En Ecoute facile : Paul Morand, de l’Académie française, un amoureux du Portugal

dans la série "Des Académiciens et des hauts lieux" animée par Virginia Crespeau
Avec Virginia Crespeau
journaliste

"En Écoute Facile" vous propose de visiter le Portugal en bonne, très bonne compagnie ! En nous inspirant d’un ouvrage intitulé Le Portugal que j’aime…  : un bel album datant de 1963, illustré de superbes photographies dues aux plus grands noms de la photographie, présenté par l’écrivain Jacques Chardonne, légendé par Paul Morand, de l’Académie Française et raconté par Michel Déon, également de l’Académie Française.

Émission proposée par : Virginia Crespeau
Référence : eff513
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Ce sont donc quelques-unes des légendes rédigées par Paul Morand dans cet ouvrage Le Portugal que j’aime…que nous avons choisi de vous lire, d’une voix plus douce et plus lente, comme pour vous inviter à rêver. Rêver de ce pays déroutant, le Portugal, où les merveilles historiques côtoient à la fois la rude existence

Paul Morand, qui avait voyagé dans le monde entier, ou presque, aimait le Portugal. Il osait même se baigner à l’extrême pointe du pays, le cap Saint-Vincent, « abîme rocheux où l’on pêche dans la perpétuelle tempête des vagues avec des lignes de soixante mètres » écrit Jacques Chardonne.

Paul Morand (1888-1976), de l’Académie française

Pour commencer, Paul Morand évoque un film qui a rendu le Portugal célèbre : Les lavandières du Portugal , où l'on montre en image les bateaux, les couleurs des chemises des pêcheurs et les austères capes noires des femmes qui « ravaudent » les filets…
Notez ce mot ravauder, qui signifie « réparer ».

« Les lavandières. Ce mot sent la lavande et la toile écrue tissée dans la chaumière… Mot que les langues italienne, espagnole, portugaise, seules n’ont pas abandonné ; nous le rendons aujourd’hui au français, après lui avoir longtemps préféré l’horrible « blanchisseuse ». Nous le retrouvons pour nous égayer et nous rafraîchir, au bord des rivières, au fond des armoires.»

Détails carte du Portugal

- Mettez la carte du pays sous vos yeux, le Portugal s’étire du nord au sud, bordé par l’océan Atlantique d’un côté et l’Espagne de l’autre. Tout en haut, l’ancienne capitale : Bragance.

Paul Morand écrit :

« Bragance fait penser aux sombres forteresses de Savoie. Les masques mortuaires, le prestige des démons, les danses macabres s’y perpétuent, comme feux follets sur un ancien charnier. Le paysage des environs est brûlé, vrai gueulard d’un four. Noble cité, florissante au XII°, fermée comme un poing de fer, ceinturée de dix-huit tours, pareille à un enfer dallé de mauvaises intentions, flagellée de vents de la montagne, Bragance a gardé sur ses mains de granit le sang des assassinats ducaux… »

- Quelques mots savants autour du mot vin/ le mot « cellars » … et les chais… les muids, les foudres, les blondes, tous ces mots attachés au vin.

- Le Douro est le fleuve qui trouve son embouchure à Porto. Il a donné son nom à toute cette région tandis que le vin de Porto jouit d’une réputation internationale.

Vue de Porto Ribeira


« Parmi les vignes et les pins, les maisons blanches et les torrents non moins blancs d’écume, parmi les maïs et les saules, ce royaume du Douro ne voit son fleuve se calmer qu’en approchant de l’océan, où s’étalent les plus célèbres plages d’Europe. Chargés de fûts noirs, de barils aux bondes saillantes, cerclés de châtaignier ou de saule, à l’ombre des grandes voiles brunes, les barques descendent les tonneaux vers les muids et les foudres qui attendent la vendange, où, approchant octobre, dans des caves des falaises, l’admirable vin de liqueur se corsera et vieillira. Les rabelos à voile carrée descendent aux entrepôts de Vila Nova le porto qui va se reposer, après que les grappes ont été foulées aux pieds dans les cuves de granit par les vignerons, pendant dix jours.»

- Paul Morand n’hésite pas à utiliser un large vocabulaire pour désigner des bateaux, il choisit des mots comme « sampans », et ici « Rabelos à voile carrée », preuve que l’écrivain s’informait minutieusement avant de rédiger ses textes et aimait choisir le mot le plus juste.

Écoutez cette description qu’il offre de Porto :

Porto : « le - Port -, par excellence, sans autre nom que celui de sa fonction ; une porte sur la mer, au bord d’un rivage qui en compte si peu. Porto, c’est aussi la moitié du mot : Portugal ; la plus riche moitié, corne d’abondance d’où s’échappent les grappes qui donnent ce vin de Douro qui enivra l’Angleterre du XVIIIème et lui donna la force de vaincre l’Europe du Marché Commun napoléonien. Cité de richesse par le travail, des argenteries et orfèvreries reflétées par les acajou polis ; mets succulents servis sur des nappes brodées, une gastronomie flamboyante, une science de la vie qui semble héritée de la Renaissance. Voilà Porto ; plus qu’un entrepôt, plus qu’un comptoir : une échelle de bonheur, une escale de bien-être et de fructueux négoce, une offrande aux fidèles du vin, une libation à Bacchus. »


- Traversons la région du Douro, pour arriver à une autre ville : Coimbra, un peu plus à l’intérieur des terres, une ville universitaire, de tradition intellectuelle. La bibliothèque bodléienne, dont Paul Morand parle, est l’une des plus prestigieuses d’Oxford.

« Coimbra unit le passé au présent, les traditions universitaires à la religion atomique. La grosse horloge sonne, pendant neuf mois de l’année, depuis le XVe siècle, l’heure du Savoir. Sa bibliothèque, merveille du Portugal, vaut la Mazarine et ne connaît comme rivale que celle du Vatican.
Ici, tout est flamboyant, fleuri, gothique, hindou, on ne sait plus, on perd la tête; sorte de palais que le maçon aurait bâti avec une aiguille et du fil. Le travail de dentellier, avec ses bordures à jour, ses reprises, ce tricot troué de lumière et d’azur, ces festons de vermicelle, font du monastère la plus étrange pièce montée du gothique occidental. Le cloître, la salle capitulaire, les vitraux, la coupole sans pilier, tout évoque une grotte artificielle et enchantée, au fond des mers ; on s’attend à des vols de poissons épineux entre les stalagmites en rocaille, ou à des sauts de singes dans une forêt pétrifiée.»

- Descendons encore et bientôt, nous arrivons dans la capitale LISBONNE, Lisboa, la ville océane qui affronte les sautes d’humeur de l’océan, les brouillards et les coups de soleil…A Lisbonne, ce n’est plus le Douro mais le Tage qui arrose la région, l’Estramadure, et qui vient se jeter dans le port où les femmes, paniers sur le tête, viennent vendre le poisson frais.

«Le Tage sépare deux mondes : à l’ouest, c’est la vie touristique, les cafés, les camélias, les bibliothèques, les concerts avec Rubinstein et les voitures américaines. A l’est, dans l’Alentejo, c’est le pain noir, le taureau, le sommeil dans de grosses couvertures bariolées. Les cuillers sont en bois, le porc s’y grille en plein vent ; mules tintinnabulantes et ânes à pompons tirent des wagons bâchés, à roues pleines. Le vin vert se boit à même l’outre et des paysans non syndiqués chantent en travaillant.»

- Quittons l’Estramadure pour nous enfoncer dans des terres, l’Alentejo, que l’on surnomme volontiers le grenier à blé du Portugal, un pays de cultures, de grands domaines, de forêts de chêne-liège, avec deux villes remarquables, Evora et Estremoz. Evora, la perle du Portugal, objet des convoitises de tous les envahisseurs, des romains aux maures, semble avoir particulièrement inspiré l’académicien.

Liège en Algarve.

« Capitale de l’Alentejo, commandant la frontière proche, Evora fut, pendant deux siècles, le séjour favori de la Cour du Portugal après avoir été romaine, wisigothe et, pendant quatre siècles, maure. Fontaines de marbre des patios entrevus au fond de l’étranglement des ruelles, balcons à gros ventres de ferronnerie. Découpée, crénelée, hérissée, outragée par le temps et la politique, Evora domine la province sablonneuse des chênes-lièges où il fait si bon courir le renard… Le temple romain de Diane, comme le château Saint-Ange, devint une forteresse médiévale. Vasco de Gama y habitait, quand la caravelle n’était pas sa maison.

Evora est aussi mortelle qu’une dépouille humaine ; sa chapelle des Os s’offre à nos méditations comme une danse macabre muette. C’est une cité d’adieux, de renoncement, de mortification, elle a dédié son temple romain à la déesse de la Lune et de la Chasse, des froides nuits, de la nostalgie, plus glacée encore. Les spectres doivent aimer Evora… Ce donjon, la Religieuse portugaise le voyait-elle de sa cellule où le désir se confinait, au fond du couvent de la Conception ? Dernier témoin d’une très ancienne cité qui voyait s’assoupir les dernières pentes de l’Algarve, il s’impose à la plaine du bas Alentejo, comme le cri du cerf qui brame domine le silence d’une forêt… »

- Terminons cette rapide évocation du Portugal par quelques lignes de Michel Déon, de l’Académie française, qui évoque une province célèbre, la plus au sud du pays, l’Algarve, il s’inquiète, à juste titre: craignant déjà dans les années 196O que le tourisme ne défigure le pays

« Avec ses villages encaissés pour se protéger du vent, ses plages de rocailles artistiquement érodées par l’océan, ses alignements de moulins, ses figuiers à ras le sol, écrasés par le vent, l’Algarve apparaît comme le verger du Portugal… Faut-il souhaiter une chose avant d’abandonner le Portugal sur cette terre promise ? L’Algarve par son climat, ses facilités, la beauté de son rivage et de son arrière-pays, et les charges de ses villages aux cheminées si ravissamment ajourées, est voué à un grand destin touristique. Il est encore permis ces années-ci de la contempler… dans son originale beauté. Quelques soins et du goût devraient préserver cette côte du massacre qui a si douloureusement atteint la Costa del Sol aux environs de Malaga. L’Algarve se doit de rester la plus pure dernière note d’un pays qui sait si bien parler au cœur et à l’esprit, si l’on croit encore que le cœur et l’esprit ne sont pas franchement à condamner au seuil du monde qui nous attend… »

Carte du Portugal

Merci d’avoir partagé avec nous ce moment d’évasion au Portugal.

- Au revoir à tous, à bientôt pour un prochain « En Ecoute Facile »

- Avant de nous séparer, je voudrais vous rappeler que dans cette même série consacrée aux hauts lieux décrits par des Académiciens, vous pouvez écouter également :

- En Ecoute facile : Edouard Bonnefous et le Brésil

- L’Algérie d’Assia Djebar, de l’Académie française à travers ses écrits

- En Ecoute facile : "Des Académiciens et des hauts lieux" : l’abbaye de Sénanque

- En Ecoute facile : la Chine de Pierre-Jean Rémy

- Ecoutez d'autres émissions sur Paul Morand, de l'Académie française

- Consultez la fiche de Paul Morand sur le site de l'Académie française

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