L’apologue du Pirée

Plus que jamais d’actualité... la chronique de François d’Orcival
François d’ORCIVAL
Avec François d’ORCIVAL
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

On aurait tort de penser le contraire : les Grecs travaillent très bien. Le seul problème est que ce soit avec un encadrement chinois. Exemple : le Pirée, l’un des tout premiers ports européens, admirablement situé sur la Méditerranée, ouvert sur le Bosphore avec ses accès vers l’Asie centrale et la Russie. Exaspéré par une gestion incohérente et des grèves à répétition, le gouvernement grec de droite avait cédé aux offres de service des Chinois et accordé, en 2008, à la China Ocean Shipping Co (Cosco) la concession des terminaux 2 et 3 du Pirée.

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Une transaction de 4,35 milliards d’euros pour trente-cinq ans. Premier armement chinois, la Cosco est le cinquième mondial et le second pour les conteneurs. Son ambition : devenir le leader et faire du Pirée le « Singapour de la Méditerranée ».

Parrainé par Hu Jintao en personne, l’accord de 2008 allait être ratifié par une majorité de droite en mars 2009. Les dockers du port étaient vent debout contre. Victorieuse aux élections suivantes, la gauche de Papandréou allait-elle suivre ses dockers ? Au contraire, elle confirma la concession, signa treize accords supplémentaires avec les Chinois et ouvrit une ligne aérienne Athènes Pékin. Le terminal 2 du Pirée, confié à la Cosco, était pleinement opérationnel au mois de juin 2010. Deux patrons chinois, une dizaine de cadres venus de Pékin pour l’ensemble des salariés. Pas de syndicat, pas de grève, une rémunération régulière, des investissements, l’automatisation. Sur le terminal resté grec, grèves, salaires mal payés, incertitude pour l’avenir.

La qualité du docker grec n’est pas en cause : c’est le système qui l’est. Et si droite et gauche grecques ont délégué aux Chinois la gestion de leur plus grand port, c’était pour en finir avec la pagaille. Les Chinois vont-ils ainsi permettre aux Grecs, à l’image du Pirée, de se prendre en mains ? Mais ce n’est pas gratuit ! Le patron de la Cosco, Wei Jiafu, l’a dit à Athènes en citant un proverbe chinois : « Construis le nid de l’aigle et l’aigle viendra. » « Ainsi vous allez attirer les aigles chinois, a-t-il ajouté, ce sera notre cadeau à votre pays. » La Grèce sera le premier terminal d’accès au marché européen des produits chinois. Les mêmes s’implantent au Havre et à Châteauroux. Ne devrait-on pas leur confier Marseille ? Les aigles chinois ne sont pas avares de « cadeaux ».

Le texte de cette chronique est paru dans Le Figaro Magazine du samedi 12 novembre 2011. Elle est reprise ici par son auteur, avec l’aimable autorisation de l’hebdomadaire. Les propos de François d’Orcival n’engagent que lui-même, et non pas l’Académie à laquelle il appartient ni l’Institut de France.

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