Science Fiction par Michel Pébereau : Jack Barron et l’éternité

Amour, gloire et... immortalité ! un roman de Norman Spinrad
Michel PÉBEREAU
Avec Michel PÉBEREAU
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Michel Pébereau, de l’Académie des sciences morales et politiques, est grand amateur de science-fiction. Dans cette chronique il présente Jack Barron et l’éternité de Norman Spinrad, un classique de la littérature de fiction, réédité 40 ans après sa première parution, qui porte un regard cynique et toujours aussi pertinent sur le milieu politico-médiatique.

_ Après un engagement de jeunesse dans un mouvement politique assez radical, Jack Barron est devenu présentateur vedette d’une émission de télévision hebdomadaire très populaire. Il y organise des débats, en direct, entre des téléspectateurs en colère et des personnalités politiques ou du monde des affaires qu’il choisit pour répondre aux critiques, et qu’il met en accusation. Il est habile et cynique : il se comporte en procureur mais il sait toujours arrêter à temps pour ne pas se faire trop d’ennemis ni indisposer ses sponsors. Son objectif est d’assurer la pérennité de son émission qui lui assure un bon train de vie.

Il s’attaque un jour, par hasard, à un très riche industriel qui veut obtenir des autorités le monopole de la cryogénie pour sa « Fondation pour l’immortalité humaine » : ceux qui ont les moyens de payer pourront hiberner jusqu’à la découverte du secret de la vie éternelle. Jack se rend vite compte qu’un tel monopole serait une source considérable de profits. Il met en cause, à l’écran, le promoteur du projet. Il l’inquiète et même le panique en démontrant son aptitude à mobiliser l’opinion, sur un sujet aussi sensible que l’égalité devant la mort. Il crée ainsi un rapport de forces. L’autre cherche à en sortir en alternant menaces et tentatives de corruption. Jack réagit brutalement, et fait monter les enchères, intéressé qu’il est par des offres de plus en plus alléchantes.

Son combat a d’autres conséquences. Sa popularité intéresse les politiques, qui envisagent sérieusement de faire de lui un candidat à la présidence des Etats-Unis. Son ex-femme, dont il s’est séparé depuis des années, revient vers lui, manipulée par son adversaire. Elle est porteuse de ses idéaux de jeunesse, et il l’aime toujours. Que va-t-il décider ? Cédera-t-il à l’offre irrésistible d’accès à l’immortalité ? Ou aura-t-il le courage et l’éthique de faire son devoir de citoyen et d’homme de média ? La réponse restera ambigüe.

Jack Barron et l’éternité a été publié pour la première fois il y a 40 ans. Sa réédition accompagne celle d’un autre roman, lui très récent, de l’américain Norman Spinrad, qui traite aussi des médias, mais qui n’a pas la même puissance. Certains détails sont certes un peu datés. Mais la violence de l’attaque contre une société américaine qu’il situait, à l’époque, dans un proche avenir, est intacte. Spinrad dénonce les calculs de pouvoir du monde politique et l’éthique défaillante des médias, la collusion de l’un et des autres avec les milieux d’affaires, l’isolement et la terrible misère d’une bonne partie de la communauté noire d’alors.
Son style est adapté à son message : décapant, avec une certaine crudité de langage et un peu d’argot. Publié d’abord au Royaume-Uni en 1970, l’ouvrage avait déclenché l’ire d’un parlementaire qui le trouvait « dépravé, cynique, hautement repoussant, et dégénéré ». Il ne saurait susciter aujourd’hui des réactions aussi passionnelles et absurdes. Mais il conserve toute sa force et un réel intérêt.

Michel Pébereau.

Michel Pebereau tient régulièrement depuis 7 ans, une chronique sur l’actualité de la science-fiction dans le Journal du Dimanche qui a aimablement autorisé Canal Académie à la reprendre de manière sonore.

Norman Spinrad – Jack Barron et l’éternité – Ed. J’ai lu (388 pages) 7,60 €

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