Organes autoconstruits : l’homme peut-il se régénérer sans limite ?

avec Henri Bismuth de l’Académie de chirurgie et Dominique Franco, chirurgien à l’hôpital Antoine Béclère à Clamart

L’homme est-il une salamandre comme les autres, un animal qui pourrait perdre un membre et le faire repousser ? Chercheurs, médecins et chirurgiens, travaillent au développement d’organes autoconstruits.
Un mot un peu barbare pour dire qu’ils s’attèlent à régénérer une partie d’un organe malade avec des cellules neuves injectées dans ce dernier. L’organe se soignerait tout seul !

C’est une réalité : nous pourrons dans un avenir plus ou moins proche soigner un rein, un foie, ou un poumon en régénérant la partie de l’organe malade.

Le processus sera le suivant :
- Tout d’abord détruire l’ensemble des cellules de l’organe malade en injectant une solution de détergents biologique pour ne conserver que la structure extracellulaire.
- Puis réaliser dans un second temps une injection de cellules « neuves » dans l’organe, pour reconstruire un tissu sain.
- Enfin, replacer l’organe dans sa matrice.

L’organe malade est ainsi soigné.

De la science-fiction, on passe petit à petit à la réalité. En avril 2011, le professeur Emmanuel Martinod réalisait une première mondiale : une transplantation de bronche dont les alvéoles se sont auto-construites.
En dehors des organes, la régénération des tissus devient également une réalité. Régénérer une rétine ou encore de la peau devient possible. Il s’agit sur ce dernier point de travaux réalisés par une équipe de biologistes de l’université de Montpellier. Ils ont démontré qu’il était possible de rajeunir des cellules de la peau, provenant de personnes âgées de plus de 90 ans, en les reprogrammant.
Le corps finit par se soigner tout seul. Une révolution médicale dans un avenir proche, dont le terme même de révolution n’est pas assez fort pour nos deux invités Henri Bismuth et Dominique Franco, tous les deux chirurgiens.

Pour Henri Bismuth cette révolution transformera notre relation au corps humain. « Regardez la transplantation d’organe : elle consiste à retirer l’organe d’un défunt pour l’introduire à la place d’un organe malade chez un autre individu. Lorsque j’ai commencé la transplantation, il faut reconnaître que je n’ai pas dit souvent cela, mais en fait c’est un acte terrible sur le plan biologique, car c’est un véritable viol de l’identité de l’individu. Tout notre organisme est vigilant contre ce qui est étranger. Il se défend.
Or la transplantation d’organes est une attaque majeure puisque nous introduisons un organe étranger dans un organisme, et c’est pour ça que nous avons mis au point des traitements pour dominer les défenses immunitaires. Cet acte reste complètement anormal.
Alors qu’avec l’organe auto-construit, on est plus dans l’acte naturel parce qu’on va prendre des cellules adultes, les faire se dédifférencier pour qu’elles reviennent à l’état initial de leur différenciation et les faire redevenir des cellules adultes et pour reconstruire l’organe de façon « naturelle »»
.

Pour le professeur Dominique Franco, la compréhension du fonctionnement des cellules souches est un élément fondamental au développement de cette nouvelle chirurgie : « La révolution, c’est d’avoir compris que la progression des cellules ne se fait pas que dans un seul sens. La cellule souche devient une cellule mature, mais on a réussit à lui faire parcourir le chemin inverse, en redevenant des cellules souches pluripotentes. Et c’est ce qui permet d’utiliser le principe de la reconstruction ».
L’organe auto-construit pourrait ainsi à terme répondre à une double problématique : celui du rejet et du déficit de don d’organes pour la transplantation.

Parmi les organes candidats à « l’auto-construction », le foie figure en bonne place. Les médecins travaillent sur cette question depuis les années 1970 en s’intéressant plus particulièrement à la thérapie cellulaire.
A l’époque, l’objectif est de réparer un tissu mais pas de le reconstruire. Des essais prometteurs ont été réalisés sur le rat. « On pensait même qu’on tenait entre les mains un traitement formidable contre les maladies du foie. Mais forcé de constater que près de 40 ans après, on a beaucoup de mal à appliquer cette technique à l’homme parce que la transplantation d’hépatocyte pose des problèmes qui ne sont pas encore résolus comme la question de la masse de tissus à transplanter, le risque de voir les cellules injectées franchir les différentes barrières du foie » raconte Dominique Franco.
« C’est une des raisons pour lesquelles nous nous orientons plutôt vers l’utilisation de cellules souches que de cellules matures pour traiter les maladies du foie. Plus résistantes elles ont aussi la capacité de se diviser et de reconstruire l’organe lésé » poursuit-il.

Pour l’heure, impossible de mettre les cellules hépatiques en culture. Au bout de quelques divisions les tissus se transforment en fibroblastes, mais n’ont plus de fonctions hépatiques.
Pour que les cellules souches deviennent hépatiques elles doivent entrer en interférence avec les autres cellules du foie. On pourrait donc envisager de les mettre en culture dans un squelette bio-artificiel : « Il s’agirait là de prendre une partie du « squelette » d’un foie humain où les cellules hépatiques pourraient se développer au contact même de l’organe » raconte Henri Bismuth. D’où le principe de décellularisation d’une partie du foie, pour le récellulariser avec les nouvelles cellules hépatiques. Tout ceci est traité en dehors du corps humain, avant de réimplanter la partie de l’organe jadis malade, recellularisé.

« Nous avons déjà essayé de transplanter un foie recellularisé chez le petit animal. Cela ne marche que dans un temps limité, quelques heures tout ou plus. Il n’est donc pas question de donner de faux espoirs aux personnes en attente de transplantation ». Les médecins mettront encore plusieurs années avant les premiers essais cliniques.
Mais la première mondiale du professeur Martinod concernant la transplantation de bronche devrait donner un coup d’accélérateur à cette nouvelle forme de traitement.

Dominique Franco et Henri Bismuth, de gauche à droite
© Canal Académie

Henri Bismuth est Président de l'Académie Nationale de Chirurgie.
Précurseur et expert international reconnu dans le domaine Hépato-Biliaire, il a été l'un des rares chirurgiens dans le monde et parmi les premiers en France à lancer un programme de transplantation hépatique dans les années 1970. Henri Bismuth consulte à l'hôpital Paul Brousse de Villejuif.

Dominique Franco est professeur des Université Paris-Sud 11 - Faculté de Médecine, chef de service de chirurgie digestive et viscérale à l’hôpital Antoine Béclère à Clamart. Directeur d'une unité de recherche INSERM 972, il travaille plus particulièrement sur les cellules souches.

En savoir plus :

- Académie nationale de chirurgie

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