Les enfants en danger peuvent-ils être adoptés ?

Avec Jean-Marie Mantz, membre de l’Académie nationale de médecine, auteur d’un rapport 2011 sur l’état de l’adoption en France

Chaque année en moyenne, 4000 enfants sont adoptés en France pour 30 000 familles agréées. Dans son rapport remis à l’Académie nationale de médecine, Jean-Marie Mantz s’intéresse à un point particulier : l’adoption des enfants dont la mère a accouché sous X, dont les parents ont abandonné leur nouveau-né ou plus délicat, des enfants déclarés pupille de la nation par la justice car estimés « en danger » dans leur cellule familiale initiale. Jean-Marie Mantz, médecin réanimateur, a été confronté dans sa carrière à cette troisième catégorie d’enfants maltraités. Il explique pourquoi selon lui ces enfants en danger pourraient être plus souvent candidats à l’adoption.

_ Dans son intérêt pour l’adoption d’enfants nés en France, Jean-Marie Mantz s’intéresse plus particulièrement aux enfants dit « en danger » qui pourraient être adoptés.
« En tant que réanimateur j’ai eu comme mon collègue Francis Wattel (ndlr : co-auteur du rapport consacré à l’adoption nationale) l’occasion d’être en présence d’enfants maltraités ou délaissés par leurs parents. Ceci nous a amenés à nous intéresser au sujet, à prendre des contacts avec les travailleurs sociaux et les enseignants pour clarifier les causes et corriger les effets » précise notre invité.
Actuellement, un enfant peut être déclaré pupille de la nation par la justice lorsque les sévices des parents sur l’enfant sont graves et avérés. Mais pour Jean-Marie Mantz trop peu d’enfants bénéficient d’une seconde chance : celle d’être heureux avec de nouveaux parents. « Sur les 726 enfants adoptés et nés en France en 2008, seulement 132 étaient des enfants en danger. Ce chiffre est à mettre en regard avec les 250 à 300 000 enfants en danger officiellement dans notre pays… Et à mettre aussi en regard avec les 30 000 familles agréées qui attendent qu’on leur confie un enfant » explique-t-il.

Avant d’aller plus loin, il convient de définir ce qu’on appelle un « enfant en danger » : sous cette formule sont distingués deux catégories d’enfants : les enfants à risques et les enfants maltraités.
Les conditions d’existence des enfants à risques constituent une menace pour leur santé, leur sécurité, leur éducation. Ils sont délaissés mais ne sont pas maltraités.
Les enfants maltraités subissent des sévices physiques, psychologiques, sexuels.

Il demeure très difficile de démontrer qu’un enfant est délaissé ou maltraité.
« Même pour les sévices physiques, les difficultés sont parfois grandes d’affirmer la maltraitance, étant donné la perversité et la capacité de dissimulation des parents qui masquent très longtemps leur forfait » précise Jean-Marie Mantz.
A ces barrières, s’ajoutent parfois les réactions frileuses de médecins qui hésitent à révéler leur diagnostic de maltraitance. « Ils se réfugient très souvent derrière l’article 4 du code déontologie qui prône le respect absolu du secret médical. Tour d’abord par peur de faire un mauvais diagnostic car certaines pathologies sont voisines de celles observées en cas de maltraitance. Mais ils craignent surtout les représailles juridiques des parents se retournant contre eux pour violation du secret professionnel ! C’est la raison pour laquelle nous aimerions que l’article 4 soit modifié dans le sens d’une obligation de déclaration ».

Que faire en cas de sévices avérés ? Faut-il systématiquement retirer les droits parentaux ?
Actuellement, « la mission des travailleurs sociaux, des éducateurs, des médecins, est de raisonner les parents, de leurs apporter des arguments pour un comportement différent envers leurs enfants ». Le tout pour rétablir un semblant d’équilibre au sein de la cellule familiale sans en venir au retrait des droits des parents.
« Mais la plupart des études portant sur la psychologie de ses parents maltraitants mettent en évidence une perversité et une capacité de dissimulation qui paraît au dessus de toute possibilité thérapeutique. Ce sont des gens dont la personnalité est profondément perturbée sous une apparence de normalité, ce qui rend le diagnostic particulièrement difficile » selon Jean-Marie Mantz.

Pourtant, dans le cas où l’enfant, retiré à ses parents pour des sévices, est au minimum âgé de 6, 7 ans, il devient un enfant « à particularité » dans les registres d’adoption. Ses chances de trouver de nouveaux parents deviennent donc quasi nulles. Il sera surtout balloté de famille d’accueil en famille d’accueil.
« Cela pose la question de la finalité de l’adoption. Pourquoi adopte-t-on un enfant ? Pour satisfaire un désir d’enfant ou bien mettre en avant le souci de son bonheur ? Ce sont deux motivations différentes…. Dans nos propositions, nous demandons la création de filière de familles d’accueil choisie parmi les candidats bénévoles de sorte que les côtés matériels et financiers soient totalement écartés pour apporter la preuve que le souci premier est le bonheur de l’enfant » énonce le médecin.

Analyses de faits divers

Jean-Marie Mantz nous propose ses commentaires sur deux faits divers relayés dans les médias.

En 2009, le cas de Dylan est révélé. Âgé de 7 ans, jamais scolarisé, enfermé dans une pièce avec un matelas imbibé d’urine, battu, les parents sont poursuivis pour abandon matériel et moral. (Les services sociaux avaient commencé à s'intéresser à ce couple à la naissance de leur deuxième enfant en octobre 2009).
Août 2010, une mère âgée de 30 ans et son concubin sont mis en examen, à la suite de violences présumées ayant entraîné la mort d'un enfant de trois ans.

« Ces médias présentent souvent ces faits dramatiques de manière anecdotique. Qu’est devenu l’enfant en dehors des cas mortels ? On l’ignore.
On note aussi les défaillances, les vices de forme et les négligences probablement des différents services. Il ne faut y voir de blocage prémédité, mais la prise de décision dépend d’un grand nombre de facteurs ».

Entre le constat et la prise de décision, il peut se passer plusieurs mois voire des années. A chaque fois, il convient de vérifier les faits, de ne pas agir sous le coup de l’émotion.
« L’issu du problème dépend souvent de l’interprétation que les juges font de l’intérêt supérieur de l’enfant. Et les interprétations sont souvent divergentes. Ce qui est en cause, c’est quand même le bonheur voire la survie de l’enfant » conclut Jean-Marie Mantz.

Analyse de dessins d’enfants

Pour saisir l’ambiance au sein de la cellule familiale chez les jeunes enfants, il est intéressant d’observer leurs dessins. A six ans, c’est leur mode de parole qui est d’autant plus révérateur qu’à cet âge l’enfant en toute confiance dessine ce qu’il sait en toute objectivité.
Les deux premiers dessins sont des auteurs heureux ! « La verdure, les fleurs, le soleil (image du père) et la représentation même de la famille montre que tout se passe bien au sein de cette cellule familiale. Le second dessin traduit l’entrée dans la famille du petit frère à quatre pattes marchant vers ses aînés ».

Dessin d’un enfant de six ans, heureux dans sa famille
© Janine Mantz-Le Coroller \/ éditions Mardaga

Dessin d’un enfant de six ans, heureux dans sa famille, avec l’arrivée d’un petit frère.
© Janine Mantz-Le Coroller \/ éditions Mardaga

Les deux autres dessins sont plus sombres. « La mère et la sœur ont le visage recouvert de noir et l’enfant est dessiné en rouge ; deux couleurs importantes qui signent à la fois la violence et le deuil. Ici c’est la mère avec la bouche grillagée qui est l’auteur des sévices. Quant à l’enfant, il s’est représenté avec les bras tendus. Il semble crier sa détresse ».
Le dernier dessin est celui d’un enfant maltraité, revenu dans sa cellule familiale après plusieurs mois passés dans une famille d’accueil. « Ici, on voit que les sévices ont recommencé sous une autre forme. L’institutrice lui a demandé de raconter l’occupation de ses vacances et il a décrit son incarcération dans sa chambre pendant 15 jours. Son seul contact avec l’extérieur, c’est une lune ébauchée. C’est à la fois dramatique et touchant ».

Dessin d’un enfant de six ans maltraité par sa mère.
© Janine Mantz-Le Coroller \/ éditions Mardaga

Dessin d’un enfant de six ans incarcéré dans sa chambre pendant les vacances chez ses parents, après un passage dans une famille d’accueil.
© Janine Mantz-Le Coroller \/ éditions Mardaga

Un enfant ayant subi des sévices est-il un enfant perdu ? « C’est un mauvais départ dans la vie » estime Jean-Marie Mants, mais on peut espérer qu’avec les soins d’une famille adoptive attentive, cela efface les souffrances des premières années de sa vie. Maintenant, si l’enfant demeure maltraité pendant plusieurs années de sa vie, les statistiques le montre : il sera lui-même dans de grandes proportions l’auteur de sévices ».

Les recommandations de Jean-Marie Mantz, Aline Mercelli et Francis Wattel dans leur rapport "Faciliter l’adoption nationale" :
- simplifier les structures administratives et judiciaires des enfants en danger
- harmoniser leur fonctionnement pour accélérer les procédures
- en cas de sévices avérés, retraits des droits parentaux permettant l’adoption
- dès que le diagnostic de maltraitance est démontré par le médecin, en faire part systématiquement aux autorités.
- la réforme de l’article 4 du code de déontologie
- pour les parents, l’observation renforcée pendant 6 mois

Jean-Marie Mantz
© DR

Jean-Marie Mantz est médecin réanimateur, doyen honoraire de Faculté de Médecine de Strasbourg (ancien) membre du comité d'éthique des facultés et du centre hospitalier régional de Strasbourg et membre de l’Académie nationale de médecine, auteur du rapport avec Aline Mercelli et Francis Wattel de "Faciliter l’adoption nationale"

En savoir plus :

- Consultez le rapport en ligne sur le site de l'Académie nationale de médecine

Dessins d'enfants tirés de l'ouvrage de Janine Mantz-Le Coroller, Quand l'enfant de six ans dessine sa famille
éditions Mardaga, 2003

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