Billet d’Asie : James Norman Hall, le francophile américain bienfaiteur de Tahiti

Par Françoise Thibaut, correspondant de l’Académie des sciences morales et politiques
Avec Françoise THIBAUT
Correspondant

Découvrez dans ce nouveau Billet d’Asie de Françoise Thibaut, correspondant de l’Institut, la vie et l’œuvre de James Norman Hall, homme des mers et homme des lettres, cet Américain pris d’une véritable passion pour Tahiti et les mers du Sud. Il est le conteur le plus remarquable de l’histoire mythique des révoltés du Bounty.

Émission proposée par : Françoise THIBAUT
Référence : chr855
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James Norman Hall, né dans l’Iowa le 22 avril 1887, est sans doute l’Américain le plus connu de Tahiti, et aussi celui dont le souvenir est le plus respecté. Il y vécut de 1920 à sa mort en 1951, tout en faisant de fréquentes allées et venues vers son pays d’origine. Il est enterré dans le jardin de sa propriété d’Arué à quelques kilomètres de Papeete, là où par la pensée, il voyait sur la plage déambuler Blith, Cook et leurs équipages…

Très « francisé », James Norman Hall se délectait de Proust, de Villon et de Montaigne, mais n’aimait guère Loti. Il fait des études de lettres et de philosophie aux États-Unis, puis breveté mitrailleur en Angleterre en 1915, il fait un stage à Paris en décembre 1916 à l’École d’Aviation Louis Blériot de Buc et combat au sein de l’Escadrille La Fayette. Abattu, blessé, fait prisonnier, il décide que s’il survit, il se fera écrivain, puis retourne à Paris où il rencontre un autre aviateur démobilisé, Charles-Bernard Nordhoff le complice et ami de toute sa vie. Tous deux écrivent et publient l’épopée de l’Escadrille La Fayette.

Effarés par les négociations et la suite donnée à l’armistice, ils décident de quitter l’Europe et partent pour Tahiti en janvier 1920, sans un sous vaillant, vivant de leur pension militaire ; la vie est dure mais l’éblouissement est total. Commence alors la rédaction de chroniques exotiques (le public de l’époque en est friand) qu’il s’agit de vendre aux journaux américains. Les amis se séparent un temps, Hall va bourlinguer jusqu’en Islande, puis rentre à Tahiti en 1924 où il s’établit définitivement.

Tahiti, île de Moorea
© Françoise Thibaut

Il est très pauvre mais la vie est belle (il raconte cette période dans une délicieuse nouvelle : Pour un dollar de graines). Il écrit, s’intéresse aux habitants, à leur histoire, visite l’archipel, apprend à le connaître, navigue, découvre toute une civilisation. En 1925 il épouse la jeune et jolie Sarah Winchester, 1/8ème polynésienne, d’une famille de planteurs, surnommée Mama Lala, dont il aura 2 enfants : Conrad en 1926 et Nancy en 1929.

Lorsqu’il était à Paris, il avait trouvé par hasard, chez Brentanos, le premier récit sur les mutins de la Bounty publié par Sir John Barrow en 1831 ; depuis, il accumule les connaissances sur cette aventure et celle du capitaine Blith. Son ami Nordoff est de nouveau à Tahiti : en 1929 ils se mettent à l’ouvrage ; en 1932 le résultat est là : Les mutins de la Bounty connaît un succès immédiat. Suivront Dix neuf hommes contre la mer narrant l’odyssée de 43 jours de la chaloupe de Blith pour rallier Timor, et Pitcairn consacré au destin des mutins sur ce caillou perdu du Pacifique. Cette Trilogie, très sérieusement documentée, romancée à partir des journaux de bord et des témoignages de l’époque, devient un « classique » de la littérature d’aventures, lue et traduite dans le monde entier. Dès 1934 la MGM achète les droits et produit Les révoltés du Bounty avec Clark Gable et Charles Laughton, dont le succès ne s’est jamais démenti. Suivront 2 autres longs métrages sur le même sujet : l’un en 1962 avec Marlon Brando, l’autre en 1992 avec Mel Gibson, ainsi qu’un grand nombre de feuilletons, livres illustrés, etc.

Ce succès soudain apporte sinon la fortune, du moins l’aisance aux deux écrivains, qui dès lors ne lâcheront plus leur plume produisant, ensemble ou séparément près d’une quarantaine d’ouvrages, de nombreuse chroniques et nouvelles. Nordhoff cessera rapidement d’écrire seul pour se consacrer, pratiquement jusqu’à son décès en 1947, à leur œuvre à quatre mains : outre la Trilogie, on leur doit The Hurricane, le très beau Botany Bay, et quelques autres.

Pitcairn
© Françoise Thibaut

James Norman Hall s’installe définitivement à Arué, dans une propriété qu’il ne cessera jamais d’agrandir et améliorer, et fait construire un vaste Faré, élégant et aéré, tenant aussi des maisons coloniales du sud américain, bourré de livres, que ses descendants entretiennent pieusement et qu’ils ont ouvert au public en 2002.

Tahiti doit à J.N. Hall de nombreuses chroniques sur la vie quotidienne de l’île dans les années 30/40, écrites dans un style fluide et délié, avec une vraie tendresse pour les Polynésiens, des remarques fort pénétrantes sur les rôles sociaux et un attachement presque fasciné à la beauté des lieux. Cela ne l’empêchait pas de trouver « l’administration française fort corrompue » et de remarquer le nombre croissant d’ivrognes, de mendiants et surtout d’occidentaux déclassés venus chercher dans les îles un Eldorado qu’ils ne trouveront jamais.
On parcourt Papeete telle qu’elle était en 1927, rencontrant tôt le matin l’éboueur Gaston et sa jument Banane, le clerc de notaire Ruau faisant son marché en col dur, l’administrateur Clémont de l’île d’Hopearoa et le généreux Chinois Hop Sing et son cousin Chen Fat préparant son cotre pour aller aux Gambier. Hall donne la mesure de l’importance commerciale et maritime de la communauté chinoise. Parlant indifféremment français, tahitien ou anglais, bien que discret, tout le monde le connaissait et ses relations avec les Polynésiens étaient simples et directes ; il en aida d’ailleurs beaucoup, assista des Européens en difficultés. L’histoire de l’Anglais Chrichton ou de son ami Frisbie en témoignent.

James Norman Hall


Le destin du capitaine Blith occupa longtemps les pensées de J.N.Hall : l’exploit nautique de Tofua à Timor en 43 jours, de 3.618 miles -soit 6.701 Kms- sans boussole, le fascinait. Or, rêvant depuis longtemps d’aller à Pitcairn, J.N. Hall trouva à s’embarquer sur la goélette Pro Patria en août 1933, passant, pour ramasser le coprah, par Niau, Apataki, Farakava, Hikueru, Amanu, Tamatangi (l’île du lagon de Blith) et Mangareva ; Le voyage aller se passe bien ; le séjour de 4 jours à Pitcairn aussi ; mais au retour, le 6 septembre, c’est le naufrage à Tematangi. Mangareva est à 300 miles ; les naufragés modernes sont eux aussi 19 ! Le récit de cette aventure est troublant, plein de réminiscences, et l’expression rare du bonheur que l’on peut trouver dans la solitude de l’océan et d’îles isolées.

Peu d’écrivains ont relaté avec autant de bonheur la vie et les beautés de « la grande mer du Sud » comme on disait au temps de George III. James Norman Hall est de ceux là.

On lira en français, avec gourmandise :
- la Trilogie, avec Ch-B. Nordhoff : Les mutins de la Bounty, Dix-neuf hommes contre la mer, Pitcairn chez Phébus Libretto, traduits par Gérard Piloquet.
- James Norman Hall seul, traduit en français sous son contrôle : L’histoire d’un naufrage (1934) et Pour un dollar de graines et autres histoires des mers du sud, Éditions Le Motu à Papeete.

Écoutez une autre émission de Françoise Thibaut consacrée à l'île mythique de Pitcairn : Billet d’Asie : un Caillou nommé Pitcairn

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