dans laquelle sont exposées plusieurs photos d'Eric Guilbert en mission.
Renseignements et horaires d'ouverture, en cliquant ici.

Cela peut vous intéresser