« Décrocheurs » et « perdus de vue ». Une chronique de François d’Orcival

De l’Académie des sciences morales et politiques

La montée de la délinquance juvénile inquiète. Mais la réponse à ce mal se trouve-t-elle dans les commissariats de police débordés, entre les mains de l’Education nationale ou dans celles de nos dirigeants politiques ? François d’Orcival propose ici son analyse en se penchant sur une question qui fera sans doute débat aux prochaines élections présidentielles...

_
Coups de couteau au collège, coups de feu dans la rue, embuscades et règlements de compte…L’escalade ne faiblit pas. Les plus violents de ces jeunes délinquants ont trois caractéristiques : ils ne sont pas nombreux, ils ont moins de seize ans, ils ont échappé à toute autorité. Où se recrutent-ils ? Dans l’immense vivier des « décrocheurs » : les 254 000 identifiés par l’Éducation nationale, qui ont fréquenté le collège, le lycée, et sont partis sans rien. Parmi eux, 72 000 sont suivis par des missions locales pour tenter de leur trouver un stage, une activité.

Mais il en reste 180 000, ceux que l’on appelle les « perdus de vue », garçons et filles en nombre quasi équivalent (un peu moins de filles), sans la moindre qualification – et quel avenir ? Excellentes recrues pour les trafics en tous genres de l’économie souterraine. On est même étonné qu’en face de tels chiffres, les mineurs violents ne soient pas plus nombreux.

Ceux-ci sont le produit d’une succession d’échecs. De la famille d’abord, ces familles décomposées, « monoparentales », notamment immigrées, souvent illettrées, où la mère n’est plus obéie. Le rapport de Jean-Marie Bockel sur la délinquance des mineurs, remis en octobre dernier, insistait sur le nécessaire soutien à l’autorité parentale, l’exigence d’une contrepartie à la scolarisation des enfants en termes de lutte contre l’absentéisme. Les enfants ne quittent la maison que pour se retrouver à l’école. Et tout se gâte à la fin du primaire.

Luc Châtel, ministre de l’Education nationale

On a inventé, en 1975, le « collège unique » pour obliger les collégiens à suivre la même filière, de 10 à 14 ans, les âges sensibles. Depuis, on n’a pas cessé d’en démontrer la nocivité. Mais, comme pour l’ISF, on n’a jamais pu s’en débarrasser. Les syndicats de prof majoritaires, tous de gauche, en ont fait un tabou. « On veut se débarrasser des 15% d’élèves en difficulté », s’insurge le syndicat SE-Unsa. Vaut-il mieux orienter les enfants ou en faire des « décrocheurs » ? Luc Châtel, ministre de l’Éducation nationale, veut expérimenter des voies professionnelles. Mais l’apprentissage a-t-il assez de crédits à travers le financement des chambres de commerce ?

En fin de parcours, on regrette le service national qui apprenait à se lever, à saluer, à respecter. Supprimé pour des raisons militaires, il n’a jamais été remplacé par un service civil obligatoire. Les « décrocheurs » ne sont pas des volontaires.

François d’Orcival

Le texte de cette chronique est paru dans Le Figaro Magazine du samedi 18 juin 2011. Elle est reprise ici par son auteur, avec l’aimable autorisation de l’hebdomadaire. Les propos de François d’Orcival, de l’Académie des sciences morales et politiques, n’engagent que lui-même, et non l’académie à laquelle il appartient ni l’Institut de France

Écoutez les précédentes chroniques de François d’Orcival

Cela peut vous intéresser