Les langues régionales de France : L’alsacien, souvenir des Alamans (7/20)

7ème émission de la série proposée par la linguiste Henriette Walter
Avec Hélène Renard
journaliste

Où parle-t-on l’alsacien ? Pas dans toute l’Alsace ! Si, dans les émissions précédentes, on a pu évoquer la prédominance de l’influence des Francs, dont la langue, le francique, a laissé en France des vestiges représentés par le flamand d’une part et par le francique lorrain d’autre part, c’est une autre tribu germanique, celle des Alamans, qui a donné naissance à l’alsacien.

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : sav574
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_ La bascule de cette région, tour à tour allemande et française à partir de 1871, a créé, comme dans la Lorraine voisine, des crises d'identité qui ont abouti vers la fin du siècle, à ce que l'alsacien soit de plus en plus un mode de communication restreint à un usage rural, familial et intime. Et pourtant il n'est pas rare, même à Strasbourg, d'entendre les gens s'exprimer en alsacien dans les boutiques, à la poste ou au marché.
Cette variété de germanique, proche du Schwytzertütsch parlé en Suisse, est celle de populations installées dans la région depuis le IIIe siècle de notre ère, et elle a connu les mêmes affres que la Lorraine à l'époque où l'Alsace était ballottée entre la France et l'Allemagne.

Carte de l’Alsace linguistique

- Diversité de l'alsacien

L'Alsace est constituée de deux départements, le Haut-Rhin, et le

Bas-Rhin, mais qui ne coïncident pas avec des différences linguistiques, à commencer par l'extrême Nord-Ouest du département du Bas-Rhin, où, comme on l'a vu précédemment Les langues régionales de France : Le francique lorrain, héritage des Francs (6/20), on parle une variété du francique, le Platt rhénan. C'est cette région que l'on nomme l'« Alsace bossue », en alsacien « Alsace tordue » (s'krumma Elsàss).
Dans le reste de l'Alsace, ce sont des variétés d'alémanique qui se trouvent diversement réparties :

- au nord du Bas-Rhin, l'alsacien de la région de Strasbourg a ses spécificités
- plus au sud, une vaste région centrale, autour de Colmar, et qui va jusqu'au nord de Altkirch, présente une autre variété
- à l'extrême Sud, s'étend une 3e région, plus différenciée, le parler du Sungau, qui se rapproche du Schwytzertütsch (ou suisse alémanique).

Cependant, il existe des zones de transition, ce qui ne permet pas de délimiter des frontières linguistiques précises.

- Un peu d'histoire

C’est au XVIIe siècle que l'Alsace devient française, mais la langue française restera une langue étrangère en Alsace jusqu'à la Révolution, et ce n'est qu'au cours du XIXe siècle que le français commence à pénétrer dans les usages de la population alsacienne. Mais, en 1871, l'Alsace est annexée par l'Allemagne, et l'allemand y devient à la fois langue officielle et la langue de l'école.
Cela n'a pas empêché, dès cette époque, l'entrée de mots français en alsacien, avec par exemple certaines systématisations, comme l'ajout de terminaisons particulières aux verbes français pour en faire des formes typiquement alsaciennes : trumpiara « tromper », prozediara « intenter un procès », prepariara « préparer » et même pollüaria « polluer ». Dans la vie courante, on trouve buschur « bonjour » ou mèrsi « merci », Schondarm « gendarme » ou encore Plaffo ou Plaffong « plafond ».
Pourtant, l'essentiel du vocabulaire reste tout à fait germanique : singa « chanter », jùng « jeune », alt « vieux », trinka « boire », kränk « malade », kält « froid », Schnee « neige ».

- Les diminutifs

En Alsace les prénoms prennent souvent des formes modifiées par un diminutif, en quelque sorte des hypocoristiques, ou petits noms d'amitié :

  • Hànsi , diminutif de Hans, correspondrait à Jeannot,
  • Walti, diminutif de Walter (qui n'a pas de correspondant en français)
  • Süssl correspondrait à Suzon, diminutif de Suzanne,
  • Kritti serait l'équivalent de Caty, diminutif de Catherine, mais le plus extraordinaire, avec ses 3 formes de diminutifs est :
  • Seppi, Sèppl, ou Sèppala, diminutif de Joseph.

Carte des langues germaniques de France


- La gastronomie alsacienne

Si l'on parle de spécialités culinaires régionales, celle qui vient la première à l'esprit pour l'Alsace est certainement la choucroute La choucroute, des grandes invasions aux brasseries parisiennes, un nom où chou ne correspond pas à « chou », comme on pourrait s'y attendre, mais à l'adjectif « aigre » et où c'est dans croute qu'il faut voir l'équivalent de « chou ».
Avec une apparence beaucoup plus germanique, le beckeofe (ou Beckeofa) est aussi un plat traditionnel alsacien, composé de plusieurs viandes mêlées de pommes de terre et fleurant bon les aromates, et qui demande une très longue cuisson. À l'origine, ce plat était traditionnellement un plat du dimanche, préparé d'avance. Il était déposé chez le boulanger, juste après la cuisson du pain, et les ménagères le reprenaient à la sortie de la messe. Cela explique le nom du plat, Beckeofe, qui est formé sur Beck « boulanger » et ofe (ou ofa) « four ».
Je terminerai ce menu par une pâtisserie typiquement alsacienne, mais qui finalement ne l'était pas vraiment à l'origine, le kougelhopf. Il s'agit en effet d'une sorte de brioche à pâte levée généralement agrémentée d'amandes et de raisins secs, mais il existe aussi des variétés salées, avec du jambon, ou même des olives. Son origine n'est pas française. Elle a été introduite en France par le pâtissier du roi de Pologne Stanislas Leczinski, exilé en Lorraine en 1720, et ce n'est que plus tard, vers le milieu du XIXe siècle, qu'elle s'est répandue en France. Ce même Stanislas Leczinski est aussi à l'origine de l'introduction du baba au rhum en France. Le nom du kouglof est formé de Kougel « boule » et de Huph (ou Hefe) « levure », ce qui explique à la fois sa forme arrondie, comme une boule, et le gonflement de la pâte grâce à la levure.

Ainsi s'achève l'exposé sur les langues de France non issues du latin. Il sera suivi de plusieurs émissions consacrées aux nombreuses langues romanes de France.

Henriette Walter, linguiste renommée, est professeur émérite de linguistique à l’Université de Haute Bretagne (Rennes) et directrice du laboratoire de phonologie à l’école pratique des Hautes Études à la Sorbonne. Henriette Walter est reconnue comme l’une des grandes spécialistes internationales de la phonologie, parle couramment six langues et en « connaît » plusieurs dizaines d’autres. Elle a rédigé des ouvrages de linguistique très spécialisés aussi bien que des ouvrages de vulgarisation.

Bibliographie sélective d’Henriette Walter :

- L’aventure des langues en occident (Robert Laffont)

- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (Prix Louis Pauwels 1997)

- Le Français dans tous les sens (distingué du Grand Prix de l’Académie française en 1988)

- Honni soit qui mal y pense, l’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais,

- L’aventure des langues en Occident (prix spécial de la Société des gens de lettres et grand prix des lectrices de Elle, Robert Laffont, 1994)

- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (prix Louis Pauwels 1997, Robert Laffont)

- Honni soit qui mal y pense (Robert Laffont, 2001)

- Arabesques (Robert Laffont, 2006)

- Son ouvrage "Aventures et mésaventures des langues de France" est actuellement en cours de réédition aux Editions Honoré Champion.

En savoir plus:

- Poursuivez cette série de 20 émissions sur les langues régionales de France, sur le site de Canal Académie.

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- Canal Académie vous invite à consulter le site du Hall de la chanson (www.lehall.com), partenaire de cette série d’émissions sur les langues régionales de France.
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