À Lorette, en Italie, la plus extraordinaire relique de la chrétienté

L’académicien Yves-Marie Bercé présente l’histoire du pèlerinage à la Sainte Maison de la Madone
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Yves-Marie Bercé, membre de l’Académie des inscriptions et belles lettres, présente son dernier ouvrage. Lorette fut pendant les trois siècles de l’Âge moderne le plus fameux et le plus fréquenté des lieux de pèlerinage du monde occidental. Pourquoi cette petite ville sur l’Adriatique possède-t-elle la plus extraordinaire relique de la chrétienté ? Pourquoi Lorette est-elle devenue un lieu témoin de la gloire de nos Rois Très Chrétiens ? Et enfin quels nouveaux éléments - inédits jusqu’à nos jours - Yves-Marie Bercé révèle-t-il dans son ouvrage ?

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : pag968
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_ La basilique de Lorette préservait dans son enceinte les murs de l’humble maison de briques que, dit-on, la Vierge Marie avait habitée à Nazareth et où elle avait reçu de l’ange Gabriel l’annonce qu’elle allait être la Mère du Sauveur.
Cet endroit, lié directement au mystère de l’Incarnation et à l’existence terrestre de Jésus, était donc plus vénérable que tout autre, plus sacré que Rome où l’on visitait le tombeau du premier apôtre, plus certain qu’aucune relique des instruments de la Passion dispersés dans diverses cathédrales de l’Europe, plus universel que tous les sites célèbres d’apparitions ou de miracles.
Des anges auraient apporté cette petite maison en Italie dans la nuit du 9 au 10 décembre 1294...

La maison de Nazareth dans les Marches

Il semble possible de dire que l’histoire de la translation fabuleuse de la Sainte Maison et de sa présence dans la chapelle de Lorette était accréditée vers 1460, et peut-être même dix ou vingt ans plus tôt.
En 1488, l’évêque de Recanati (cité voisine) confia la desserte du sanctuaire, désormais singulièrement protégé par le Saint-Siège, à une congrégation de Carmes réformés.

L’histoire connut alors la grande audience que permettait l’essor de l’imprimerie, dépassant les Marches, éclipsant le prestige d’autres sanctuaires mariaux d’Italie centrale, traversant les Alpes, s’étendant à tout le monde chrétien puisqu’on sait qu’en février 1493, les marins de Christophe Colomb dans une tempête du voyage de retour vers l’Europe s’adressèrent à la Vierge de Lorette.
Par la bulle In sublimis, le 21 octobre 1507, Jules II plaça Lorette sous la tutelle directe du Saint Siège. Ce texte, toutefois, conservait au récit marial le statut non pas d’article de foi mais de pieuse et respectable tradition.

Tout fidèle catholique parcourant la péninsule italienne avait à cœur de venir prier dans la Sainte Maison.
Ainsi parmi la cohorte innombrable des pèlerins, on découvre les noms de Montaigne, Galilée et Descartes. On y relève aussi plusieurs fois des émissaires des rois et des reines de France venus demander en grâce à la Vierge de Lorette la naissance d’un héritier, et, en effet, Anne d’Autriche se tint pour redevable envers la Madone des Marches pour la venue au monde de son premier fils, le futur Louis XIV.

La Vierge des Pèlerins Le Caravage
Marie accueille les pèlerins au seuil de sa maison, c’est-à-dire à Lorette, dont le décor est évoqué par les modénatures du marbre et les écorchures des briques. Les pieds sales de l’homme suggèrent qu’il a fini le parcours pieds nus, sans pauvreté particulière que démentiraient sa chemise blanche, son chaperon de bonne toile et son gilet de peau.

Les rois de France à Lorette

Catherine de Médicis et Marie de Médicis développèrent le culte de Lorette au sein de la famille royale française.
Henri III et son épouse, Louise de Vaudémont, comme Louis XIII et Anne d’Autriche envoyèrent de nombreuses offrandes extraordinaires. Les dévotions et les présents des rois de France à Lorette étaient plus commentés et admirés que tous autres dons princiers.
L’histoire particulière du saint roi de France Louis IX était liée, à la fois à Lorette et à la chronique des Lieux Saints.
Le souvenir de ce roi merveilleux se devinait encore sur les murs de la Sainte Maison de Lorette dans des peintures maladroites et abîmées.
Louis XIII était fier de sa filiation nominale. Henri IV, en donnant le prénom de Louis à son fils aîné, avait voulu affirmer un lien avec cet ancêtre prestigieux, qui apportait à travers les siècles à la fois la légitimation politique et un prestige sacré. Saint Louis, disait-on, a légué à ses descendants « la vénération à la Sainte Vierge et à la Sainte Maison, comme prérogative de sang des Bourbon ».

L’espace de Lorette

Le culte de la Sainte Maison est apparu aux siècles modernes dans une région prospère et ouverte sur le monde. Il a certainement reçu de cet environnement une force particulière.
En même temps, il produisait des institutions, des comportements et des chaînes d’images dotés d’une merveilleuse dynamique. Ce rayonnement se mesure différemment dans le temps et l’espace. La réputation de Lorette dessinait d’abord une aire couvrant les pays des Marches et puis le pourtour de l’Adriatique avant de paraître universelle et de s’adresser au monde entier. Lorsque l’attraction fut maximale, de 1550 à 1650, elle s’étendait effectivement aux limites du catholicisme.

Au cours du XVIIe siècle, un clivage se devinait : tandis que les responsables de l’Œuvre, à Lorette, constataient un relatif déclin des pèlerinages classiques, le culte de la Madone de Lorette connaissaient un grand élan dans les terres catholiques de l’Allemagne et aussi dans les pays des slaves du Sud.
Ensuite, aux XVIIIe et XIXe siècles, le prestige de la Sainte Maison a continué à encourager les prières et à susciter un nombre considérable de chapelles et de toponymes, au-delà des mers, à travers les pays et les continents.

Il est certain que de nos jours la dévotion à la Sainte Maison a perdu beaucoup de sa fabuleuse dynamique ; la plupart des habitants des paroisses qui, à travers le monde – dont celle du IXe arrondissement de Paris - portent ce nom viennent à en ignorer même l’origine.

Postface pour une interprétation possible

Aux yeux de la critique la plus positiviste, le transport par mer de charges de pierres à la fin du XIIIe siècle n’a rien d’impossible.
Des exemples de démontage de monuments entiers et de transferts pondéreux et dispendieux ne manquent pas. Le remploi d’éléments d’architecture antique était pratiqué partout. Le voyage de pierres emportées de Terre sainte se rencontre également chez les Musulmans, exactement dans le même contexte, et aux mêmes dates.

Yves-Marie Bercé conclut ainsi cette interview et son livre : « Je pèse mes mots. Il me semble que la vraisemblance historique conforte la tradition. Le transfert de matériaux d’un édifice à un autre, même très lointain, était une pratique commune. De surcroît, on a la preuve que le thème de la translation miraculeuse était connu des scholastiques dès 1295. Il est donc très possible que les trois murs de maçonnerie grossière conservés dans la basilique de Lorette puissent provenir, en totalité ou seulement en partie, de la chambre du bâtiment qui passait, au XIIIe siècle, à Nazareth, pour avoir été la maison de la Vierge Marie. »

En savoir plus :

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- Écoutez aussi Les mots des religions « Vierge Marie »

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