Edvard Munch, l’oeil Moderne, au musée Pompidou à Paris

Jacques-Louis Binet, correspondant de l’Académie des Beaux-Arts, retrace le parcours et les thèmes préférés de l’artiste
Avec Jacques-Louis Binet
Correspondant

Dans cette rétrospective, remarquablement organisée au musée Pompidou pour mettre en valeur la modernité ou l’actualité de Munch, qui est déclinée en douze parties ( Prologue et Reprises, Autobiographie, L’espace optique, Compulsion, Rayonnements, Cinéma, Le monde extérieur, Dessiner- Photographier, Troubles de la vision, le regard retourné), quatre originalités serviront de fil rouge dans ce parcours très didactique : la méthode de travail très personnelle de Munch, ses recherches sur le rayonnement, sa découverte de nouveaux espaces et la répétition des autoportraits, jusqu’à ceux de l’œuvre ultime. Jacques-Louis Binet se fait notre guide dans ce parcours.

C’est par la Méthode particulière de Munch, que commence l’exposition sans se soucier de l’ordre chronologique, l’obsession d’un même thème, sa reprise qui peut se prolonger pendant des années : entre 1896 et 1914, six tableaux de l’Enfant malade, sept versions des Trois jeunes filles sur un pont de 1905 à 1934, une dizaine de Vampires de 1893 à 1916, Deux êtres humains de 1905 se retrouvent en 1933 et il en est de même pour La Puberté et Le Baiser. Munch ne recopie pas la première œuvre, il la transforme et tente de l’améliorer. Ce travail de mémoire, cette évocation d’un souvenir peuvent faire effacer le motif initial et pour L’Enfant malade, on a longtemps cru qu’il avait été suscité par la mort de sa sœur, mais il s’agissait d’une enfant de onze ans aperçue, lorsqu’il accompagnait son père médecin et qui deviendra pus tard un de ses modèles.

Rosa Meissner à l’Hotel Rohn, Warnemünde, 1907 Epreuve gélatino-argentique 8,7 x 7,3 cm
© Munch Museum \/ Munch-Ellingsen Group \/ BONO 2011<br /> © Adagp, Paris 2011

Femme en pleurs, 1907 Huile sur toile 121 x 119 cm
© Munch Museum \/ Munch-Ellingsen Group \/ BONO 2011<br /> © Adagp, Paris 2011


Parfois l’origine reste méconnue comme pour l’ensemble regroupé sous le titre de Compulsion, avec six tableaux, une photographie, une lithographie, et un cliché de Rosa Meissner, qu’il avait fait venir de Berlin à Warnemünde où il a travaillé à partir de mai 1907. L’origine de ce nu, de profil, debout, marchant devant un lit, tête basse et intitulé Femme en pleurs ? L’environnement, avec un lit, un angle de pièce, un plafond bas est celui d’un scène de théâtre ( il sortait du
sous-sol du Berliner Kammerspiele, où il créait pour Max Reinhardt, les décors des pièces d’Ibsen) aurait pu, avec le lit défait sur le cliché, se rattacher à l’érotisme et ses amours tumultueux avec Tulla Karsen, dix ans plus tôt. Mais cette femme pleure et le lit est remis en ordre sur les peintures et renvoie plutôt à la maladie, la mort, dont le thème est sans cesse évoqué. Munch avait même pensé faire déposer la sculpture sur sa tombe.

Dans ses multiples séries, Munch, très vite, recherche, non pas l’accord, l’opposition ou le désaccord des couleurs, mais l’éclat, le reflet, le scintillement, le rayonnement. Il s’intéressera beaucoup à ses aspects physiques, les ultraviolets solaires, les ondes magnétiques, la radioactivité, les rayons X.

Le Soleil, 1910-13 Huile sur toile 162 x 205 cm
© Munch Museum \/ Munch-Ellingsen Group \/ BONO 2011<br /> © Adagp, Paris 2011

Il ne résiste pas au plaisir de se faire radiographier la main. Il croit aux effets médicaux bénéfiques de l’électricité et du soleil.
Ce rayonnement va transfigurer deux toiles, Le Soleil, de 1910 et 1913 pour l’université d’Oslo, et La Nuit étoilée de 1922-1924. Il apparaît aussi sous forme d’auras autour des portraits (Igeborg aux mains derrière de 1912-1913).

Il renvoie à l’œil, qui n’est plus un organe passif de transcription, mais dont l’activité productive serait source d’énergie et «semblable à la lumière, (…) créé par la lumière, de sorte que la lumière intérieur vient à la rencontre de la lumière extérieure», écrit-il ;
Enfin il transforme l’espace, le rendant, comme l’œil, circulaire sous le soleil et dans la nuit, brisé par des contre-jours ou transparent (Femmes au bain, de 1917) ou plan, dans la couleur blanche (L’Homme à la luge 1910-1912, Enfants dans la neige, 1910-1915).

Neige fraîche sur l’avenue, 1906 Huile sur toile 80 x 100 cm
© Munch Museum \/ Munch-Ellingsen<br /> Group \/ BONO 2011<br /> © Adagp, Paris 2011

Munch crée, ainsi, de nouveaux espaces. On a beaucoup évoqué l’influence de la photographie ou du cinéma, pour expliquer l’apparition de ces nouveaux espaces, mais en réalité, ils ne s’observent pas dans les clichés pris simultanément, car il s’agit d’espaces purement picturaux. Bien évidemment, Munch reste fidèle à la perspective, mais en la modifiant un peu, dans les troncs d’arbre qui se croisent sur Le Tronc jaune (1912), dans ses longs chemins, qui répondent, mais incomplètement au règles fixées depuis la renaissance, comme dans La Neige fraîche sur l’avenue(1906), où les arbres qui la bordent ne sont plus symétriques, et cette asymétrie est soulignée par les variations de formes des nuages qui terminent de chaque côté cette route enneigée. Même courbe sur la route du Meurtre sur la route (1919) ou le zigzag de la voie qui passe devant La vigne vierge rouge (1898-1900). C’est surtout dans les mouvements que s’efface la perspective, celui du Cheval au galop (1910-1912), ou de la marche dans le portrait de Thorval Lachen. Comme les pieds du Fifre de Manet, ils ne reposent sur rien, les sabots du cheval n’ont pas d’assise, et les chaussures de l’avocat s’appuient sur leurs reflets. Nous retrouvons l’espace de l’infini, l’espace abyssal, décrit par Pierre Schneider à propos du Radeau de la méduse, et de La Mer chez Manet ou des Branches d’amandier de Van Gogh.

Autoportrait, 53 quai Am Strom, Warnemünde, 1907 Epreuve gélatino-argentique 9 x 9.4 cm
© Munch Museum \/ Munch-Ellingsen Group \/ BONO 2011<br /> © Adagp, Paris 2011

Mais le vrai sujet de Munch reste lui-même, ses Autoportraits, peints, dessinés ou photographiés, pendant son hospitalisation volontaire dans la clinique du docteur Jacobsen en 1908 et 1909, pendant la grippe espagnole, pendant sa solitude de somnambule dans sa maison d’Ekely en1923. Puis il observe et peint, après une hémorragie du vitrée en 1930 la vision intérieure « entoptique » de l’œil droit atteint d’une hémorragie du vitrée, ou apparaissent, à l’intérieur d’un anneau circulaire, une tête de mort ou des oiseaux. Ce sont enfin, entre 1940 et 1944, la lutte contre la mort, les deniers autoportraits de l’œuvre ultime, Entre l’horloge le lit, une chambre claire ou sont réunis ses tableaux ; une porte qui donne sur une pièce sombre et un sol qui se dérobe, car il n’est fait que de reflets. Dernière image, dans le même espace de l‘infini, Munch, suivi de son ombre, veut se lever de son fauteuil : Deux heures et quart du matin. Il meurt la même année.

Autoportrait. Entre l’horloge et le lit, 1940-43 Huile sur toile 149,5 x 120,5 cm
© Munch Museum \/ Munch-Ellingsen Group \/ BONO 2011<br /> © Adagp, Paris 2011


Jacques-Louis Binet

En savoir plus :

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- Consultez les horaires d'ouverture de l'exposition "Edvard Munch, L'Oeil moderne" sur le site du Centre Pompidou

- Visitez le site du Munch Museum (textes en anglais), installé à Oslo en Norvège.

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