Muriel Mayette : Bérénice à la Comédie française

Après Andromaque, la passion racinienne de l’administrateur général du Théâtre français ne se dément pas...
Avec Jacques Paugam
journaliste

Après avoir monté "Andromaque" en 2010, Muriel Mayette met en scène, en cette fin d’année 2011, "Bérénice", une pièce de Jean Racine créée en 1670, -il avait alors 31 ans-, trois ans après le succès d’Andromaque. Jacques Paugam lui a demandé quelle réflexion dramaturgique elle poursuit ainsi en présentant, successivement, ces deux tragédies à la Comédie française.

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : carr836
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Muriel Mayette : C’est d’abord un rendez-vous avec l’auteur, un grand dramaturge et un grand musicien. Le solfège de l’alexandrin, une des beautés de la langue française, est le même dans les deux pièces. En revanche si Andromaque est une pièce fondée sur l’histoire de la guerre de Troie, Bérénice est une pièce beaucoup plus historique même si elle est romancée par Racine. Il le revendique en ajoutant une tierce personne : Antiochus. Dans Bérénice l’amour est consommé depuis longtemps et la vraie tragédie consiste à ne pas mourir de la séparation. Dans Andromaque, la mort est une délivrance, c’est le contraire. La musicalité qu’il propose est un lapsus permanent. Par exemple Titus dit : « Qu’ai-je fait pour l’honneur, j’ai tout fait pour l’amour ».
Nous passons par tous les sentiments, ce n’est pas une pièce d’action, c’est une œuvre « mentale » où la tragédie s’exprime seulement avec les mots.

Jacques Paugam : Ce qui frappe dans votre mise en scène, c’est le raffinement des décors ouverts, épurés, confrontés à l’extrême sobriété de la direction d’acteurs. Est-ce une manière de donner la primauté non seulement à la langue mais aussi à l’expression des cœurs et des âmes ?

M.M : Mettre en scène, ou jouer, veut surtout dire ne pas répondre. Il ne s’agit pas de donner sa version de qui est Bérénice et de qui est Titus. Mais que disent ces gens dans une situation tragique ? L’écriture de Racine nous donne accès à la complexité, à la contradiction des pensées.

Pour moi ce n’est pas un théâtre romantique où la douleur est montrée. Quand le rideau sera baissé, les personnages continueront à vivre séparés les uns des autres : « Que le jour recommence et que le jour finisse Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice Sans que de tout le jour elle puisse voir Titus ». Le génie musical, et poétique, de Racine est de mettre des mots sur l’indicible : la peur de ne pas être aimé par l’autre, la peur de perdre l’autre. La confrontation entre le cœur et la raison induit la dimension politique de la tragédie : les conseillers de Titus et d’Antiochus ignorent leurs sentiments. Ils continuent à travailler. Les héros, eux, souffrent, ils se figent dans le temps. Il y a un évènement majeur dans la pièce, Titus vient de perdre son père. Comme un enfant démuni il endosse une responsabilité qu’il n’avait pas imaginé endosser. Bérénice n’est pas dupe, elle a contribué à porter son amant sur le trône et les lois de Rome l’éloignent de lui. Il a aimé cette femme plus âgée, il lui a tout promis avant d’y renoncer pour le pouvoir. La vraie punition, c’est Bérénice qui l’énonce, elle affirme « je vivrai ». Et en intime l’ordre à Antiochus : « Vivez ». C'est-à-dire restons vivants même si quelque chose est mort en nous.

J.P. : Pourquoi choisir pour incarner Bérénice une actrice d’âge mûr, l'excellente Martine Chevallier, dont nous nous demandons comment elle peut inspirer une passion aussi violente à un empereur et à un prince ?

M.M : C’est une actrice géniale, Je l’adore ! Et puis vous savez l’amour ce n’est pas simplement une jeune fille amoureuse d’un jeune homme. Le vrai, l’amour le plus fort, est dans des êtres dont on ne peut pas imaginer qu’ils vivent une passion torride. L’amour est d’autant plus profond s’il ne s’agit pas de beautés jeunes et glacées. L’amour n’est pas uniquement physique. Historiquement Bérénice était plus âgée que Titus,elle lui a appris la vie et la sensualité. Au-delà de la sensualité, il y a toutes les dimensions de la maman, de la compagne intellectuelle, de l’amie, de la sœur.

Muriel Mayette, administrateur de la Comédie-Française


J.P : Vous venez d’être reconduite dans vos fonctions au sein de la maison de Molière. Elle s’est rarement si bien portée. Quelles inflexions souhaitez-vous donner à votre second mandat ?

M.M : J’ai très envie de poursuivre les chantiers ouverts avec la troupe. D’abord la conquête de nouveaux territoires, la lecture d’un spectacle dépend fondamentalement du lieu dans lequel on le lit. On va disposer de cette salle à l’Opéra Bastille attribuée par le ministre de la culture. Ce sera la possibilité d’avoir rendez-vous avec d’autres esthétiques écartés, jusqu’à présent, par les contraintes de l’alternance.
Aujourd’hui l’art du spectacle, le théâtre, s’est enrichi d’autres formes artistiques comme la vidéo, la musique, la chorégraphie ou, plus récemment, les marionnettes.

J.P : Fidèle à sa tradition itinérante, la troupe va se rendre en Asie pour jouer « Le Malade imaginaire ». Un évènement extraordinaire car pour la première fois la Comédie française va jouer en Chine. Participez-vous ainsi au rayonnement de la France dans le monde?

M.M : Je pense qu’on doit accompagner notre politique française à l’étranger car nous représentons la grande culture française, l’un des rayonnements de notre pays : les arts permettent un dialogue émotionnel. Si nous arrivons à faire rire les chinois avec cet auteur universel nommé Molière, ce serait l’ouverture la plus favorable qui soit à des discussions plus complexes entre nos deux pays.

J.P : C’est une mission de service public ?

M.M : Tout à fait.

J.P : Il faut préciser que vos représentations sont surtitrées.

M.M : Nous sommes allés dans dix pays de l’est de l’Europe à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne et nous avons traduit nos textes en dix langues. En Chine Nous serons surtitrés en chinois et en anglais.

J.P : Muriel Mayette merci et tous nos vœux de réussite pour ce second mandat. Je rappelle que nous pouvons voir Andromaque, en alternance, salle Richelieu jusqu’au 7 novembre 2011 à Paris et Bérénice, en alternance, également salle Richelieu jusqu’au 27 novembre 2011 et ensuite en tournée.

Cette interview a été réalisée par téléphone.

En savoir plus :

Muriel Mayette, comédienne, metteur en scène et professeur au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, est rentrée à la Comédie-Française en 1985, où elle est devenue sociétaire dès l’âge de 23 ans. Sa carrière d’actrice, mise entre parenthèses depuis sa nomination comme administrateur général, s’est notamment distinguée par des rôles dans Huis Clos (Sartre), Les Bonnes (Genet) ou encore L’Avare (Molière).
Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres, elle a également à ce jour réalisé huit mises en scène. Nommée administrateur général de la Comédie-Française en août 2006, elle est la première femme à occuper la tête de cette institution tricentenaire.

Mises en scène :

- Clitandre (Pierre Corneille), 1996
- Chat en poche (Georges Feydeau), 1998
- Une Douche écossaise (Philippe Collas et Éric Villedary), 1998
- Le Conte d'hiver (William Shakespeare), 2004
- Le Retour au désert (Bernard-Marie Koltès), 2007
- Soirée René Char, 2007
- La Dispute (Marivaux), 2009
- Mystère Bouffe et fabulages (Dario Fo), 2010

Retrouvez les autres émissions avec Muriel Mayette sur Canal Académie:

- Rencontre avec Muriel Mayette, administrateur de la Comédie-Française

- Andromaque et Racine, le choix de Muriel Mayette pour la Comédie française

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