Philippe le Bon (1419-1467) : le duc du Juste Milieu (3/6), par Philippe Contamine

Troisième portrait de la série "les grands Ducs de Bourgogne", par Philippe Contamine, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et l’historien Bertrand Schnerb
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Philippe le Bon, duc de Bourgogne de 1419 à 1467, serait-il le « duc du juste milieu » ? Comment concilia-t-il, à la fois, sa volonté de jouer un rôle prépondérant en France et son ambition de créer un État proprement bourguignon ? Philippe Contamine et Bertrand Schnerb ont observé attentivement les entreprises politiques de ce prince dans ce qu’il est convenu d’appeler les « Pays-Bas bourguignons ». Troisième émission de notre série consacrée aux Grands Ducs d’Occident.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : hist689
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D'emblée, Philippe Contamine et Bertrand Schnerb s’attachent à préciser, de nouveau, que l’État fondé et développé par les ducs de Bourgogne entre le milieu du XIVe et la fin du XVe siècle est d’un genre particulier puisqu’il ne s’agit, non pas d’un État royal, mais d’un État princier. Ce type d’État se caractérise par l’existence d’un pouvoir politique incarné dans une dynastie princière, par la création d’institutions administratives, judiciaires, financières et militaires propres, par le développement d’une société politique et d’une idéologie spécifique, enfin par l’affirmation d’une diplomatie autonome.
Partant de cette constatation, il faut montrer comment les princes de la Maison de Bourgogne avec l’aide d’hommes qui se sont voués à leur service, parfois jusqu’à la mort, ont lutté pour imposer à l’intérieur une certaine centralisation et à l’extérieur la reconnaissance de leur souveraineté.

L’alliance anglaise après l’entrevue, sanglante, sur le pont de Montereau

Philippe le Bon portant le collier de l’Ordre de la Toison d’or et le chaperon à cornette pendante

L'assassinat de Jean sans Peur (10 septembre 1419) rend inévitable une réorientation de la politique bourguignonne. Philippe le Bon, désormais nouveau duc de Bourgogne, envisage sérieusement une alliance anglaise.
Le meurtre de Montereau, commandité par les Dauphinois et en présence du dauphin Charles, brise, en effet, pour longtemps toute possibilité de réunification politique et militaire face à l'envahisseur anglais.
Fils et successeur de Jean sans Peur, Philippe le Bon se rallie à la cause anglaise dès la fin de 1419. Le Traité de Troyes est scellé en mai 1420 et l’alliance anglo-bourguignonne devient, alors, une réalité dans le domaine militaire.

Le Traité de Troyes

Fort de l’alliance bourguignonne qui se dessine, Henri V, roi d’Angleterre, prend dès la fin de l’année 1419 contact avec le conseil du roi Charles VI siégeant à Paris pour exposer ses propositions de Paix.
Il réclame pour lui la main de Catherine de France, fille de Charles VI, et la couronne de France. Les Français – dont les Bourguignons- n’entendent pas trahir leur souverain : Henri V ne deviendrait roi de France qu’au décès de Charles VI.

Par ailleurs, les Anglais offrent une alliance particulière au duc de Bourgogne : mariage d’un des frères d’Henri V avec l’une des sœurs de Philippe le Bon et promesses, enfin, de cessions territoriales.
Pour le duc Philippe et ses conseillers, l’alliance avec Henri V est un « moindre mal ».
Il est à craindre, notamment, que si le duc tarde à s’allier avec les Anglais, ceux-ci ne décident de se rapprocher du dauphin Charles.

Le but du traité est d’assurer à perpétuité la paix entre le royaume de France et le royaume d’Angleterre. Ainsi doit naître et se perpétuer une double monarchie de France et d’Angleterre.
Mais, par une remarquable ironie de l’histoire Henri V (mort le 31 août 1422) précède dans la tombe Charles VI (décédé le 21 octobre 1422). Son fils, Henri VI, n’a que six mois. Une régence doit être organisée.

En 1422, Philippe le Bon ne revendique pas la régence

Sur son lit de mort à Vincennes, Henri V semble avoir prévu que l’autorité, en France, soit confiée au duc Philippe, et en cas de refus de ce dernier, à Jean de Lancastre, duc de Bedford, son frère.

Le 10 octobre 1422, Charles VI entre en agonie et Philippe le Bon décide de quitter Paris. Ce départ inopportun est-il un refus de la régence ? Se met-il délibérément en retrait ou est-il écarté par Bedford ?
Les historiens en sont, de nos jours, réduits à des hypothèses.

Quoi qu’il en soit, l’absence du duc de Bourgogne aux funérailles de Charles VI est un saisissant symbole de sa nouvelle ligne de conduite : il déserte peu à peu la scène politique française pour se consacrer principalement à l’expansion territoriale de l’ensemble des principautés que lui ont léguées ses prédécesseurs.
Malgré le meurtre de Montereau, les contacts entre Charles VII et Philippe n’ont jamais été totalement rompus.
Le duc de Bourgogne, en évitant d’assumer la régence aux décès d’Henri V et de Charles VI, s’est-il gardé d’un geste susceptible de rendre difficile, sinon impossible, un rapprochement avec son adversaire ?
Les bouleversements dus à l’épopée de Jeanne d’Arc amènent Philippe à se réconcilier en 1432 avec le roi de France.
En juillet 1435, s’ouvre à Arras une dernière conférence de paix.
Le Traité d’Arras est conclu le 21 septembre suivant.

Le Traité d’Arras et ses suites

Ce traité comporte un certain nombre de clauses prévoyant réparation matérielle et morale du meurtre de Montereau.
Selon Philippe Contamine, Charles VII, qui doit accepter des conditions rudes et humiliantes, en aurait fait une dépression !
Après avoir conclu le Traité d’Arras, Philippe le Bon tente de jouer le rôle de médiateur entre le roi de France et l’Angleterre. Il envoie donc aussitôt une ambassade à Londres dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est mal reçue.
La conclusion de Traité d’Arras conduit à une rupture entre le roi d’Angleterre et le duc de Bourgogne.
Cependant, des incidents ne cessent de survenir entre France et Bourgogne, jusqu’à la mort de Charles VII en 1461 et l’avènement de Louis XI ne marque pas, loin de là, une amélioration des relations franco-bourguignonnes.
L’expansionnisme –déjà évoqué plus haut- est l’un des traits marquants du principat du duc Philippe ; il est, en cela aussi, le digne successeur de son grand-père et de son père.

L’expansion territoriale

Les différentes acquisitions de territoires sont faites selon des modalités différentes : cessions, achats, héritages, conquêtes.
Dans les années 1450, l’ensemble territorial bourguignon est imposant. Il se constitue de deux blocs de principautés :
- l’un, au nord, s’étend de la Somme à la Frise et de la mer du Nord au Luxembourg ;
-l’autre, au sud, comprend les deux Bourgogne (duché et comté) avec leurs annexes, le Charolais, l’Auxerrois et le Mâconnais.

-Entre les deux, s’étend la Lorraine et le Barrois, qui, depuis Bugnéville (en 1431) peuvent être considérés comme faisant partie de la sphère d’influence bourguignonne. Pour y renforcer son emprise, le duc Philippe le Bon s’intéresse de près aux sièges épiscopaux lorrains.

Un gouvernement centralisateur

L’ensemble territorial bourguignon, composite, se caractérise par l’hétérogénéité de ses structures et le caractère décentralisé, sinon particulariste, de ses institutions.

Nicolas Rolin peint par Rogier Van der Weyden

Aussi, l’une des fortes tendances de l’histoire institutionnelle de l’État bourguignon est celle de l’action centralisatrice.
Nicolas Rolin, chancelier de 1422 à 1457, est le véritable pivot du gouvernement bourguignon.
Le duc concentre le pouvoir entre ses mains et toutes les institutions centrales sont organisées autour de sa personne.
Le faste de sa cour, réputée dans toute l’Europe, est un instrument de propagande politique.

Une prochaine émission évoquera « Philippe le Bon, prince fastueux».

Philippe Contamine est membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, historien médiéviste, professeur émérite à l'université Paris-Sorbonne, ses travaux portent sur la guerre, l'État, la noblesse, l'économie et la vie privée entre le XIIIe et le XVe siècle.

Bertrand Schnerb, spécialiste de la société et des institutions bourguignonnes des XIVe et XVe siècles et professeur d'histoire médiévale à l'Université de Lille III est l'auteur de : l'État bourguignon: 1363-1477, publié chez Perrin en 1999, et réédité chez Perrin dans la Collection Tempus en 2005.

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