Les taxes !

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

C’est incontournable, il faut payer la taxe et même les taxes ! Mais peut-être, paraîtront-elles plus légères quand vous connaîtrez l’histoire et l’étymologie du mot ? On peut du moins l’espérer grâce au concours, toujours aussi instructif et plaisant, de notre lexicographe Jean Pruvost...

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots656
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Les exemples que forge un auteur de dictionnaire pour mettre en scène les mots qu’il définit représentent parfois un moment de liberté pour le lexicographe, qui de A à Z est tout entier à sa tâche difficile d’arbitre des sens, et de ciseleur de définitions, qu’il essaie d’attester par des citations. Eh bien dans cette lucarne de liberté qu’illustre l’exemple inventé, on surprend les préoccupations voire les confidences du lexicographe à son lecteur.

Ainsi, pour le mot taxe, quel exemple choisit Pierre Larousse ? « Taxe : Montant des impositions que doit payer un individu » Exemple : « Ma TAXE (en lettres capitales) est beaucoup trop élevée. » Et si on se reporte à l’Académie française, par essence mesurée, concernant la « somme portée par le règlement d’imposition », le jugement tombe avec les deux premiers exemples d’emploi : « Une taxe excessive, exorbitante », mais là je ne suis pas objectif, s’y ajoute « une taxe modique », en troisième position…

D’où vient ce mot qui sonne rudement, d’une seule émission de voix, taxe, et qui a d’ailleurs fait l’objet d’une chanson parodique par les Inconnus… à la fin du siècle dernier.

D’où vient ce cri du cœur ? Pierre Larousse, dans son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, est à cet égard intarissable. C’est en remontant dans le temps, d’abord le latin taxare que l’on rencontre, signifiant blâmer, censurer, évaluer, estimer, verbe latin lui-même issu du grec tassein, régler, ordonner, disposer. Et comme on le sait le latin et le grec tirent leurs origines de l’indoeuropéen, que l’on reconstitue, source de presque toutes les langues européenne, mais aussi du sanskrit. Et quel est le sens repéré alors dans le sanscrit taksh, tailler, couper, fendre, gratter. Voilà qui plaît à Larousse, qui se sent bien trop taxé.

Au passage pourquoi partir du verbe taxer et non du mot taxe ? Parce que tout simplement, le verbe a existé avant le nom, il y eut d’abord le verbe taxer, puis le nom qu’on on a tiré, c’est la même chose pour le mot galop qui vient du verbe galoper ou par exemple la gratte, qui vient du verbe gratter, pour rester dans la thématique de la taxe.

La taxe est définie par un célèbre auteur de mot croisé, Roger La Ferté, de manière concrète et efficace : « Affaire d’État », c’est bien en effet l’État qui fixe les taxes, d’où d’ailleurs la première définition du Petit Robert 2011, « Prix fixé d’une manière autoritaire ». Et justement, c’est de pleine actualité avec de nouveaux usages du mot offerts par le ministère du budget qui propose de « doubler la taxe soda », avec pour objectif la réduction du déficit et l’abaissement du coût du travail agricole, déclarait le ministre Valérie Pécresse. Et d’ajouter, interviewée dans Métrofrance le 13 octobre 2011 : « Je crois que les taxes comportementales sont des taxes très intéressantes notamment en termes de prévention sanitaire ».

Quel festival pour un lexicologue ! taxe soda, taxe comportementale, voilà des formules qui risquent d’entrer dans le dictionnaire. Et, pour tout dire, « taxe comportementale », c’est tout de même plus joli que quelques mots affreux né du mot taxe, qui il est vrai n’est pas vraiment support de rêve. Par exemple taxatif, qui peut être taxé. Des revenus taxatifs, lit-on encore dans le Dictionnaire Quillet de 1965. Le plus vilain est sans doute celui trouvé dans le Supplément du Littré, « taxativement ».

Et du coup, on peut se prendre à rêver d’un courrier adressé à notre Inspecteur des impôt, pouvant par exemple se conclure ainsi : « Très respectueusement – il faut toujours être prudent avec les impôts - et taxativement vôtre. C’est dans le Littré, ça n’a donc pas de prix !

Texte de Jean Pruvost.

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire. Et chaque année, il organise la Journée Internationale des Dictionnaires.

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