Georges-Henri Soutou : Le nouveau système international

Une communication à l’Académie des sciences morales et politiques
Georges-Henri SOUTOU
Avec Georges-Henri SOUTOU
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Le 6 juin 2011, Georges-Henri Soutou, spécialiste de l’histoire des relations internationales, a prononcé une communication intitulée "le nouveau système international", devant ses confrères de l’Académie des sciences morales et politiques. Invitant à une réflexion sur le rôle des Etats dans la mondialisation actuelle, il distingue deux sphères, celle des relations internationales et celle des relations transnationales. Après la guerre froide, quels équilibres, quelles relations bipolaires, quelles confrontations ou quelles coopérations faut-il désormais envisager ?

Le texte ci-dessous n'est qu'un bref aperçu de la communication de M. Soutou. Il est conseillé d'écouter sur Canal Académie la totalité de ses propos et de lire l'intégralité du texte sur le site de l'Académie (lien en bas de cette page).

Georges-Henri Soutou a commencé sa communication en s'interrogeant sur : « Qu'est-ce qu'un système international ? » et a rappelé qu'il examinait cette question en tant qu'historien, en tenant compte de la nouveauté de la recherche historique depuis les quinze dernières années. Ce que jadis on appelait « histoire diplomatique » est en effet devenu « histoire des relations internationales ».

Puis il a développé plusieurs points :

- la notion de système imparfait ou dégradé et l'évolution du système depuis 1990 (équilibres, structures, valeurs) :
« Le système international suppose, pour fonctionner sans crises majeures, un minimum d’équilibre, de structures, de valeurs partagées. » Immédiatement, l'historien précise : « J’ai dit : un minimum. Un système international ne vise pas à la perfection. Comme le disait Jacques Bainville : “Les choses s’arrangent, mais mal”.... On peut dire que le système international se dégrade quand l’équilibre n’est plus que celui qui s’établit entre des puissances ou des groupes de puissances opposés, et ne repose plus sur la coopération internationale et la compatibilité au moins relative des objectifs nationaux ; quand les structures sont vieillies ou sclérosées par rapport à l’évolution du monde ; quand les valeurs communes sont réduites à un minimum abstrait et sans réel dynamisme. Cette dégradation ne produit pas forcément à elle seule une crise majeure, mais elle peut en préparer le terrain, surtout si les objectifs des différents acteurs deviennent absolument incompatibles. C’est un aspect à garder à l’esprit dans la crise actuelle, qui n’est pas seulement une crise financière ou économique mais aussi une crise d’adaptation difficile des structures et des politiques aux nouvelles réalités internationales découlant de la mondialisation. »

- Il existe - et il a toujours existé au moins depuis le XVIIème siècle - deux sphères à l'intérieur du système mondial : celle des relations internationales entre les États, et celle des relations transnationales qui ne sont pas ou peu concernées par les frontières ou les politiques respectives des gouvernements. Il existe donc une sphère « non étatique » qui est en train de se développer. L'historien rappelle d'ailleurs que le système des États, et encore plus celui des États-nations, n'a pas toujours existé. Bien entendu, les deux sphères ne sont pas totalement étanches l'une à l'autre et s'interpénètrent fréquemment comme il le démontre.

- Comment évolue le système international avec la mondialisation et la révolution des communications ?

« Les États sont souvent déconsidérés de nos jours, car ils perdent de fait une partie de leurs prérogatives traditionnelles sous le poids de la mondialisation. Et souvent, mal constitués dans des frontières établies par l’histoire ou plus récemment par la colonisation européenne, et pas par la volonté des populations, ils sont contestés par leurs citoyens. Le paradoxe est que la communauté internationale continue, depuis la décolonisation et encore maintenant pour résoudre des crises régionales, à en créer de nouveaux, des Balkans au Soudan. Même inclus dans des ensembles plus vastes (la perspective de l’entrée dans l’Union européenne est, dans l’ex-Yougoslavie, un argument majeur et un moyen pour résoudre ou dépasser les problèmes issus de la partition) on estime que ces nouveaux États sont indispensables pour réorganiser les territoires concernés et pour permettre à leurs populations de vivre. Les nouveaux États n’ont d’ailleurs rien de plus pressé que de se faire leur place dans le système westphalien. On n’a encore rien inventé de mieux. Et les États-Unis continuent en fait à pratiquer le “Nation-building”, théorisé à l’époque du président Clinton, même s’ils se promettent régulièrement de ne plus le faire…
Inversement la plupart des conflits ou des tensions actuels sont liés, après les fortes oppositions géopolitiques et idéologiques des deux derniers siècles, au moins en grande partie aux problèmes posés par des “États faillis”, ou trop faibles. De la Somalie, à l’Irak, à l’Afghanistan, au Congo, les conflits que doit gérer l’ONU ne se produisent plus, comme encore dans les années 1980, entre des États, mais au sein d’États plus ou moins décomposés. Faut-il moins d’État au nom de la mondialisation et de la liberté des individus, ou plus d’État pour la stabilité et la paix ?
»

- La notion de gouvernance mondiale et les ambiguïtés des G (G7, G8, G20).
Quelle gouvernance mondiale est en gestation ? La souveraineté nationale n'a pas disparu mais elle n'est plus seule dominante. Les "G" ont le mérite d'exister malgré leurs défauts...

Voici la conclusion de cette communication :
« On voit donc bien qu’une compréhension plus profonde de ce qu’a été le système européen classique permet de mieux comprendre la nature du nouveau système international et de mieux cerner les conditions nécessaires pour la mise en œuvre des nouveaux équilibres, qui vont au-delà du simple équilibre des puissances. En particulier il faut admettre que les deux sphères, celle de l’interétatique et celle du transnational, s’interpénètrent et s’influencent réciproquement depuis toujours, c’est ma conclusion essentielle aujourd’hui.

En même temps on perçoit que l’évolution du système, la mondialisation, l’accroissement considérable du nombre de centres de décision importants, la multiplication des enjeux internationaux, la superposition et la multiplication de réseaux croisés de relations bi- et multilatérales mêlant étroitement considérations réalistes d'équilibre, structures diplomatiques et juridiques, et perceptions de valeurs, repose sur des paradigmes de plus en plus complexes, et que la stabilité du système ne peut pas être garantie à coup sûr. Les facteurs de tension se multiplient, un véritable “nouvel ordre mondial” est loin (35). La notion de “gouvernance mondiale” vise justement à construire cette stabilité, en reprenant au fond les catégories, autres que celles du pur équilibre mécanique, qui ont été rappelées tout au long de cette étude. (36)

Mais elle se heurte à la réalité d’un monde hétérogène, organisé autour d’un ensemble interétatique tenace mais potentiellement instable, et d’un ensemble non étatique polymorphe largement imprévisible. Les grands États, États-Unis en tête, sont désormais convaincus de la nécessité d’agir à la fois dans les deux systèmes. Tout cela n’annonce pas forcément un monde plus stable, d’autant plus que les règles du droit international et les grandes structures internationales telles l’ONU ont encore plus de mal à appréhender la sphère non étatique que l’autre. La fin de l’Histoire n’est pas pour demain… »

Toutes ces questions ont appelé, de la part du communiquant, des développements détaillés. Lire l'intégralité de son texte :
http://www.asmp.fr/travaux/communications/2011_06_06_soutou.htm

En savoir plus :

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