Les fouilles de l’Ecole française d’Athènes à Thasos : 1920, l’année charnière (2/2)

Par Dominique Mulliez, correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres
Avec Dominique MULLIEZ
Correspondant

Canal Académie vous propose d’écouter la communication donnée par Dominique Mulliez lors du colloque Un siècle de fouilles de l’École française d’Athènes à Thasos, organisé à l’Institut le 24 juin 2011. L’ancien directeur de l’École française d’Athènes dresse le bilan de cette aventure, compliquée par les vicissitudes de l’histoire.

A la fin de sa communication, au moment de tirer le bilan d'un siècle de fouilles «effectuées sous l’autorité du Service archéologique grec et souvent en étroite collaboration avec lui», Dominique Mulliez fait part de la fascination du chercheur découvrant et reconstituant pas à pas l'organisation d'une cité, comme les pièces d'un puzzle :

«L’exemple le plus net est celui du passage des Théores, d’abord considéré comme une chambre (sans porte ni fenêtre !) par Emmanuel Miller (1864), puis comme l’entrée d’un monument (1912), puis comme l’entrée du Prytanée (1913). Ce n’est qu’en 1954 que l’on parle du « Passage des Théores », qu’en 1981 que l’on comprend que ce passage met en communication deux espaces publics, qu’en 1999 que l’on découvre qu’il garde la mémoire d’une entrée primitive de la ville et, par là-même, qu’il relève du même programme architectural et iconographique que l’enceinte urbaine aux portes sculptées.»

Cet extrait de sa communication en dit long, sur les hommes comme sur les dates. La chronologie d'abord. Certes, l’École française d'Athènes (EfA) célèbre en cette année 2011 le centenaire de sa présence à Thasos, objet même de la réunion de ce colloque au palais de l'Institut. Mais comme le souligne Dominique Mulliez, il convient de remonter plus d'un demi-siècle en arrière, en 1856 précisément, date du voyage d'étude à Thasos de Georges Perrot, membre de l'EfA, qui en tirera un livre, Mémoire sur l'île de Thasos, paru en 1864.

Emmanuel Miller, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, un des pionniers de l’aventure à Thasos

1864 est aussi l'année où Emmanuel Miller, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres (on peut lire son éloge funèbre dans les comptes-rendus de cette Académie, en séance du 15 janvier 1886), entreprit la fouille de ce qu'il croyait être « la grande chambre de Thasos », et qui était en fait, on ne le découvrit qu'en 1954, le «Passage des Théores», comme on l'a vu plus haut. Suivirent alors de nombreux autres voyages d'étude jusqu'à celui de 1910, réalisé par Charles Picard et Adolph Joseph Reinach.

1910 : le voyage décisif

«De retour en France, Charles Picard convainquit le directeur de l’École, Maurice Holleaux, de « l'intérêt qu’il y aurait à commencer à Thasos une exploration méthodique ». Les démarches furent entreprises, l’autorisation de fouiller fut cette fois accordée par un firman en avril 1911 et la première campagne eut lieu en mai et juin de la même année. On devine, à travers les rapports et les archives, « les difficultés inévitables à toute entreprise à ses débuts », mais auxquelles s’ajoutèrent la situation politique et administrative de l’île et le morcellement des propriétés : il fallait en effet négocier avec le khédive égyptien pour les wakoufs, solliciter les couvents de l’Athos, passer contrat avec les propriétaires.»

Dès lors commençait l'entreprise des campagnes de fouilles systématiques, qui continue de nos jours et qui fut arrêtée quelquefois dans sa course par des événements tragiques. Ainsi, trois ans seulement après leurs débuts, les travaux furent interrompus par la guerre, qui fauchera «trois des quatre fouilleurs de la première heure» : A. J. Reinach, Gustave Blum et Charles Avezou.

Le temps des «diadoques»

Dans la seconde partie de sa communication, intitulée «Les diadoques» (du grec diadokhos, «successeur»), Dominique Mulliez insiste sur la rupture que représente l'année 1920 : «A bien des points de vue, l’année 1920 constitue une date-charnière : même si son ombre tutélaire plane sur les fouilles, Charles Picard, devenu directeur de l’EfA, ne participe que pendant deux semaines à la campagne de 1920 et une nouvelle génération de chercheurs fait son apparition».

Parmi ces diadoques, Dominique Mulliez cite les noms de Georges Daux, Alfred Laumonier, Henri Seyrig, Yves Béquignon, Antoine Bon, Marcel Launey et Pierre Devambez, qui eut l'insigne honneur de voir une rue de Thasos porter son nom et dont on peut lire la Notice sur sa vie et ses travaux que lui consacra Jean Pouilloux, son confrère à l'Académie des inscriptions et belles-lettres.

Le même Jean Pouilloux qui appartenait à la génération suivante, avec Ernest Will, Roland Martin, Jacques Tréheux, mais aussi François Chamoux, Charles Delvoye, André Dessenne, Georges Roux, Pierre Lévêque et Christiane Dunant. Après, conclut Dominique Mulliez, «on entre dans le monde des vivants et à vouloir les citer tous, je cours le risque d’en oublier un».

Pour en savoir plus

- Dominique Mulliez a été directeur de l'Ecole française d'Athènes de 2002 à juin 2011. Né en 1952, il est correspondant de l'Académie des inscriptions et belles-lettres depuis le 19 juin 2009.

- Le site de l'Ecole française d'Athènes.

- Georges Perrot, Mémoire sur l'île de Thasos, 1864 (rééd. 2010).

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