Indignation !

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

De toutes les définitions de l’indignation lues par notre lexicologue Jean Pruvost, il n’en est pas de plus claire et plus élégante que celle offerte par le Dictionnaire de l’Académie française, en sa neuvième édition : « Indignation : Sentiment de colère qui peut être mêlé de mépris, qu’excite une injustice criante, une action honteuse ou injurieuse, un spectacle ou un propos révoltant. » Le mot indignation vient de fait en droite ligne du latin indignus, par opposition à dignus, ce dernier signifiant « qui convient », qui « mérite quelque chose » de bien ou de pas bien, et en tout cas relié au verbe latin decet, il convient, qu’on retrouve dans décent. Voilà pour la définition, mais avec Jean Pruvost, on apprend, sans s’indigner, bien d’autres choses encore...

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots654
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_ Pour illustrer le mot indigné, parmi tous les poètes lus, celui qui m’a le plus touché, et que Littré cite souvent, est un écrivain du XVIIIe siècle qui fut avocat au Parlement de Paris et membre de la Société littéraire de Châlons-sur-Marne : il s’agit d’Antoine-Claude-Pierre Masson de la Motte-Conflans qui, reconnaissons-le, n’est pas très connu.
Il est donc temps de le faire redécouvrir, au moment où naissent çà et là des marches d’indignés, parce qu’avant même que l’écologie nous pousse à mieux respecter nos forêts, il écrivit un bien joli poème sur le sujet dont je vous lis un passage : « Comme on voit d’abord le bûcheron, Quand le roi des forêts, victime désignée, Doit enfin fatiguer le fer de la cognée, Abattre autour de lui dans un vaste contour, La foule d’arbrisseaux qui composait sa cour, Et lui marquer ainsi, sur la terre indignée, La place où son orgueil doit tomber à son tour. »

De ce vieux chêne, roi de la forêt, qu’on abat sur une terre indignée par pareil outrage, à Stéphane Hessel, auteur d’Indignez-vous, on sent quelque lien. Celui de la force d’indignation qui n’est pas liée à l’âge des artères mais à au cœur et à l’esprit. Une autre force de la nature, Victor Hugo, aimait le mot indigné, qu’il ne manque pas d’utiliser, notamment à propos de Jean Valjean, qui, dit-il, « se sentait indigné », précisant qu’« on est indigné que lorsqu’on a raison au fond par quelque côté ».
Dans la Légende des siècles, il y a aussi ce mot magnifique où il s’exclame qu’il sent en lui « devant les supplices sans nombre, Les bourreaux, les tyrans, grandir à chaque pas. Une indignation qui ne m’endurcit pas. » L’indignation qui reste intacte, qui ne s’endurcit pas, c’est un témoignage de jouvence, à la manière de Gide qui s’exprime à son tour sur le sujet dans les Nouveaux Prétextes: « Quant je cesserai de m’indigner, j’aurai commencé ma vieillesse »

Dans le Dictionnaire des mots d’esprit de la fin du XXe siècle, comment le cruciverbiste Jean Delacour, définit-il l’indignation ? Eh bien en parodiant un célèbre roman de Steinbeck : Les Raisons de la colère ! Alors, attention à ne pas laisser fermenter ces Raisons de la colère…

Texte de Jean Pruvost.

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire. Et chaque année, il organise la Journée Internationale des Dictionnaires.

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Retrouvez Jean Pruvost sur le site des Éditions Honoré Champion dont il est directeur éditorial. http://www.honorechampion.com

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