Henri IV, « homme de lettres » : épistolier et écrivain

avec Jean-Pierre Babelon, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Jean-Pierre Babelon, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, présente Henri IV, Lettres d’Amour et Écrits Politiques, avec quelques lettres reçues par le Roi et son recueil qui réunit les plus belles missives du Bon Roi Henri. Par tempérament autant que par nécessité Henri IV s’est exprimé par l’écrit avec une stupéfiante abondance et un réel talent.

Le Roi Bourbon, homme de communication et homme d’esprit, serait-il, aussi, un écrivain français ?

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : pag941
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_ L'abondance des lettres du Roi, écrites ou dictées est confondante, affirme Jean-Pierre Babelon. Elle ne se compare, dans les siècles passés, qu'à celle de Napoléon Ier (32 volumes dans l'édition du Second Empire). Cette masse écrite constitue un extraordinaire témoignage sur un homme du XVIe siècle. Elle apporte de l'intérieur une riche connaissance de l'être, et comme elle est faite de matériaux bruts, arrachés à leur auteur par l'impérieuse nécessité du moment (guerre, politique ou amour), il s'y mêle peu de complaisance, peu de composition, et presque rien d'un appel au jugement de la postérité. Dans ces conditions, il n'est pas aventureux d'affirmer que nous connaissons mieux Henri IV que l'homme de son temps qui s'est le plus raconté, Michel de Montaigne.

...avec quelques lettres reçues par le Roi

Jean-Pierre Babelon poursuit en expliquant que la correspondance est par essence un dialogue et la présentation univoque de celle-ci, au bénéfice d'une unique signature, lui retire évidemment une dimension majeure en accentuant artificiellement son aspect d'œuvre littéraire. Il lui a donc paru utile d' « appeler à la barre des témoins » certains des correspondants les plus habituels du Roi : quelques lettres de Jeanne d'Albret (sa mère), Catherine de Bourbon (sa sœur), Catherine de Médicis (sa belle-mère), Marguerite de Valois (sa première épouse), de la Reine Marie de Médicis, du dauphin Louis, de ses maîtresses, etc. répondent aux missives du Navarrais.

Le Béarnais, homme de communication et homme d'esprit

Engagé dans un difficile combat pour faire valoir ses droits auprès d'une population hostile, Henri doit gagner la confiance par ses déclarations pacificatrices. Les relations avec le parti protestant, les princes, les assemblées politiques et religieuses, les compagnons d'armes, exigent une correspondance incessante pour expliquer le bien-fondé des actions entreprises, répondre aux reproches et maintenir les fidélités.
Les lettres à Corisande, vrais bulletins militaires, nous renseignent mieux que toute autre correspondance sur la succession des opérations entre 1585 et 1589.
Le siècle des Lumières a beaucoup apprécié les anecdotes - tant racontées et finalement mises sur la scène du théâtre - et les trésors spirituels que recelaient les lettres du Béarnais.

Henri IV écrivain?

« Écrivain de métier, non, écrivain par l'inspiration naturelle, sans doute » précise Jean-Pierre Babelon.
Agrippa d'Aubigné, Malherbe, Voltaire, Sainte Beuve, Proust ont loué le charme, la vivacité du style du Roi. Les uns et les autres ont admiré, aussi, son talent pour composer ses idées, mettre en place ses arguments, tenir son lecteur par le mouvement, la progression, la surprise, le trait qui enlève l'acquiescement.
Nulle expression plus parfaite de ce sentiment de la nature habitée que la fameuse lettre, unanimement considérée comme son chef-d'œuvre, décrivant l'île de Marans à Corisande de Gramont, sa maîtresse :

« La Rochelle, 17 juin 1586
[…] J'arrivais arsoir de Maran, où j'étais allé pour pourvoir à la garde d'icelui. Ha ! Que je vous souhaitai ! C'est le lieu le plus selon votre humeur que j'aie jamais vu. Pour ce seul respect suis-je après à l’échanger [à l'acquérir par échange]. C'est une île renfermée de marais bocageux où, de cent pas en cent pas, il y a des canaux pour aller chercher le bois par bateau. L'eau claire, peu courante ; les canaux de toutes largeurs ; les bateaux de toutes grandeurs.
Parmi ces déserts, mille jardins où l'on ne va que par bateau. L'île a deux lieues de tour, ainsi environnée. Passe une rivière par le pied du château, au milieu de bourg, qui est aussi logeable que Pau. Peu de maison qui n'entre de sa porte dans son petit bateau. Cette rivière s'étend sur deux bras, qui portent, non seulement grands bateaux, mais les navires de cinquante tonneaux y viennent. Il n'y a que deux lieues jusqu'à la mer. Certes c'est un canal, non une rivière. Contre-mont vont les grands bateaux jusques à Niort, où il y a douze lieues ; infinis moulins et métairies insulées ; tant de sortes d'oiseaux qui chantent, de toute sorte de ceux de mer. Je vous envoie des plumes. De poisson, c'est une monstruosité que la quantité, la grandeur et le prix ; une grand carpe 3 sols, et 5 un brochet. C'est un lieu de grand trafic, et tout par bateaux.
La terre très pleine de blé et très beaux. L'on y peut être plaisamment en paix, et sûrement en guerre. L'on s'y peut réjouir avec ce que l'on aime, et plaindre une absence. Ha ! Qu'il y fait bon chanter!
»

Jean-Pierre Babelon
© Canal Académie

Jean-Pierre Babelon note qu'après l'admiration du site naturel et des bienheureuses fécondités de la terre et des eaux, le Vert-Galant rêve au repos du guerrier !
Mais il ajoute que, dans l'univers mental du Roi, à côté de sa propre personne toujours présente et mise en scène avec une évidente complaisance, il est un autre acteur des destinées humaines, sans cesse nommé, sans cesse invoqué, c'est Dieu.
Les récits et les écrits d'Henri IV convergent pour attester d'une fidélité permanente au Dieu de la Bible, exprimée avec la même force quand il était protestant et quand il était catholique.

Conservées dans les familles comme des reliques les lettres de l'homme-roi sont parvenues jusqu'à nous en très grand nombre, elles sont en quelque sorte la respiration de sa pensée.

Pause musicale : Pierre Guédron

En savoir plus :
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