Abrégé ou épitome ?

Le lexicologue Jean Pruvost aborde la question des abréviations
Avec Jean Pruvost
journaliste

Jean Pruvost donne dans cette rubrique une petite leçon sur l’art "d’acourcir". Car l’abréviation, si présente dans les dictionnaires, ne pouvait demeurer absente des chroniques d’un lexicologue.

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots588
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_ « Abréger s.m. acourcir. La débauche abrège les jours » déclare sans sourciller en 1680 Richelet, l’auteur du Dictionnaire françois, notre premier dictionnaire monolingue. Certes, dans le jeu plaisant des renvois d’une définition à une autre, il n’est pas sans saveur de repérer que pour l’article « acourcir », rendre plus court, Richelet a choisi d’ajouter qu’« il ne faut pas alonger ce qu’on peut acourcir ». Il empruntait ici en réalité une citation à Vaugelas, grammairien classique du bon usage s’il en est. Et le style classique est concis ou il n’est pas !

En 1690, dans son Dictionnaire universel, Furetière allongeait cependant un peu sa courte définition de l’abrégé, « sommaire, épitome », en ajoutant qu’« on dit aussi un abrégé des merveilles du monde, quand on veut bien louer une chose, ou une personne qui a toutes sortes de perfections ». Avouons néanmoins que dire à la personne que l’on aime qu’elle est « un abrégé de l’univers », ce serait peut-être un peu court aujourd’hui, mais on la surprendrait assurément en lui susurrant qu’elle représente un « épitome » de tout ce qu’il y a de plus beau…

« Épitome, abrégé. […]. Un petit épitome » avait déjà avancé Richelet. Ce mot, aujourd’hui oublié, a été emprunté au grec et il a désigné plus spécialement des précis d’histoire sainte rédigés en latin et servant autrefois de manuels aux élèves apprenant le latin. En 1801, Crévecœur l’utilisera cependant encore de manière classique en comparant le jardin et la terre de l’un de ses personnages à « un épitome du continent ». L’abrégé gardait tout son suc. C’est que l’abrégé avait davantage les qualités d’un merveilleux condensé que celles d’un résumé sans relief. Mais le verbe, lorsqu’il est conjugué à l’impératif, a toujours pâti d’une tonalité moins agréable. Ainsi, Furetière, pourtant ordinairement bavard, rappelle qu’« on dit aussi Abrégez, quand un supérieur est ennuyé d’un discours trop prolixe qu’on luy fait ».

Alors, obtempérons et, pour conclure, disons le tout de suite, on espère que ce « petit épitome » (Richelet avait-il pris conscience de ce pléonasme ?) sur l’abrégé, vous aura donné envie d’allonger la conversation.

Jean Pruvost

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise et où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.

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