Ferdinando Paër, protecteur et professeur de Franz Liszt

Avec Danièle Pistone, correspondant de l’Académie des beaux-arts, directrice de l’Observatoire Musical Français
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Ferdinando Paër (Parme 1771-Paris 1839) domina la scène lyrique italienne entre la mort de Cimarosa, la retraite de Paisiello et l’avènement de Rossini. Redécouvrons « l’enchanteur de la Malmaison », élu à l’Académie des beaux-arts en 1831, et le professeur de composition musicale du jeune Liszt à Paris. Pourquoi son étoile a-t-elle décliné si vite au profit de Rossini ? Que nous apprennent les dernières recherches sur ce musicien trop oublié ? Réponses en compagnie de notre invitée Danièle Pistone.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : carr777
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En 2006, les Italiens, à Parme, ont organisé un colloque sur Paër intitulé « De Parme à l'Europe ». Ils ont essayé de balayer la carrière de ce musicien grand voyageur, dont les très nombreux ouvrages ne sont qu'exceptionnellement au répertoire d'un théâtre.
Danièle Pistone regrette que notre génération, comme celles qui l'ont précédée, n'écoute pas suffisamment les œuvres de Paër.

Paër et la France (1806-1839)

Buste de Paër pour l’Institut de France
©droits réservés

Musicien illustre dès la fin du XVIIIe siècle, Paër fut maître de chapelle à Parme et à Dresde, directeur musical du Grand Opéra de Vienne et professeur de musique des enfants impériaux - dont l'archiduchesse Marie-Louise, future impératrice des Français.
Napoléon Ier, de passage à Dresde s'enthousiasma pour Paër après avoir entendu une représentation de son Achille (créé en 1801). Il le força à venir en France et le nomma directeur des musiques de la cour impériale ; la fonction de maître de chapelle à Paris étant, alors, réservée à Paisiello.
À la Malmaison avec Joséphine, puis aux Tuileries avec Marie-Louise, Paër excellait dans l'art de recruter des chanteurs, de les accompagner au piano, d'improviser, d'organiser des concerts et de faire vivre l'opéra italien. Il chantait, aussi, et amusait l'empereur et son entourage avec ses dons comiques. Sa gaieté, ses grimaces, ses imitations, sont restées célèbres.
Napoléon aimait la musique italienne. Paër fut aussi directeur du Théâtre Italien à Paris à la fin de l'Empire et pendant une grande partie de la Restauration.
Il est remarquable que Paër ait réussi à traverser les années 1806-1830 avec, à peu près, les mêmes fonctions. Il eut des missions importantes. En 1820 il fit partie du jury de l'Opéra de Paris.
Sa renommée au sein de la société musicale parisienne incitait les jeunes talents à rechercher sa protection. En 1823, Paër protège le jeune Franz Liszt et devint son professeur de composition musicale. En 1831 il entra à l'Institut de France et, toujours bien en cour auprès de Louis-Philippe, il devint, de 1834 à 1837, professeur de composition au conservatoire ; Gounod fut son élève.

F.Paër : aquarelle Paër au piano, sa femme et Charles Bliga, le chanteur. Cité de la musique
©droits réservés

Paër, Liszt et Don Sanche

Quand Franz Liszt (1811-1886) arriva à Paris en 1823 avec son père, Paër lui conseilla de fréquenter l'opéra car, dans le Paris de ce temps-là, un grand compositeur se devait d'écrire des ouvrages lyriques.
En 1824-25 Liszt composa Don Sanche, opéra en un acte dont les mélodies fraîches et spontanées correspondaient bien à un garçon de 13 ans. Mais cet adolescent fut-il l'auteur de la grande partition et de l'orchestration ? Des études récentes montrent que le style italianisant du Don Sanche de Liszt était très proche des récents ouvrages de son professeur. Paër fit-il plus qu'aider son élève ?
Liszt n'en garda pas le goût pour le théâtre puisqu'il ne reviendra plus aux ouvrages lyriques et il n'aima jamais évoquer cet opéra de jeunesse.
Ce fut une curieuse aventure que ce Don Sanche !

Ferdinando Paër: l'homme et son destin

Danièle Pistone rappelle que Paër, curieux personnage assurément, ne fut pas aimé comme il le méritait. C'était un homme délicieux, plein d'humour, qui composait dans le fracas le plus total, en plaisantant avec ses amis, en grondant ses domestiques et en menant grand train -car sa nature épicurienne ne le poussait pas à faire des économies! Il aimait, peut-être, un peu trop les femmes. Son ménage en souffrit : il se sépara de sa femme la cantatrice viennoise Francesca Riccardi, dont il eut trois enfants.
On ne connaît pas bien la postérité de Paër ; sa vie, ses œuvres sont encore à découvrir.
Plusieurs problèmes expliquent le déclin de sa carrière dès les années 1830.
À l'époque, on considérait qu'il y avait deux musiques : la musique chantante des Italiens et la musique savante, plutôt allemande.
Paër, ayant séjourné à Vienne et à Dresde, était marqué par l'Allemagne et très tôt on dit que son style mélodique, véritable jaillissement italien dans toute sa splendeur, avait quelque chose d'un peu trop allemand dans la partition instrumentale. Ce fut une des raisons pour lesquelles il ne s'est pas maintenu.
Dans Agnese, opera semiseria (1809) son opéra le plus célèbre, il fit évoluer son style, mais sans doute pas assez.
Les crescendo de Paër sont un peu l'embryon de ce que fera Rossini. Mais il ne suffit pas d'avoir été pionnier, il faut durer !
Rossini aussi souffrit de la vague romantique qui déferla en 1830.
« Mais Rossini : c'est l'apogée ! Et celui qui se maintient c'est toujours celui qui a représenté l'apogée d'un style » conclut Danièle Pistone.

Pauses musicales:

Ferdinando PAËR, S'io t'amo, duo
Roberta Invernizzi (soprano), Lucia Naviglio (mezzo-soprano), Francesco _ Caramiello (piano Pleyel de 1865)
CD Le Salon napolitain - OPUS 11.

Ferdinando PAËR, Le Maître de chapelle, extr. de l'acte I, Lucien Fugère _ (Barnabé), orchestre dir. Elie Cohen, enr. 1930, 78 t Columbia LFX 32,
CD Les Introuvables du chant français - EMI.

En savoir plus :
- Danièle Pistone, correspondant de l'Académie des beaux-arts
- "Musique que me veux-tu ?" par Gilles Cantagrel : Liszt 1/2 et "Musique que me veux-tu ?" par Gilles Cantagrel : Liszt 2/2

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