L’essentiel avec... Christian Poncelet

L’académicien, ancien président du Sénat, répond aux sept questions essentielles de Jacques Paugam
Avec Jacques Paugam
journaliste

Christian Poncelet, de l’Académie des sciences morales et politiques depuis 2003, en répondant aux sept questions essentielles posées par Jacques Paugam, retrace son parcours, engagé et atypique, où la rigueur du serviteur de l’Etat éprouvé s’allie à l’ardeur d’un vosgien d’adoption.

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : hab655
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L’invité de notre série« l’essentiel» est aujourd’hui Christian Poncelet qui est, à 83 ans, Sénateur des Vosges et Président du Conseil Général de ce département. Christian Poncelet fut plusieurs fois Secrétaire d’Etat et fut président du Sénat de 1998 à 2008. Il est probablement le parlementaire français, en exercice, totalisant le plus grand nombre d’années de mandats politiques électifs, locaux et nationaux. Christian Poncelet a été élu le 27 janvier 2003 à l’Académie des sciences morales et politiques dans la section générale.

(Retranscription de l’émission réalisée avec Jacques Paugam de Canal Académie)

1- Dans votre itinéraire professionnel, dans votre carrière, quel a été le moment essentiel ?

C.P : C’est sans aucun doute mon élection à la présidence du Sénat. Ce fut pour moi le couronnement de plusieurs années de travail consacrées à mes concitoyens et à mon pays. Le Sénat est une assemblée de réflexion composée d’élus locaux chevronnés et expérimentés. C’est pourquoi l’élection à la présidence du Sénat est une élection particulièrement difficile. Je dirais même qu’elle l’est davantage encore pour la réélection. J’ai assumé ma présidence pendant dix années. Je me suis efforcé de valoriser l’institution qui m’avait confiée sa présidence indépendamment des clivages droite-gauche. J’ai organisé des assemblées régionales des élus (sénateurs, maires, conseillers généraux) pour que nous puissions traiter ensemble, toutes tendances confondues, les problèmes auxquels nous étions confrontés. Dans cette perpective, j’ai tout de suite cherché à convaincre mes collègues d’aller en stage dans les entreprises (privées et publiques), dans les administrations (justice, armée…), etc.

- J.P : J’ai entendu dire que vous aviez eu des problèmes avec certains sénateurs qui avaient nulle envie de se retrouver en stage dans des entreprises privées.

C.P : C’est exact. Un sénateur communiste m’a dit : « Mon cher président, je comprends votre initiative, mais vous me demandez à moi, communiste, qui ai combattu le patronat toute ma vie, d’aller en stage dans leur entreprise, ce n’est pas possible ! » A contrario une sénatrice communiste m'a remercié pour cette initiative ! En fin de compte les sénateurs, tous groupes confondus, ont effectué ces stages. Et chacun a considéré que cela lui apportait quelque chose. Car nous ne pouvons pas prétendre tout connaître. Nous ne pouvons pas légiférer sur différents sujets si nous ne les appréhendons pas avec une certaine profondeur. Par ailleurs j’ai voulu défendre le bicamérisme en m'appuyant sur les propos de Victor Hugo : « Un parlement sans Sénat c’est l’océan commandé par la tempête. » Je dois également faire référence à mon illustre prédécesseur, Jules Ferry qui présida quelque temps le Sénat, il avait dit fort justement : « Le sénat est là pour veiller à ce que la loi soit bien faite ». La sérénité est non seulement nécessaire mais également salutaire pour mener à bien une telle tâche. J'ai fondé, cela me tient à cœur, l’association des Sénats de l’Union Européenne. A Saint Petersbourg, j’ai été interpellé par Poutine qui me remettait une décoration : « La Russie est-elle dans l’Europe ? ». J’avoue avoir été un peu destabilisé mais Jeanne d’Arc est venue à mon secours et je lui répondu : « Je suis gaulliste et vous savez que de Gaulle a parlé de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural. » « Alors pourquoi le sénat russe n’est-il pas dans votre association. »a-t-il rétorqué, je lui ai menti : « Mais tout simplement parce que la demande ne m’a pas été faite. » Dans les heures qui ont suivi, j’ai reçu une demande assignée du président du sénat, à l’époque monsieur Sergueï Mironov, avec lequel je suis devenu très ami. Finalement j’avais rassemblé tous les présidents des sénats des pays de l’Europe. Chacun pouvait s’exprimer librement sur tous les sujets mais personne ne pouvait faire référence aux travaux qui se déroulaient au sein de notre association lors d'entretiens extérieurs. Tout le monde semblait satisfait à tel point que c’est à Rome, pendant la réunion de l’association, que monsieur Mironov a proposé ma candidature comme Président d’honneur et j’ai été élu à l’unanimité à ma plus grande joie !

- J.P : On a évoqué très rapidement vos débuts en politique lors des élections de 1962 mais votre entrée en politique date de 1959 si je suis bien renseigné.

C.P : Elle débute très précisément en 1958, j'étais un militant syndicaliste CFTC. Les temps étaient difficiles en France. Un jour, une manifestation a eu lieu pour le retour du général de Gaulle au pouvoir. J’avais été marqué par la volonté de cet homme de réformer le pays. A un moment donné il dit : « j’abrège ma conversation, je dois me rendre dans l’Eure, si vous voulez m’accompagner, accompagnez-moi ». Et nous avons vu cet homme se présenter devant ses électeurs et leur dire : « oui, j’ai suspendu le privilège des bouilleurs de crus. » Il avait recommandé la distribution de lait dans les écoles. Cela m’avait séduit. Il a été battu mais j’avais apprécié son courage, sa force qui m'ont guidés dans mes engagements par la suite. Le général de Gaulle est revenu au pouvoir comme président du conseil. René Coty était président de la République. Des élections ont eu lieu. Je n’ai pas accepté de participer à ces élections.

- J.P : Alors pourquoi avoir accepté en 1962 ?

C.P : En 1959 j’étais contrôleur des télécommunications et je préparais un concours.

- J.P : Vous aviez fait toute votre carrière comme fonctionnaire aux télécommunications…

C.P : oui J’étais en période de titularisation alors j'ai d'abord refusé mais par la suite je suis revenu sur ma décision. Quatre ans après son arrivée au pouvoir, la première élection du président de la République au suffrage universel a naturellement induit la dissolution. Là je m’engage véritablement en politique. Entre temps j'avais fondé avec Capitant, avec Jean-Pierre Levy, avec Gilbert Grandval, l’Union Démocratique du Travail, l'union de gaullistes sociaux et humanistes voulant s'investir dans le domaine social.

2- Qu’est-il essentiel de dire, selon vous, sur la politique et sur la manière dont vous la pratiquez ?

C.P : Nous traversons actuellement une période difficile. Et par conséquent si elle est difficile pour le pays, elle est difficile pour nos concitoyens. C’est une dimension humaine à réintroduire dans nos démarches politiques. Mon souci est de me consacrer à ma tâche de législateur en restant en relation avec la population. Prenons l’exemple suivant : nous sommes engagés dans une véritable guerre économique, il s’agit aujourd’hui de conquérir des marchés. Au sein même de l’Europe cette conquête existe. Il faut avoir des idées, présenter des solutions, être ferme lorsque nous avons la conviction de servir l’intérêt général. Intérêt général qui n’est jamais la somme des petits intérêts particuliers. Quelqu’un, j'ai oublié qui, a écrit qu’une telle attitude conduit à être impopulaire. C'est vrai mais précisément pour moi, cette impopularité est la noblesse de celui qui consacre, avec cœur et passion, toute son ardeur à défendre les causes qu’il considère comme justes. Je ne recherche pas la polémique, j’aimerais que des hommes de gauche, de droite, intelligents et patriotes, unissent leurs forces… Rassemblons-nous pour défendre notre pays, notre population. Mobilisons-nous, cette guerre économique nous y contraint !

3- Élargissons les perspectives : qu’aimeriez vous faire passer concernant l’évolution de notre société ?

C.P : Actuellement, nous avons une évolution démographique importante : nous sommes 65 millions d’habitants cela se traduit par 2,5 enfants par foyer, c’est le taux de fécondité le plus élevé en Europe.
Nous avons aussi une durée de vie plus longue qu’auparavant : 82 ans pour les femmes et 78 ans pour les hommes. Donc beaucoup de jeunes et des gens qui vivent plus longtemps. Cela pose un problème. S’agissant des jeunes il faut, dès maintenant, réfléchir à leur formation pour les adapter aux mutations du marché du travail. Pour les personnes âgées nous devons prévoir des moyens afin de les accompagner au mieux. Nous avons en France une contradiction à laquelle il faut apporter une solution : les personnes âgées souhaitent rester chez elles le plus longtemps possible, pour cela il faut prendre des dispositions comme porter des repas à domicile ou veiller à leurs soins. Mais parfois leur état de santé ne leur permet plus cette autonomie, il faut alors prévoir des structures adaptées, des maisons de retraite fonctionnelles et accueillantes.

- J.P : Mais pourquoi ne le fait-on pas ?

C.P : Je vais parler de mon département car je le connais bien. J’ai veillé à ce que nous soyons équipés des techniques les plus évoluées pour chaque collège, que chaque élève puisse appréhender ces techniques nouvelles. Pour nos anciens, en Lorraine, j’ai actuellement 138 places d’accueil disponibles avec des espaces de vie pour 1000 personnes âgées de plus de 75 ans. C'est la capacité d’accueil la plus importante des quatre départements lorrains. Pour le coût : autour de 40 euros par jour, le plus bas de toute la région Est. Ce sont là des données officielles que je vous donne.

4- Pour vous Christian Poncelet quelle est la plus grande hypocrisie de notre temps ?

Nous parlons du printemps arabe. Aujourd’hui cela m’apparaît comme l’évènement le plus équivoque. Le général de Gaulle ne voulait pas que nous nous immiscions dans les affaires d’autres pays. Nous en avons fait l'amère expérience lorsque l’ayatollah Khomeyni a quitté l’Iran, après avoir engagé une révolution contre le Shah, et s'est installé à Neauphle-le- Château. Depuis cette ville il a conduit la révolution dans son pays. Je comprends la rébellion des populations soumises au joug de la répression, elles aspirent légitimement à la liberté. Nous ne pouvons pas rester insensibles à cette aspiration. Aujourd’hui que vois-je : ils ont renversé leurs dictateurs pour porter au pouvoir d'autre autocrates. On parle de restaurer la sharia en Egypte et la Tunisie est déjà la proie d'affrontements fratricides.

5- Quel est l’évènement ou la tenance de ces dernières années qui vous laisse le plus d’espoir ?

Sans hésitation : ce sont les progrès de la médecine. Début 2012, le professeur Carpentier, dont le père était vosgien, je le rappelle, espère implanter un cœur artificiel aux insuffisants cardiaques en stade terminal. Il attend l’autorisation de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (afssaps). C’est un merveilleux espoir. Près de vingt millions d'individus rien qu'en Europe et aux Etats-Unis bénéficieraient de cette avancée.

6- Quel a été le plus grand échec de votre vie ?

C’était dans les années quatre-vingt-dix. J’étais alors président de la commission des finances du Sénat. Je m’étais efforcé de fusionner deux impôts : l’impôt sur le revenu, l’IRPP, créé par Joseph Caillaux en 1914 et le nouvel impôt voulu par Michel Rocard, en 1986, la CSG. Je constate que la CSG a une base plus juste : alors fusionnons les deux ! On m'a objecté que ce n’était pas le bon moment tant à droite qu'à gauche.
Je crois qu’il faudrait une grande réforme. Quand je regarde l’histoire de mon pays, les grandes réformes naissent des turbulences, des fortes tensions. Pour ma part, Je veux éviter cela tant que faire se peut...

7- Quelle est aujourd’hui votre motivation essentielle dans la vie ?

Répondre à celles et à ceux qui m’accordent leur confiance. Dès mon entrée aux télécommunications, j’ai assumé mes responsabilités comme syndicaliste en étant attentif aux uns et aux autres. Chacun, au poste qu’il occupe, peut apporter un plus à la société. Sur le plan social, je me félicite d’avoir créé l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail dans les entreprises en associant l’Etat, les patrons et les ouvriers. Un travail d’équipe profitable à l’ensemble.

J.P. Vous continuez à vous battre avec une ardeur presque féroce. Certains vous reprochent d’avoir brigué un mandat de trop en tant que président du Conseil Général des Vosges. Il me semble que c’est la 12ème fois que vous étiez candidat. Cette fois-ci vous avez été élu au bénéfice de l’âge.

C’est ce qui m’a fait le plus mal dans ma carrière politique. Pourquoi ? Que l’on vienne me dire ouvertement et loyalement : « Nous considérons qu’il est temps pour vous de partir ». Cela a le mérite d'être clair. Je ne me doutais pas qu’il puisse y avoir un tel degré de trahison, d’ingratitude de la part de ceux que j'avais soutenu lors de leurs campagnes électorales. Et c’est là que je me suis rappelé la formule classique Le bien a pour tombeau l’ingratitude humaine !

En savoir plus :

- A écouter aussi : Le Sénat offre un nouveau visage avec Christian Poncelet, alors Président du Sénat.

- Retrouvez les autres émissions de la série "L'essentiel avec...", présentée par Jacques Paugam.

- Consultez la fiche de Christian Poncelet sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques

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