Science Fiction par Michel Pébereau : Julian de Robert Charles Wilson

Dans un siècle, viendra "la Grande Affliction"...
Michel PÉBEREAU
Avec Michel PÉBEREAU
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

C’est au XXIIème siècle que vit le narrateur de « Julian ». « L’effervescence » de l’économie mondiale pendant une partie de notre XXIème siècle a débouché sur la « La Grande Affliction » : l’effondrement de l’économie dont le fonctionnement reposait sur une consommation massive d’hydrocarbures. Les pénuries d’énergie ont provoqué des famines et des guerres qui ont fait des millions de morts. L’organisation politique, économique et sociale de notre planète a été bouleversée. Le contrôle de l’Amérique du Nord est désormais partagé entre la Mitteleuropa et des Etats-Unis reconfigurés. Ces deux blocs s’affrontent dans une guerre du Labrador interminable, pour le contrôle des ressources naturelles qui y existent encore.

Guerres et récessions ont ramené les Etats-Unis à une économie de subsistance. Quelques propriétaires contrôlent de grands domaines agricoles et les font exploiter par des travailleurs réduits à l’état de servage. La démocratie a disparu. Une oligarchie constituée des propriétaires des terres et des dirigeants des vestiges d’une l’industrie décadente soutiennent une tyrannie militaire. L’Eglise du Dominion fait régner l’ordre moral ; elle a le pouvoir de « certifier » les églises et laisse proliférer sectes et superstitions.

Le narrateur, Adam, vit dans un village qui rassemble les travailleurs d’un grand domaine agricole. Sa famille a un statut un peu supérieur à celui des salariés asservis. Et sa mère lui a appris à lire. Il conte l’histoire de Julian, qui est devenu son ami lorsqu’il est arrivé au village, accompagné d’un mentor, Sam. Julian est le fils du fameux général Bryce Comstock, pendu pour trahison sur ordre de son oncle, Deklan Le Conquérant, qui dirige le pays d’une main de fer. C’est un adolescent intelligent, cultivé, entreprenant, qui a toutes les qualités d’un chef. Il quitte le village avec Adam et Sam afin d’échapper à une rafle organisée par son oncle pour se saisir de lui. Et tous trois, bon gré mal gré, s’engagent dans l’armée comme des volontaires anonymes. Là, les qualités de Julian font merveille. Il se fait aimer des autres soldats, démontre son courage, voire sa témérité, organise des rumeurs critiques visant un encadrement incompétent et pleutre. Il gravit les échelons, jusqu’à devenir un rival potentiel, un danger pour son oncle. Il finit par prendre le pouvoir. Son ambition ? Transformer la société : établir un système politique et social plus rationnel, limiter le pouvoir et l’arbitraire des puissants, mettre fin à l’obscurantisme et à la tyrannie de la l’Eglise du Dominion. C’est qu’il est imprégné de culture philosophique et scientifique : il a une vraie passion pour Charles Darwin dont il veut promouvoir les idées. Mais autour de lui, les résistances s’organisent pour freiner sa politique. Pour en triompher, ne risque-t-il pas de verser lui-même dans la tyrannie ou de sombrer dans la folie ?

Robert Charles Wilson décrit une Amérique du futur qui ressemble fort à celle des pionniers, avec ses inégalités et ses violences, physiques et sociales, mais aussi avec son esprit d’entreprise et ses valeurs, ses solidarités, le vrai amour et l’amitié indéfectible. Ses personnages sont des héros de western avec leurs forces et leurs faiblesses ; mais d’un western moderne : ils sont complexes, plus réels. Il sait conter une histoire, tenir les lecteurs en haleine. Mais il se livre aussi à une réflexion sérieuse sur les pouvoirs - le politique, l’économique et le religieux - et leurs relations ; et aussi sur l’histoire, qui est pour lui « écrite sur le sable et évoluant avec le souffle du vent ».

Chacune des œuvres de ce Canadien de près de 60 ans est digne d’attention. Il a déjà obtenu le vrai succès international avec « Spin », et « Axis », qui ont été distingués par des prix prestigieux de SF. Son premier roman, La cabane de l’aiguilleur, vient d’être réédité en Folio SF. Il y conte l’histoire de deux jeunes gens qui s’aiment, dans le village de « Haute Montagne », où vivent des gens simples et modestes ; des jeunes gens confrontés au mystère d’une jeune fille étrange, une extraterrestre qui a pris un corps humain et a besoin d’aide pour opérer sa mue. Une belle histoire humaniste, au cœur de l’Amérique profonde, au temps de la Grande Dépression.

Retrouvez la chronique Science-Fiction par Michel Pébereau, de l'Académie des sciences morales et politiques.

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